jeudi 15 février 2018

"C'est de l'humour". Oui, et c'est aussi du sexisme

C’est de l’humour

Ah l’humour... qui n’aime pas rire et faire rire ? Le rire détend, c’est même sa fonction physiologique. Très concrètement, il sert à désamorcer une tension. Il donne du plaisir. Rire ensemble crée une proximité émotionnelle. Le bon plaisantin met en confiance et séduit.
L’humour fédère autour de références communes. On rit des mêmes choses parce qu’on se comprend à demi-mot, le rire est un signe de reconnaissance et de ralliement. Quand on rit, on se sent bien, et on se sent bien de rire ensemble.

Alors quand on proteste contre un propos voire un agissement sexiste et que l’agresseur et ses complices nous rétorquent un « c’est de l’humour », qu’en penser ?

Quand un propos sexiste est défendu par un « C’est de l’humour », ce qui est sous-entendu est :
« Toi qui te sentais blessée par ce propos, tu as tort de ressentir ce que tu ressens. Tu n’as pas compris ce que tu devais ressentir, tu as mal choisi ton émotion.
Tu as tort de mal le prendre, car comme je dis que c’est de l’humour, cela signifie que je ne le pense pas sincèrement. Je décrète que c’est de l’humour alors le propos est annulé ».

Il y a toujours une manipulation émotionnelle derrière un « c’est de l’humour ». Ce qui importe n’est pas l’intention cachée de l’auteur, mais si ce propos est effectivement sexiste ou non. L’humour peut être oppressif, humiliant, destructeur, l’un n’empêche absolument pas l’autre. Les célèbres calembours de Jean-Marie Le Pen étaient, techniquement, de l’humour : des jeux sur les mots qui le faisaient bien rire. Leur caractère antisémite n’en était pas moins réel.

Un « c’est de l’humour » est péremptoire lorsqu’il sous-entend « Je ne le pense pas vraiment, je ne suis pas quelqu’un comme ça ». On ne peut pas répliquer « si si, tu le penses vraiment ». C’est un déplacement du problème : peu nous importe de savoir si l’agresseur voulait être drôle. Quand Rémi Gaillard surprend des femmes en leur imposant des gestes obscènes, il les agresse, que certains en rient ou non.

Le « c’est de l’humour » qui vient après ne change rien à la nature de l’acte. D’autant que rire d’une agression ou d’une humiliation renforce le caractère humiliant de l’attaque. Si l’agression que tu commets te fait rire, tu montres qu’agresser l’autre t’a donné du plaisir.

Et si tu demandes en plus à ta victime de rire, la manipulation est complète. Rire de sa propre dégradation ? On ne serait pas dans un scénario pervers ?

L’humour sexiste peut viser une personne en particulier, qui pourra se sentir attaquée pour elle-même. Il peut aussi s’agir d’attaques contre d’autres femmes, ou de blagues comme celles qui circulent sur internet ou à la fin des repas de famille, qui visent l’ensemble des femmes ou certaines sous-catégories bien ciblées (les blondes, les belles-mères ou les prostituées).

Elles ont toutes en commun de renforcer un stéréotype sexiste ou de rire de la violence ou de la haine contre les femmes en général ou l’une d’elles en particulier.

Ces blagues créent une assemblée des rieurs soudés contre les femmes, leur rabaissement est associé à la détente et la convivialité. La personne qui n’a « pas d’humour » est au contraire isolée du cercle des rieurs et on lui renvoie l’image de quelqu’un de coincé qui ne sait pas prendre du plaisir ou d’une imbécile incapable de faire la différence entre l’humour et le premier degré. Mis à part que le problème n’est pas là : l’intention humoristique n’annule pas la violence des propos, bien au contraire. Braver un « c’est de l’humour » demande du courage, heureusement que nous en avons une bonne dose en réserve !

Le problème posé par la blague sexiste n’est ni son sujet (oui, on peut rire de tout), ni son public (oui, avec tout le monde), mais le message qu’elle véhicule. Qui est ridiculisé ? Quel acte est banalisé en étant présenté comme potentiellement amusant ?  

Il ne devrait pas y avoir de sujet tabou, de sujet dont on n’aurait pas le droit de plaisanter, j’en suis convaincue. L’humour est une prise de distance avec le réel, un décalage, un pas de côté d’autant plus vital que l’objet moqué provoque douleur et effroi.  J’aime raconter comme il était cocasse de transporter les cendres de mon grand-père dans un sac de voyage.

S’il ne devrait pas y avoir de sujet tabou, il y a des sujets sensibles. Le viol en fait partie. C’est un sujet sensible pour les victimes et pour les femmes en général, toutes victimes potentielles quel que soit leur apparence physique et même leur âge. Le nombre de victimes est incalculable et 99% des violeurs ne seront jamais condamnés. Pour les victimes, la simple évocation de ce crime peut provoquer une détresse semblable à celle ressentie pendant l’acte. C’est un effet du stress post-traumatique. Alors que dire d’une blague sur le viol… dite par un homme…

Le problème des blagues sur le viol, dans l’immense majorité des cas, n’est pas leur sujet mais ce que, à mots couverts, elles disent du viol. La définition implicite qu’elles reprennent et véhiculent. 

Pour être plus claire, je vais commencer par un exemple évident. 

« Que fait un Somalien qui trouve un grain de riz ? 
Il ouvre un restaurant » 
Cette devinette n’est pas un sommet de l’humour, j’en conviens. 
Pourtant cette blague fonctionne parce que les Somaliens sont associés mentalement à la faim. C’est ce postulat de départ qui fait que l’humour opère. 
« Que fait un Suisse qui trouve un grain de riz ? 
Il ouvre un restaurant » 
Echec total, il n’y a pas de postulat de départ sur lequel l’imaginaire collectif s’accorde. 

A présent, voyons sur quels postulats de départ reposent les blagues sur le viol.

J’en suis désolée mais je vais devoir en citer quelques unes, pour la démonstration.

« Dans un pays en guerre, un groupe de miliciens attaque un village. Ils entrent dans une maison, font sortir les hommes pour les tuer et violent toutes les femmes présentes. Ils s’apprêtent à sortir de la maison, mais une petite vieille qui était cachée sous un lit sort de sa cachette et s’adresse aux miliciens : « hé, la guerre, c’est pour tout le monde » ! » 

Elle est vieille, elle n’a vraisemblablement pas fait l’amour depuis longtemps. Elle veut donc attirer l’attention des miliciens pour qu’ils « s’occupent » d’elle aussi. 
Cette blague nous dit que le viol, c’est du sexe. De la même façon qu’on peut tout naturellement désirer du sexe, on peut désirer être violée. 

Même principe avec « Qu’est-ce qui mesure 25 cm et qui donne envie aux femmes de coucher avec moi ?
Mon couteau »

Voilà exactement en quoi les blagues sur le viol ne sont pas acceptables. Dans la quasi-totalité des cas, elles sous-entendent que le viol est du sexe et qu’il peut être désiré. Ce n’est pas seulement faux, c’est également pervers, et plus grave encore, c’est justement l’idée qui justifie ces crimes et qui maintiennent les victimes dans la honte et la culpabilité. « Comment étiez-vous habillée ? » est une blague sur le viol, les rires en moins. Cette question devenue un poncif sur le thème dit la même chose. Etais-tu sexy ? As-tu suscité le désir sexuel ? Si oui, alors tu as récolté ce que tu as semé : du sexe. Sauf que le viol n’a rien à voir avec le désir mais tout à voir avec la destruction de l’autre.

On peut rire sur le viol, oui. Mais on ne peut pas en rire comme on rit du sexe. On ne peut pas non plus en rire comme si le viol était un sujet anodin. 
Le « je vais te faire mon cri de femme violée » de Jennifer Lawrence crispe parce que le viol est un crime aussi atroce que répandu et impuni. 

Nos sociétés ont un problème avec le viol, crime dans les textes mais pas dans les esprits ni dans les faits. Réglons ce problème, faisons en sorte que le viol soit réellement et massivement perçu comme une violence, sans équivoque, et ensuite nous pourrons nous permettre de plaisanter à son propos – mais pas n’importe comment. Sans nier ce qu’il est : une horreur, jamais désirée ni désirable, qu’il faut comprendre et combattre. 

Il n'y a pas de sujet tabou, j'y reviens. Et si on riait du viol en se moquant des violeurs ? Et si le rire était une arme non pas des machistes, mais des femmes ? 

Conseil de self defense. 
Si un homme tente de vous violer, parlez-lui et dites-lui ceci : 
"Je t'aime. Je voudrais faire un enfant avec toi"
Il s'en ira en courant avant la fin de la phrase. 

On respire mieux, n'est-ce pas ? 







Le Top Site d'Anna K.