jeudi 6 avril 2017

Non, les violeurs ne sont pas "des victimes". Réponse à Violaine Guérin

Hier soir j’ai été invitée par l’antenne universitaire de l’association ONU Women à intervenir auprès des étudiant.es sur le sujet de la culture du viol, en tant que créatrice du site d'information et témoignages Je connais un violeur et ex-porte-parole d'Osez le féminisme. 
Avant de publier la retranscription de ma petite bafouille, je réagis aux propos de l’intervenante qui a parlé après moi. Il s’agit de Violaine Guérin, médecin endocrinologue et présidente de l’association Stop aux Violences sexuelles. 
Son intervention a choqué. Une étudiante m’a envoyé un mail aujourd’hui pour me dire qu’elle était partie avant la fin et qu’elle avait pleuré chez elle. Une autre me fait part d’un état de confusion mentale. 

Le discours d’une présidente d’association de lutte contre les violences sexuelles peut déclencher une réaction traumatique auprès de son public. 


Le projet de Violaine Guérin semble être de renier la dimension politique du viol. Les violences sexuelles n’ont rien de procédés machistes, d’armes de la domination masculine sur les femmes et les enfants. D’ailleurs, le patriarcat n’est pas si patriarcal qu’on veut bien le dire, imbibé qu’il est de toutes les résurgences d’un « matriarcat » qui a duré 30.000 ans. 

Le patriarcat serait donc fortement teinté de « matriarcat ». Quelles en sont les traces ? 

Violaine Guérin cite le fait que les mutilations sexuelles féminines sont pratiquées par des femmes. Quel cynisme. Une femme, elle-même mutilée, qui mutile des petites filles, aurait autant de responsabilité dans l’exercice de cette pratique d’une misogynie extrême que les hommes de pouvoir qui l’ordonnent. Quelles femmes prendraient spontanément l’initiative de faire subir cette mutilation atroce à leurs filles ? Auraient-elles un quelconque intérêt à répandre l’idée qu’une femme ne doit pas ressentir de plaisir sexuel et que notre corps, intègre, est impur ?


Certes, ce sont des femmes qui « font le sale boulot ». Ce sont aussi des mères qui tuent leurs bébés filles en Chine et en Inde. Violaine Guérin y voit un signe de « matriarcat ». J’y vois une torture supplémentaire infligée aux femmes – et le prétexte d’une habileté rhétorique supplémentaire pour le patriarcat. J’y vois aussi la preuve manifeste ainsi que le moyen de la coupure de leur empathie envers elles-mêmes et les autres femmes et filles. 

Merci à la jeune femme qui a interrompu le discours – et merci à toutes les autres interventions du public – pour rappeler qu’il n’y a « aucune preuve historique de l’existence du matriarcat », mais qu’il y a eu des « sociétés matrilinéaires ».
En effet, le matriarcat, qui serait un système oppressif des mères sur les hommes et les enfants, n’a jamais existé. La transmission des biens ou d’une religion par la mère n’implique pas les meurtres, viols et tortures massifs sur l’autre sexe. Le patriarcat repose la volonté de s'approprier la descendance des femmes. Pour qu'un homme soit sûr qu'un enfant qui naît soit de lui, il "doit" en toute logique contrôler la sexualité de la mère. Il s'agit de l'empêcher d'"aller voir ailleurs", au sens strict. Quand on a compris ce fondement des sociétés patriarcales, on comprend aisément que l'inverse n'aurait aucun sens. Je n'invoque pas souvent des arguments biologiques, mais force est de constater que le processus de la reproduction n'est pas symétrique entre les sexes. Tout simplement. 

Evacuée donc, la question de la domination masculine. Certes, il y a plus de femmes violées que d’hommes violés, mais on passera très vite sur ce point. 

Revenons au vrai sujet : les violences sexuelles contre les enfants des deux sexes commises par des adultes des deux sexes. 

Femmes et hommes, égaux et équivalents face à la violence sexuelle. Peu de masculinistes ont osé cette facétie. 

L’équivalence est illustrée par le logo de l’association Stop aux Violences sexuelles, homme et femme également touché.es. Le message est clair. 



Le viol n’a rien à voir avec la domination masculine, donc. Même en République Démocratique du Congo où l’on « détruit les parties génitales des femmes pour éviter qu’elles se reproduisent » (SIC). 

Alors quelle en est la cause ? 

« La racine de la violence, c’est la violence ». Les violeurs violent car ils ont eux-mêmes subi des violences dans l’enfance. Quid des femmes qui ont pu être des petites filles victimes ? Elles sont très violentes elles aussi.. contre les enfants. Les viols par inceste par les mères seraient un phénomène courant. Et 90% des infanticides intra-familiaux seraient commis par des femmes. 

Hum. 

Nul besoin de préciser que ces chiffres sont imaginaires. Nous vivons dans une société patriarcale. 
«  La femme est donnée à l'homme pour qu'elle lui fasse des enfants. Elle est donc sa propriété comme l'arbre fruitier est celle du jardinier ». 
Bonaparte avait le talent d’expliquer son Code civil avec beaucoup de clarté. 

C’est dans cette logique que des hommes tuent des femmes tous les 2 jours et demi en France parce qu’elles décident de fuir leur emprise et leur violence. C’est aussi dans cette logique que les enfants sont parfois aussi massacrés et que des pères tuent leur enfant pour faire souffrir leur mère.  

«Pour se venger, pour faire mal à l’autre conjoint, on s’en prend aux enfants », explique le procureur Eric Maillaud à propos du meurtre de Léa, 3 ans, assassinée par son père le 21 mai 2016[1].

Nous n’avons pas de chiffres sur les infanticides intra-familiaux en France. A propos du Canada en revanche, un chercheur de la Western University explique : « 60% des infanticides sont commis par le père ». Il faut garder en tête que les mères côtoient beaucoup plus leurs enfants. Par ailleurs, les motivations diffèrent. Les femmes tuent le plus souvent des bébés de moins de 1 an, en raison de « problèmes mentaux ». On peut aussi conclure que ces enfants n’étaient pas désirés et éventuellement le fruit de viols. 
L’auteur cite, concernant les hommes, un « contexte de violence domestique. C’est souvent un acte de vengeance lorsque la compagne les quitte »[2]. Jack Levin, de la Northerneastern University, abonde dans le même sens, avec les mêmes proportions et les mêmes conclusions[3].

« La racine de la violence, c’est la violence », répète Violaine Guérin. Les violeurs ne font que reproduire un schéma connu. Ce sont des victimes aussi, il faut les soigner. Tout le monde est victime, que ce soit dans l’enfance ou plus tard, que l’on ait choisi de commettre des crimes ou pas, allons toutes et tous nous faire soigner et bâtir un nouveau monde sans viols en regardant ensemble vers l’horizon. 

Trêve de sarcasme. Cette vision entretient une confusion dangereuse. Dans un viol, il y a un criminel et il y a une victime. Et non pas « deux victimes ». Les violeurs sont des hommes responsables de leurs actes qui prennent la décision de torturer sexuellement une personne. 

Les violeurs ne sont pas, dans leur grande majorité, des dingues qui découpent des femmes dans leur cave. C'était l'objet de la démarche "Je connais un violeur", et la raison de son sinistre succès : la grande majorité des violeurs sont des hommes lambda qui à un moment donné, choisissent d'ignorer l'absence de désir de leur victime. De sombres égoïstes machos pour qui les femmes ne sont que des corps à leur disposition. Est-il si exceptionnel, si étrange, qu'un homme ignore la volonté d'une femme et considère qu'elle lui doit du sexe, ou bien de l'attention, du temps, de l'écoute... en bref, qu'elle soit à sa disposition ? Bien sûr que non. C'est ce que j'expliquais dans cet article à propos d'un massacre misogyne : ce type de meurtre, comme le viol, n'est que l'une des manifestations de cette conviction que les hommes ont des droits sur le corps des femmes. Il est courant d'être insultée ou menacée de viol quand on ne répond pas à un inconnu qui nous aborde dans la rue. Un exemple parmi tant d'autres. 
Ramener la question du viol à un traumatisme chez le violeur, dans ce contexte, n'a pas beaucoup de sens. L'homme extrêmement lambda et équilibré mentalement qui, "dans le feu de l'action", sodomise sa partenaire par surprise aurait forcément été violé dans l'enfance... ? Celui qui insiste si lourdement que sa partenaire finit par céder aussi... ?  Celui qui pénètre une femme ivre morte au prétexte qu'elle l'a "chauffé" une heure avant aussi...? Celui qui va voir une prostituée car, tout simplement, il en a le droit, aussi... ? 
Les voici, ces fameux violeurs, dans leur écrasante majorité : des hommes lambda, vaguement machos, dans une société patriarcale. Dans la plupart des cas, c'est malheureusement aussi banal que cela. 

Nous vivons dans une société dans laquelle les victimes de violences machistes sont haïes, méprisées et culpabilisées et dans laquelle on condamne un violeur à une peine ridicule pour « ne pas compromettre son avenir »[4]Dans ce contexte de complaisance terrifiante envers les violeurs, la priorité est d’émettre un discours sans équivoque.

Les victimes de viol, extrêmement fragilisées, ont besoin de Justice. Actuellement, 99% des violeurs ne passeront pas la moindre journée en prison et sont libres de recommencer, sûrs de leur droit. Cette impunité, de même que de nombreux jugements qui sont de vraies insultes aux victimes et à toutes les femmes, sont un vrai « permis de violer ». Une cause des viols que je prends davantage au sérieux que les violences dans l’enfance, dont sont victimes de nombreuses personnes pleines d’humanité. Certains violeurs ont été victimes dans leur enfance, sans doute. Cette explication est loin d’être suffisante, et lorsqu’elle est mise en exergue avec autant de passion que le fait Violaine Guérin, elle devient nocive envers les victimes et envers la société en général. 

Plutôt que de confusion, les victimes ont besoin de pouvoir reconnaître le crime, sa gravité, son injustice, son absurdité. Non, ce n’est pas de ta faute. Non, tu ne l’as pas provoqué. Non, tu ne vas pas « ruiner sa vie » en portant plainte contre lui (ou plutôt si, et c’est bien fait pour sa gueule). 
Oui, c’est injuste, c’est atroce, ce mec est une ordure. 
Voilà ce que les victimes ont besoin d’entendre, encore et encore, jusqu’à ce qu’elles le croient, le sachent, le hurlent. 

Violaine Guérin reçoit certainement des hommes dans son cabinet, des délinquants ou criminels sexuels qui se prétendent victimes dans l’enfance. Dans certains cas, ce doit être vrai. Pas dans tous. Se faire passer pour une victime et attirer la compassion sur soi de façon indue sont des procédés pervers connus. Il est dommage de l’ignorer lorsqu’on travaille sur ces questions. 
Comme nous toutes, avec plus ou moins de résistance à ce conditionnement malsain, Violaine Guérin est une femme à qui on a enseigné l’empathie, et surtout l’empathie envers les hommes. Un criminel lui parle « avec une petite voix d’enfant », selon ses termes, et elle voit en lui un petit garçon terrifié.  

Nous avons toutes été dressées à l’empathie inconditionnelle, même envers ceux qui nous violent et qui nous tuent. Il est temps de s’autoriser collectivement à dénoncer les violeurs, leur pleine responsabilité et de reconnaître et détruire une à une les ramifications du patriarcat, dont font partie la culture du viol mais aussi l’effacement et le dénigrement de nous-mêmes.
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