lundi 9 septembre 2013

Un post magnifique sur #jeconnaisunvioleur

Je viens de lire ce témoignage qui m'a bouleversée. Merci mille fois à son auteure.


J’ai cessé de raconter cette histoire autour de moi parce que les réactions qu’elle provoque me remettent face à une atroce réalité. Cette histoire me poursuit depuis dix ans et je n’ai pas encore trouvé quiconque qui puisse me répondre : « Oui, c’était un viol ». 

On était au collège. Une petite ville de banlieue semi-bourgeoise. Un matin, la rumeur s’est propagée dans tous les couloirs : « D. s’est faite violer ». D., c’était cette jolie fille asiatique aux chemises et aux jupes bleu foncé qui n’était ni secrète, ni renfermée et qui promenait son joli visage aux traits fins avec une morgue toute adolescente. 
Dans le préau, sous les marronniers, c’était à qui aurait le plus de détails sur l’histoire. Le violeur, c’était le frère d’un collégien comme nous. A une soirée, il aurait profité du fait que D. avait bu pour la violer. Les parents de D. avaient été voir le proviseur. Je revois D., à la cantine, blafarde, observant son assiette avec des yeux vides de bête assommée. 
Il n’aura suffit de quelques jours. Elle mentait. Elle s’était inventée une histoire. Elle avait bu. En moins d’une semaine, l’omerta a entouré D. 
Le chœur des collégiennes lui-même s’est assuré d’ôter tout crédit à l’histoire de notre amie. 
Depuis dix ans, je ne cesse de penser à elle. Une unique question me taraude : dans l’hypothèse même où D. aurait menti, pourquoi est-ce que personne ne s’est jamais demandé les causes de ce mensonge ? 
Cette histoire m’a poussée à lire. La notion d’« Homo Sacer » (ou « Homme Sacré ») d’Agamben a été une précieuse lecture, j’y ai appris la notion de tabou qui contamine la victime. La figure de Philomèle à la langue tranchée après son viol est aussi pour moi un symbole de ce que subisse les personnes violées : une obligation au silence. 

Je repense à D. et au manque de bienveillance absolu qui l’a entourée. A ce double traumatisme. 
Je vivais dans un monde de fiction où les victimes sont écoutées, où l’on prend soin de vous et le crime n’est pas toléré. J’ai découvert que dans ces crimes entachés de honte, on a vite fait d’accuser la victime de mensonge, de racontars ou de folie pour se préserver. 
Je ne connais pas de violeur. Je ne connais que le petit visage de D., son air grave et sa solitude qui continue de se promener dans mes souvenirs. Je ne connais que des complices, nous, les témoins muets, qui partageons une responsabilité dans ce qui lui est arrivé.
A 26 ans aujourd’hui, j’ai toujours l’intime conviction qu’elle ne mentait pas. C’est nous qui avons fermé les yeux et reculé devant l’insoutenable et l’avons recouverte du tabou pour qu’elle se taise. Je voudrais revenir en arrière pour serrer sa main dans la mienne et lui promettre que je l’écouterais sans la juger quoiqu’elle dise. 

L’année passée, mon ex petit ami m’a confié qu’il pensait avoir été violé lors de sa première fois. Il m’a avoué ça, l’oeil fuyant, la bouche tordue dans un rictus entre le rire et la gêne, attendant certainement que je m’esclaffe. Je l’ai serré contre moi, il m’a serrée un peu plus fort comme si le monde entier venait de tomber à ses pieds. Je n’ai pu tenir la main de D. mais je peux jouer ce rôle de soutien pour d’autres. 


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