dimanche 21 décembre 2014

J'ai fiché pour vous : Du côté des petites filles

La mère Noëlle Fleur furieuse met les enfants à la fête, avec des éléments tirés de l’essai Du côté des petites filles de la pédagogue féministe italienne Elena Gianini Belotti, publié en 1973.

La préférence pour les garçons se manifeste dès la grossesse de la mère, lorsque l’entourage essaie de deviner le sexe du foetus. Les différentes pratiques populaires en Europe du sud pour deviner le sexe du foetus assimilent la naissance d’un garçon à un évènement valorisant, à une bonne nouvelle, contrairement à l’arrivée d’une fille.
“Une des épreuves les plus utilisées est celle du bréchet de poulet : un homme et une femme saisissent chacun une partie de l’os et tirent ensemble, chacun de son côté, pour le casser, si la partie la plus longue reste dans la main de l’homme, ce sera un garçon”.
“Quand on demande à une femme enceinte, à brûle-pourpoint, “qu’as-tu dans la main”, si elle regarde en premier sa main droite, elle aura un garçon, si elle regarde la gauche (sinistra), une fille”. “Si son teint est rosé, elle enfantera un garçon, si son teint est pâle, une fille”.

La préférence pour les garçons se manifestent lors de l’allaitement. Dès ces moments-là, essentiels dans la vie et le développement des enfants, la mère et les autres membres de la famille formulent des injonctions envers l’enfant. Celui-ci reçoit des messages d’encouragement ou d’interdiction qui contribueront à le rendre plus ou moins sûr de lui, vorace ou modéré.

Les mères allaitent les garçons plus volontiers, jusqu’à un âge plus avancé, et les tétées sont plus longues. Il faut aussi prendre en compte la rapidité de la réponse de la mère et les gestes de tendresse qui accompagnent ce moment, et tout cela forme une “preuve tangible de la disponibilité du corps maternel à l’égard (du petit garçon), et en retour, l’importance de son propre corps”.

Les garçons sont perçus d’emblée comme plus vorace, avec un plus grand appétit et des besoins plus impérieux. La mère répond plus rapidement à ses demandes et lui consacre plus de temps. Le besoin de faire des pauses est davantage respecté que pour les filles. En évitant de le presser, on lui signifie qu’on se met “de son côté”, qu’on le “considère comme un individu” avec une autonomie dans la volonté et des besoins qu’il faut prendre en compte. Au contraire, la petite fille n’est pas sensée être vorace, et il est courant de “punir” la gloutonnerie en imposant un rythme plus lent, tout en la pressant sur la durée totale de l’allaitement, faute de temps disponible pour elle. La petite fille doit “contrôler son impulsion”. Bellotti parle d’un “dressage à la délicatesse”. Le “dressage”, dès la naissance, s’opère également à travers l’agencement et les couleurs de la chambre d’enfant, ainsi que les motifs qui la décorent.

Il est communément accepté que les filles pleurent davantage et sont plus difficiles à élever.

“Cependant, malgré tous ces jugements sur le caractère affectueux, la douceur, la soumission l’activité laborieuse des femmes et bien qu’on les élève à moindre prix, puisqu’en général on leur donne moins d’instruction qu’aux garçons, l’opinion courante veut que les filles soient plus difficiles à éduquer. Pourquoi ?
Il est beaucoup plus difficile et pénible de contenir une énergie souvent impérieuse en prétendant qu’elle se replie sur elle-même, alors qu’elle ne tarde pas à s’atrophier lentement, que de lui laisser libre cours et même de la stimuler en vue de réalisations concrètes. (..)
La fille, inhibée dans son développement, est contrainte d’organiser des mécanismes d’auto-défense pour ne pas succomber (..); elle manifeste des traits de caractère qui ne sont pas du tout, comme on le pense, l’apanage du sexe féminin, mais sont simplement le produit de la castration psychologique opérée à ses dépends.” Cette castration psychologique donne des petites filles “mécontentes, capricieuses, pleurnichardes”..

Bellotti insiste sur le rôle de la mère qui reproduit les modèles qu’elle connaît elle-même : la mère façonne la petite fille à son image, et elle accorde au petit garçon la même place dominante qu’au père et aux autres hommes qu’elle connaît : “elle n’a rien d’autre à faire que de répéter avec lui la même attitude tolérante, complice, complaisante qu’elle a vis-à-vis des hommes adultes”.

Les jouets sont sensés être choisis spontanément par les enfants, mais ceux-ci non seulement ent reproduisent ce qu’ils observent et connaissent, mais aussi s’adaptent à des règles strictes : il y a des jouets autorisés et d’autres interdits, selon le sexe. La façon de jouer est également différente : “La réduction de l’agressivité, opérée chez la petite fille par des moyens diffus, l’oblige à choisir, dans le jeu aussi, des moyens d’expression qui soient acceptés”.

Les petites filles dont la vitalité a été réprimée se réfugient dans des rituels rassurants et répétitifs. Les jeux limitatifs des petites filles, “dans lesquels leur attention s’arrête à l’acquisition d’une aptitude raffinée mais restreinte” sont “de véritables comportements phobiques avec un arrière-plan de rituel obsessionnel”, qui démontrent un “perfectionnisme anxieux” : Bellotti cite l’exemple du saut à la corde, complètement dédaigné par les garçons.


Les petites filles sont associées aux tâches domestiques dès l’enfance, alors que les garçons en sont écartés. Non pas pour qu’elles apprennent à les effectuer à l’âge adulte, un apprentissage très rapide serait largement suffisant ; mais qu’elles ne les méprisent pas comme les garçons les méprisent, et pour “rendre certaines tâches automatiques”. “Les adultes savent très bien que si le conditionnement ne se produit pas à l’âge requis, c’est-à-dire à l’âge auquel le sens critique et la rebellion sont peu sûrs, il sera d’autant plus difficile d’obtenir ces services après cet âge”.

jeudi 27 novembre 2014

Témoignage anonyme

Article posté dans le tumblr Je connais un violeur et qui a été traduit en anglais. 

Un jour, à table, mon frère, tout content, nous raconte une de ses conquêtes : Elle l’a dragué toute la soirée (quand j’ai demandé des précisions sur ce point : elle lui a souri et l’a regardé plusieurs fois), et quand en fin de soirée elle avait trop bu et qu’elle est allée se coucher (car visiblement malade, à deux doigts du coma), il est allé dans le lit et l’a “niquée”.
Un  jour, à table, mon frère nous raconte le viol qu’il a commis. Et tout le monde trouve ça normal.
Un jour, dans la cuisine, ma mère et moi parlons de son compagnon (mon beau père, donc). Elle m’explique que sa première femme ne voulait pas d’enfant, mais qu’il a insisté, et insisté, et qu’il l’a mise enceinte.
Un jour, dans la cuisine, ma mère me raconte que son compagnon a violé. Et elle trouve ça normal.
Je connais un, deux, mille violeurs. Je les connais, et chaque jour je les vois, je leur dit bonjour, je mange avec eux, je les soutiens quand ils vont mal. Je connais, un, deux, mille violeurs qui m’ont hurlé que NON, ils n’avaient pas violé. Que si un jour ils violaient quelqu’un, ils se suicideraient de honte et de dégoût.
Je connais un, deux, mille violeurs. Des gentlemen, des gens normaux, des gens que j’aime. Et pourtant, ce sont des violeurs. Et ils ne le savent même pas.

lundi 26 mai 2014

Santa Barbara : le machisme tue.

Vendredi soir, Elliot Rodger, un jeune homme de 22 ans, a tué 6 jeunes gens et en a blessées 7 autres.  Si ses victimes ne sont pas toutes des femmes, son projet initial, heureusement contrarié, était d'entrer dans une sororité pour tuer "toutes les filles du bâtiment", à défaut de pouvoir "tuer toutes les femmes de la Terre".
Contrairement à ce que l'on lit dans la plupart des médias, cet homme n'est pas fou, cette tuerie n'est pas un cas isolé. C'est une manifestation parmi d'autres d'une haine contre les femmes qui répond à une idéologie largement observée et connue : le masculinisme. 

Pourquoi un homme qui tue des femmes serait-il fou ? Il n'a jamais été démontré que le syndrome d'Asperger, dont il serait atteint, entraîne des accès de violence extrême. Et surtout, tuer des femmes est-il si exceptionnel ? Pourtant le Conseil de l'Europe a publié des chiffres selon lesquels la première cause de mortalité pour les femmes âgées de 16 à 44 ans est d'être tuée par son conjoint, compagnon ou ex. 
Parfois ce massacre généralisé prend une tournure plus spectaculaire. On se souvient des massacres de Marc Lépine en 1989 contre les élèves ingénieures féminines qui voulaient "exercer un métier d'homme". 
On se souvient du massacre par un élève du collège de Winnenden, en Allemagne, en mars 2009, de 11 élèves féminines et d'une professeure. 
Il est temps de regarder la réalité en face : tous les jours, des jeunes filles et des femmes sont les victimes de la haine misogyne. Elles sont humiliées, violées, torturées. Tuées. 
Quand un homme tue des femmes par haine de leur sexe, ce n'est pas un "coup de folie". C'est un féminicide. 

"Je massacrerai toutes les filles du bâtiment, et je prendrai un grand plaisir à le faire". La raison invoquée, et reprise sans grand recul par la presse, est un sentiment d'injustice contre les femmes qui "ne veulent pas de (lui)". Elles ne veulent pas coucher avec lui, il les tue. Le tueur s'attend à ce que les femmes acceptent ses avances. C'est un du. Une femme qui refuse un acte sexuel mérite la mort. 
Le tueur perçoit donc les femmes comme des créatures à sa disposition, disponibles sexuellement et dont le "non" n'est pas envisageable. 
Et on continue de le prendre pour un fou.. 

Comme si les femmes étaient libres de dire "non", de choisir quand et avec qui avoir des relations sexuelles. Que dire de ces hommes qui harcèlent des femmes, qui les violent, qui les agressent, en un mot qui méprisent leur consentement et qui les considèrent comme des biens dont il faut s'emparer : tous des fous, eux aussi ?
Le féminicide n'est pas un "coup de folie meurtrière" : c'est la violence machiste à son stade ultime. Elle ne veut pas coucher avec moi ? Je m'en empare et je la détruis. Par le viol, par le meurtre. Une femme n'a pas le droit de dire "non". 

Quand elle ne répond pas aux avances d'un homme, si elle quitte son compagnon ou si elle le trompe, une femme peut être tuée. On y verra toujours un "coup de folie" ou un "drame conjugal". Or les femmes sont le plus souvent tuées pour une seule et même raison : elles refusent de se laisser posséder par un homme. Elles quittent un époux, elles trompent un amant, elles fuient un ex, elles refusent des avances. Elles montrent à un homme que leur corps et leur sexe ne leur appartiennent pas, tout simplement. 

Ce massacre n'est ni un acte isolé, ni un acte insensé. Il est le fruit d'un idéologie connue depuis plusieurs décennies déjà : le masculinisme. En acceptant de vivre dans un bain culturel où les femmes sont constamment montrées comme des objets à saisir, des corps à posséder, disponibles, perpétuellement consentantes et soumises, ce n'est rien d'autre que cette idéologie meurtrière qu'on alimente. 

Le masculinisme est un courant idéologique connu et étudié, il a été défini ainsi par la chercheuse Michèle Le Doeuff dans les années 1990 : c'est un "particularisme, qui non seulement n'envisage que l'histoire ou la vie sociale des hommes, mais encore double cette limitation d'une affirmation (il n'y a qu'eux qui comptent et leur point de vue". Plus précisément, le masculinisme est une réaction contre le féminisme : les femmes seraient "allées trop loin", elles ont déjà acquis l'égalité, voire elles dominent la société par des moyens plus ou moins "occultes". Il faut revenir en arrière pour préserver le sort des hommes. En sachant que la condition des hommes défendue par les masculinistes est celle qui existerait sans les apports du féminisme : une domination sans partage du pouvoir masculin, avec des hommes qui imposent leur autorité sur des femmes réduites au rang d'esclave sexuelle et de mère porteuse.

Le masculinisme n'est pas l'équivalent du féminisme : le féminisme travaille à l'émancipation des femmes pour qu'elles atteignent l'égalité en droits et en dignité avec les hommes. Le masculinisme vise à la suprémacie des hommes sur les femmes. Chaque avancée féministe vers l'égalité est dénoncée comme une injustice qu'il faut punir.

Elliott Rodger fréquentait assidument une communauté masculiniste sur Internet, et y participait activement avec des écrits où il présente les femmes comme des biens à disposition, auxquelles, en tant qu'homme, il aurait droit. De façon typiquement masculiniste, il se pose en victime des femmes. Victime du fait qu'elles le rejette,s donc victime du fait que les femmes puissent formuler un refus, avoir leur propre désir sexuel, choisir leurs partenaires... C'est ce libre choix des femmes qui est vu comme un "crime" qui doit être puni de mort.

Le tueur se targue explicitement d'une supériorité sur les femmes : "elles verront qui est supérieur, qui est le mâle alpha". Ces "salopes gâtées" prétendent choisir avec qui elles couchent et avec qui elles ne couchent pas ? Il faut les remettre à leur place : les ramener à la douce époque où le viol n'avait pas encore été criminalisé à cause de l'influence de ces féministes castratrices.

"Je ne peux pas tuer toutes les femmes de la Terre, mais je peux frapper un immense coup qui les laissera dévastées, atteintes au plus profond de leur coeur vicié. Je m'attaquerai précisément aux filles qui représentent tout ce que je déteste dans la féminité : je m'attaquerai à la sororité qui compte les filles les plus sexy de l'UCSB."

Elliott Rodger regrette de ne pas pouvoir commettre un féminicide global. Il choisit donc des femmes "emblématiques", et les tuent pour que toutes les autres soient terrorisées, avec le but avoué de leur "faire peur".
Il tue des femmes parce que femmes, c'est donc un tueur misogyne. C'est en outre un terroriste d'un genre encore peu connu : un terroriste masculiniste.

Il est temps de regarder les choses en face : la haine des femmes ne provoque pas qu'une violence quotidienne et des meurtres domestiques. Elle provoque aussi des massacres de masse et des actes de terrorisme meurtrier. Et le masculinisme est le système de pensée qui légitime cette violence extrême. Il est temps de le reconnaître pour ce qu'il est : loin du féminisme qui revendique l'égalité par des moyens pacifiques, le masculinisme est une idéologie intrinsèquement haineuse et meurtrière.


"Le féminisme n'a jamais tué personne. Le machisme tue tous les jours"
(Benoîte Groult)






























mercredi 21 mai 2014

Les viols d’hommes : ce serait pire ? Vraiment ?

Créatrice et administratrice du tumblr “Je connais un violeur”, j’ai lu et modéré plus de 1000 témoignages de victimes anonymes. Elles se sont confiées dans l’anonymat d’internet, seules face à leur écran, sans avoir ne serait-ce qu'un regard posé sur elles. Certaines racontaient leur vécu pour la toute première fois.

Je voudrais apporter des éléments de réponse à des propos que j’ai lus et entendus à plusieurs reprises à propos des victimes hommes. “Le tabou des tabous”, “invisible donc plus difficile à surmonter”.. J'ai lu un article extrêmement dérangeant sur les cas d'hommes adultes violés par des femmes et qui souffriraient plus que les victimes féminines, car eux, ne sont pas pris en considération. Après avoir tanné, excusez l'expression, la rédactrice de cet article sur twitter, l'article a été entièrement corrigé. Je ne peux plus rien lui reprocher, mais il n'en reste pas moins que l'idée est répandue, même si elle est fausse et profondément dérangeante.

Les hommes victimes se taisent, car le viol d’hommes est un sujet tabou. Le viol des femmes aussi. Ce n'est pas une composante de la "nature féminine" avec laquelle il faudrait composer. Certes le nombre de victimes féminines, enfants ou adultes, est scandaleusement élevé et la menace d’être violée plane sur nous, avec des formules comme “appel au viol”. Le fait d’être une femme nous place d’emblée dans une position de victime potentielle. Certes les viols de femmes et de filles par des hommes inondent nos écrans et les blagues salaces sur ce thème sont légion. Il n’en reste pas moins que pour une femme, être victime de viol est un traumatisme qui entraîne de lourdes séquelles. Subir un viol, pour une femme, n’est pas l’un des désagrément causés par sa féminité, aussi prévisible et ancré dans notre quotidien que des règles douloureuses ou un soutien-gorge qui gratte. C’est à chaque fois un crime et un scandale.

Or les viols subis par des hommes adultes seraient plus tabou, plus difficiles à déclarer, voire plus douloureux que ceux subis par les femmes. Pour un homme, être violé, ce serait pire.

Avant l’âge de 15 ans, les victimes de viol, par inceste dans la plupart des cas, comptent autant de filles que de garçons. Après, certains hommes sont violés par d’autres hommes, ils représentent 10% des victimes à l’âge adultes. Quand aux hommes adultes violés par des femmes, ils représentent une infime minorité. Sur un millier de témoignages, j’ai lu un seul cas d’homme qui avait été “chevauché” par une femme alors qu’il était inconscient. Je ne m’avancerai pas sur un chiffre ou une statistique, mais gardons en tête que nous parlons de cas ultra-minoritaires. Cela ne signifie pas que le sujet ne soit pas digne d’intérêt, et les victimes méritent évidemment de l’empathie.

Les hommes victimes de viol rencontrent l’incrédulité, apprend-t-on, cette incrédulité étant bien sûr liée à la rareté du phénomène. On peut avancer une explication plutôt évidente : la grande majorité des femmes ont intégré un rôle passif dans leur sexualité. On dit que l’homme prend la femme et que la femme se fait sauter. Cette distribution des rôles parfaitement inégalitaire fait qu’une femme qui agresse un homme, qui lui fait subir des attouchements ou actes sexuels par surprise ou contrainte, est une femme qui transgresse un immense tabou, sans commune mesure avec des gestes abusifs largement tolérés de la part d’un homme.
La violence des femmes est interdite et taboue elle aussi. Un homme en colère est un homme qui a de la personnalité. Une femme en colère est une folle hystérique. Même si les sports de combat comptent de plus en plus de femmes parmi leurs amateurs/trices, on inscrira plus spontanément une petite fille à un cours de danse classique pendant que son frère fera du judo. Cette incrédulité liée à la violence, et en particulier la violence sexuelle d’une femme contre un homme vient de ce que les femmes sont sensées être délicates et passives. Elles n’ont pas d’autre choix que d’intégrer cette norme sociale, et en effet la grande majorité des crimes contre les personnes sont commis par des hommes.
Les hommes victimes de viol ne sont pas crus, on peut en expliquer les raisons. Qu’en est-il des victimes féminines? Elles doivent se justifier, on se méfie d’elles et on met systématiquement leur parole en doute. Une petite fille victime de son père sera dénigrée par le reste de la famille. Une adolescente victime de ses camarades de lycées aura voulu “se rendre intéressante et attirer l’attention sur elle”. Ivre morte et violée par un groupe d’inconnus en boîte de nuit, ce sera “une salope qui l’a cherché”. Coincé sous le poids de son agresseur, alors qu’elle criait “non” et qu’elle pleurait, elle était “venue pour ça”.

Aux hommes violés, on dit “tu as aimé ça”. Et en effet, dans l’immense majorité des cas, les hommes aiment ça. D’ailleurs, le cliché selon lequel les hommes en ont “tout le temps envie”, et auraient une libido plus forte que les femmes (ce qui est faux), sert bien souvent à justifier les viols de victimes féminines réputées “irrésistibles” qui auraient eu le malheur de susciter des “pulsions incontrôlables”.
Les femmes victimes de viol s’entendent dire qu’elles l’ont mérité avec leur “look de pute”. On leur demande si elles ont “mouillé”, éventuellement de la part de policiers sensés recevoir leur plainte. Dans ce même contexte, une victime d’une quinzaine d’années a rapporté à une écoutante du CFCV les propos suivants : “en fait c’est juste d‘avoir été sodomisée qui vous dérange”. Cette jeune fille serait donc “coincée”.
Parmi toutes les victimes de viol qui m’ont fait part de leur expérience, dans mon cercle amical, militant ou par l’intermédiaire du tumblr “Je connais un violeur”, aucune n’a été écoutée et prise en considération sans subir de réactions déplacées voire cruelles. Une deuxième, troisième agression de la part de leurs parents, de leurs amies, d’un policier ou d’un médecin.

Nos écrans sont inondés de scènes de viol où la femme “finit par aimer ça”. Nous avons toutes entendu des remarques comme “elle est trop moche, espérons qu'elle se fasse violer”. Nous avons toutes subi des regards hostiles, des attouchements, des menaces de viol ou des blagues humiliantes auxquelles nous devions rire sous peine d’être taxées de “coincées”. Cette haine des femmes qui fait que le viol est un sujet de gaudriole, nous la supportons, et nous en souffrons. Et que dire des femmes violées qui doivent elles aussi rire en choeur à un bon “le viol, c’est lol”? Elles restent silencieuses, elles repensent à ce qui les a meurtri et qui amuse des hommes dont elles n’ont aucun moyen de savoir s’ils sont innocents ou non.
Elles ont honte, elles se haïssent d’avoir été salies et de n’avoir pas su se défendre. Elles se taisent, et si elles en parlent, elles s’exposent à des “t’étais épilée au moins?” (véridique). Elles supporteront toute leur vie une société qui leur martèle que “le viol, c’est lol”. Et elles sont nombreuses.

Messieurs, vous qui avez été violés par une femme, je ne nie pas votre souffrance et “Je connais un violeur” vous reconnaît autant que les autres. Mais vous restez des hommes, vous ne vivez pas dans un monde qui vous rappelle à chaque instant que vous êtes une proie à baiser, un morceau de “viande à viol”. Vous n’entendez pas de plaisanteries ou remarques soit-disant anodines qui vous rappelleront régulièrement que le monde dans lequel vous vivez est complice de l’horreur que vous avez vécu. Votre expérience est invisible, c’est ce que vous regrettez : vous ne la recevrez pas en pleine face à un dîner de famille ou dans une discussion entre amis.
Je vous souhaite sincèrement de surmonter cette épreuve. Mais je continuerai de me battre pour les femmes et les filles, les victimes désignées, toutes celles qui “auraient pu faire un effort”, qui ne sont "pas normales car elles devraient aimer ça", et à qui on a confisqué, dès la petite enfance, les moyens de se mettre en colère et de se battre.
























dimanche 11 mai 2014

"Qu’une femme n’aille pas chez un homme par peur de se faire violer, ça c’est scandaleux"

"Oui, je vais être crue. Parce que ces choses là, on ne peux pas les raconter sans utiliser les mots, les vrais, ceux qui choquent dans toute leur véracité et leur coté sordide. 
Non, je ne me suis pas faite violée, d’ailleurs je refuse cette expression “s’être faite” comme si, ces personnes (hommes ou femmes) l’avaient choisi. On devrait plutôt dire “avoir été” donc non, je n’ai pas été violée. Mais je ne suis passée pas loin, et loin de pouvoir imaginer la douleur des ces personnes, je pense avoir eu assez peur pour approcher modestement leurs souffrances. 
Cette histoire, elle commence sur internet, sur le site de rencontre adopteunmec.com, je passe sur les nombreuses polémiques autour de cela et tout ce qu’on pourra me “reprocher”, je reviendrai là-dessus après l’exposition des faits. Les faits, c’est simplement un rendez-vous, suite à une petite discussion, dans un bar du 17ème arrondissement de Paris. Lui, c’est Henri, 24 ans, jeune homme très chic qui tourne joliment ses phrases tout en restant cool, qui m’avait fait miroiter de belles choses et qui m’offre “le meilleur mojito de Paris” dans un bar très chic où il connait les patrons. Moi, c’est Lucie, 20 ans, arrivée de sa Bretagne natale depuis 1 an, vivant dans un 9m2 et très impressionnée par tout ça. On discute, je ne me laisse pas avoir par son coté flambeur, on est pas de la même classe sociale ça c’est certain mais j’ai du caractère et je le lui montre également. Le programme c’était un verre et un diner-maison chez lui. Après le verre, je me dis qu’il est quand même sympa et je décide de poursuivre la soirée, sur le chemin je le préviens : je ne couche pas le premier soir. Il rigole, me dit qu’il comprends. S’en suit l’arrivée chez lui et la visite de son 120m2 avec jaccuzzi, hammam, balcon et j’en passe. On prends l’apéro, il ouvre une bonne bouteille de vin, il me propose de gouter la liqueur qu’il fait maison, raisonnable, je ne prends qu’un petit verre. Le diner se déroule, on rigole bien. Il est plutôt du genre à se vanter de ses conquêtes, de ses talents culinaires, de ses rencontres sur le site, de son appartement… C’est le premier rendez-vous, je l’excuse, on est jamais totalement soi-même. Après le diner, on prends place dans le salon, mon verre est toujours plein. On discute, il me propose de me masser, je refuse. Il insiste, je finis par céder. Il veut passer sous mon t-shirt, je refuse et cette fois-ci catégoriquement. Il finit par m’embrasser. Je me laisse faire, ce n’est qu’un baiser, j’ai bien prévenu plus tôt qu’il ne se passerait rien de plus. Et puis tout s’emballe, sa main sous mon t-shirt, lui presque sur moi et moi coincée dans le canapé. J’essaie de me dégager de sa bouche pour lui dire stop. J’y parviens, il continue, je m’énerve et le repousse. Je lui explique que je ne veux rien qu’il se passe ce soir. Il me dit qu’il comprends, pas de soucis. Il tente par un subtil jeu de manipulation et de tournures de phrases à me faire parler de moi. Je ne suis pas dupe, évite et prétexte une envie pressante. Là, j’envoie un S.O.S à une amie, espérant qu’elle va m’appeler et couper court au rendez-vous, je vois mal comment m’en tirer, sortir d’ici, je ne veux pas le brusquer, je ne le connais pas et j’ai un peu peur qu’il use de la force. Je reviens m’asseoir. Il me parle puis recommence à m’embrasser, au début simplement sur le nez en me disant qu’il adore mon nez, puis il recommence, cette fois-ci avec la main dans ma culotte. Là j’essaie vraiment de me dégager, je dis “non”, clairement et distinctement à plusieurs reprises. Il continue, je n’arrive pas à le repousser, il est presque sur moi. A ce moment précis, je suis entre les larmes et le rire. Les larmes car cette situation est affreuse et que je ne sais absolument pas comment m’en tirer. Puis le rire parce qu’il a l’air ridicule, sur moi, se frottant comme un animal. Je continue mes “non” incessants et il me sort cette phrase merveilleuse : "Genre t’en as pas envie, tu mouilles comme pas possible". Je profite de cette phrases et de son détachement de mon cou et de ma bouche pour me lever, furieuse. Il me calme, me rassoit. Dans ma tete, je réfléchis aux moyens que j’ai pour partir, ma copine ne m’appelant toujours pas. Il dit en rigolant “tu aurais été la 76ème”, sur le coup je ne tilte même pas, je regarde l’heure, prétexte qu’il est déjà tard et que j’ai rendez-vous et tente de sortir. Sur le chemin vers la porte, il me coince plusieurs fois contre le mur, me touche les fesses, me tripote, m’embrasse. Je finis par sortir, il me dit “tu m’appelles hein”, j’acquiesce vaguement et dévale les marches. Je sors, j’appelle ma copine et fonds en larme. A cet instant précis, je comprends que tout ça était loin d’être normal. 
Bien sur il m’a recontacté à plusieurs reprises par le suite pour des “soirées-jaccuzzi-champagne”. SMS auxquels je n’ai pas répondu.
Tout ça m’a choqué, je ne vais pas le nier, mais je ne veux pas me placer en victime à plaindre, moi je n’ai pas été violée je ne sais même pas si ça se serait passé d’ailleurs. C’est la suite qui m’a encore plus choquée. Car quand on le raconte aux autres, ceux-ci trouvent plein de “négligences” de ma part et c’est là que je m’insurge. Me trouver des “négligences” ou en trouver aux victimes de viols, c’est trouver des EXCUSES au violeur. Or, il n’y en a pas. A ce genre de choses, il n’y a pas d’excuses. 
D’abord, c’est le site internet qu’on m’a rabâché : “En même temps, t’es sur un site de rencontre, la moitié des nanas sont là pour baiser, faut pas t’en étonner.” Bah si, si pardon mais je m’en étonne. D’une part parce que ces nanas qui sont là pour “baiser”, elles ont autant le droit que n’importe qui d’y être pour cette raison et pour autant ne pas être violées. Justement, la différence elle est bien là, entre la recherche d’un partenaire sexuel éventuel puis son approbation. Entre “baiser” avec un homme et être violée. Parce qu’elles souhaitent trouver cette personne, elles n’en sont pas pour autant des filles faciles qui du coup “l’ont bien cherchés”. D’autre part, ce n’était pas mon cas, je cherchais juste quelqu’un avec qui partager ma vie, ce que j’ai trouvé, plus tard, sur ce site. 
Ensuite, on m’a souvent dit “Pourquoi t’es allé chez lui aussi, c’est inconscient.” Et là aussi je m’insurge. Non, ce n’est pas inconscient. C’est NORMAL. L’inverse est scandaleux, qu’une femme n’aille pas chez un homme par peur de se faire violer, ça c’est scandaleux. C’était un rendez-vous amoureux, en tout cas pour ma part. Le fait d’aller chez un homme ce n’est pas un consentement. Si on rentre dans ce schéma, on valide le viol comme quelque chose qui peut arriver dans certaines circonstances alors que non, ça ne doit pas arriver, jamais, dans aucune circonstance. 
Puis, on m’a dit que je n’avais qu’à pas boire, qu’à m’enfuir et puis on m’a donné toute la liste des choses que j’aurais du faire. Et là, je ris doucement. Je ris doucement car cette liste parait absurde quand on a été dans pareil situation. “Tu aurais du courir” “Tu n’aurais pas du boire” Tu as bien dit non ?” Je n’ai pas pu courir. Il m’a fait boire, j’étais en rendez-vous amoureux et même sans ça je n’aurais rien pu faire, il m’a manipulée. Et oui, oui mille fois oui, j’ai dit “non” et quand bien même je ne l’aurais pas fait, je n’ai pas dit “oui” c’est bien là le principal. 
Je vous passe les nombreuses, très nombreuses choses que j’aurais du faire parce que, vraiment, “tout ça au fond c’est un peu de ma faute.” Là j’ai compris, pourquoi les femmes n’en parlent pas. Parce que même mes copines mes plus proches m’ont fait ce discours. 
Alors non, je n’ai pas été violée, heureusement. Mais je me demande, si j’avais été la 76ème, combien des 75 autres étaient consentantes ? "
Merci Lucie pour ce témoignage si juste dans "Je connais un violeur"

samedi 10 mai 2014

Je ne veux plus lire : "Je refuse d'être une victime"

La grande majorité des témoignages que j'ai reçus dans "Je connais un violeur" m'ont touchée, je voulais faire de mon mieux pour soutenir les victimes. 
Mais pas tous. J'ai aussi reçu quelques messages hostiles, heureusement très rares, et certains d'entre eux étaient emblématiques d'une haine des victimes de viol largement répandue. Entendons-nous, vous avez peu de chances d'entendre quelqu'un vous dire "je hais les victimes de viol, je détesterais en avoir pour voisines, ou que mes enfants aillent dans la même école qu'elles". On entendra en revanche des réactions de déni, une remise en question de leur parole, ou encore on exprimera des doutes quant aux chiffres qui concernent le viol, classique incontournable des discussions sur le sujet. 
De façon beaucoup plus pernicieuse, j'ai lu de nombreuses manifestations de rejet et de haine du statut  même de victime. 
J'ai reçu le témoignage d'une jeune femme qui avait échappé à une tentative de viol et qui m'a écrit : "Je n'ai pas été violée car je connais mes droits et je ne suis pas une victime". Le genre de propos à me faire bouillonner de rage. 
Ainsi il y aurait des victimes nées, faibles par essence, qui seraient fatalement et le plus naturellement du monde la proie d'un agresseur. D'ailleurs, peut-on encore le qualifier d'agresseur ? Il n'aura fait que s'inscrire dans un schéma donné d'avance, la victime était de toute façon une victime, il lui aura simplement permis d'accomplir son destin. 

Pourquoi "refuser d'être une victime" ? Ce terme n'est pas péjoratif. J'ai récemment été moi-même victime d'une fraude sur internet et je l'écris sans rougir. Tout individu qui a subi un préjudice est une victime, c'est comme ça, c'est la définition du terme. Quand je lis "je refuse d'être une victime", qui sont des mots qui reviennent souvent dans les cas de violence sexuelle, je réponds toujours : 
"Dire que vous avez été victime signifie simplement que vous avez subi de quelque chose de très grave, cela ne veut pas dire que vous êtes faible ni que vous souffrirez toute votre vie. Vous avez subi un crime, vous n'en êtes pas responsable et vous ne l'avez en aucune façon mérité. C'est une injustice." 

Il est aberrant de lire à propos de la démarche de "Je connais un violeur", sous forme de reproche bien entendu : "vous en faites des victimes". Je tiens à préciser que je n'ai jamais violé qui que ce soit. Les personnes qui témoignent ont été victime d'un crime, qu'on le veuille ou non. Elles ont le droit de savoir qu'elles ne sont pas seules et qu'elles n'ont aucune raison d'avoir honte. Elles sont aussi en droit d'être en colère, d'avoir mal et de réclamer justice. 

Il est vrai que souvent, des femmes n'ont pas conscience d'avoir été violées. Elles sont angoissées en croyant qu'elles exagèrent. Elles pensent que cela vient d'elles. Dans ces cas-là, se rendre compte qu'elles ont été victimes de viol est un choc mais aussi une libération puis un immense soulagement. "Je connais un violeur" n'a pas "fait de victimes", mais il a rendu certaines victimes conscientes de l'être, et c'est un grand pas vers la guérison. 

S'il y a une victime, il y a forcément un ou plusieurs coupables, c'est la base de toute intrigue policière - fictive ou réelle. Et ce coupable doit être identifié comme tel, pour qu'il soit éventuellement condamné, mais avant cela, la victime et les personnes qui l'entourent doivent reconnaître qu'il en y a un : le viol a été commis par une personne qui aurait très bien pu s'en empêcher mais qui a fait le choix de passer à l'acte. Dire qu'on est victime, c'est dire qu'on n'y est pour rien.

On lit parfois "Je ne veux pas passer pour une victime car je ne veux pas qu'on ait pitié de moi". Pourquoi préfères-tu que l'on fasse comme s'il ne s'était rien passé de mal et comme si tu ne souffrais pas? En quoi reconnaître la souffrance de l'autre, reconnaître que l'autre a été atteint dans son humanité, ce qui revient à reconnaître son humanité, est-il une marque de mépris?

Propager la haine des victimes, c'est dire : si on t'agresse, tais-toi. Ne dénonce personne, laisse ton agresseur impuni, sûr de son bon droit et prêt à recommencer sans fin. La haine du statut de victime, les "je ne suis pas une victime" qu'on dit pour se protéger de cette haine, sont une entrave à la réparation, une violence supplémentaire infligée collectivement par une société entière. Ce silence qu'on leur impose, ces "ça va, il ne t'a pas attachée non plus", sont très utiles aux agresseurs, ils les maintiennent dans l'ombre, à l'abri. La haine des victimes les protège et ils ont tout intérêt à la nourrir et la propager. N'entrons pas dans leur jeu.

Les victimes ne sont pas fragiles mais elles ont été fragilisées. Elles ont besoin d'écoute, d'attention, de patience et de bienveillance. Plus que tout, elles ont besoin d'entendre : "c'est injuste". Et c'est lui le coupable. Si le tabou de la notion de victime protège les agresseurs, c'est un égard qu'ils ne méritent pas. Ce n'est pas eux qu'il faut épargner. Ils n'ont pas été surpris, ils n'ont pas été enivrés, piégés, terrorisés. Ils étaient adolescents ou adultes, en pleine possession de leurs moyens physiques et conscientes de leurs actes. Dans l'immense majorité des cas, les violeurs ne sont pas des aliénés mentaux et l'agression était préméditée. Ils se préparent. Ils savent qu'ils font du mal, ils ont fait le choix de nier l'humanité de l'autre.






























jeudi 1 mai 2014

Le client et la femme non-prostituée

On connait tou-te-s la nature des relations entre une personne prostituée et son client : elle a besoin d'argent ou elle est contrainte par un tiers, donc il paie et il aura accès à son corps. Il peut même acheter la compagnie d'une petite amie idéale, docile, compatissante, qui rira de ses plus mauvaises blagues et jouira quoi qu'il arrive. 

Et que se passe-t-il lorsqu'une femme qui n'est pas prostituée est attirée par un homme qui s'avère être un client de la prostitution? C'est une mésaventure qui m'est arrivée récemment. Je n'étais pas certaine qu'il le soit, j'espérais secrètement qu'il soit simplement réac, mais j'en ai eu la confirmation. 
Voici le message, tronqué mais authentique, que je lui ai envoyé : 

(salutations et demande de nouvelles amicale)
"Je me pose une question, même si je suis bien documentée bien sûr, à propos des clients de la prostitution. Tu m'as paru tellement passionné par le sujet que je suis sûre que tu as des éléments de réponse. 
Si on considère un client comme un homme qui accepte l'idée d'un moment en compagnie d'une jeune personne qui le reçoit la peur au ventre, angoissée par son loyer à payer, ses dettes, obligée de s'alcooliser toujours plus pour surmonter son dégoût... 
Comment ce même garçon peut-il apprécier à sa juste valeur un authentique désir féminin? Pas celui qu'on mime, et qu'on essaie de reproduire lorsque la situation l'exige en s'oubliant soi-même. Je parle d'un réel désir qui vient des tréfonds du bas-ventre. Toi par exemple, du coup tu ne vois pas tellement l'intérêt d'une femme qui aurait envie de t'enserrer et d'être enduite de ta sueur?"

Je me suis permise cette familiarité car nous avions déjà échangé quelques messages chargés d'une ambiguité érotique revigorante. 

Sa réponse a été laconique : "Chuis un grand timide", dit-il. Cette timidité peut à la fois expliquer le fait qu'il hésite à me voir seul à seul - je l'ai déjà rencontré plusieurs fois avec un groupe - mais surtout justifier son recours à la prostitution. 
Ma réponse pourrait être celle-ci : 

"C’est cette même « timidité », j’imagine, qui te pousse à payer une jeune fille ou jeune femme pour qu’elle ne puisse pas dire non, et qui t’empêche de partager du plaisir avec une jeune femme qui te plait, apparemment, et dont l’attirance et l’affection sont sincères.

Tu ne fais pas partie des hommes dont on pourrait avoir pitié, dont on pourrait penser qu’ils ne trouveront jamais de partenaire. Même si la prostitution ne se justifie jamais par la prétendue frustration sexuelle du client, de la même façon que le prétendu « désir » (comme ce terme est sali !) ne saurait justifier l’anéantissement de l’autre que représente le viol, la pédocriminalité ou le viol tarifié et organisé qu’est la prostitution.
Au contraire, avec ton physique et ce que tu es, intellectuellement et socialement, je suis certaine que les sollicitations féminines ne manquent pas. Que tu reçois des propositions propres à t’émoustiller. Or tu es « timide ». Trop timide pour entamer une relation avec une femme qui te donnera du plaisir car tu l’excites, qui te donnera de l’affection car tu l’émeus.
Ta « timidité » par contre ne t’a pas empêché de me traiter de puritaine en public. Surtout, elle ne t’empêche pas de sortir des billets pour pénétrer une jeune fille qui, si tu l’avais approchée gratuitement, se serait certainement débattue, aurait essayé de fuir pour éviter un viol. Heureusement que tu as donné de l’argent à son maquereau : elle ne se débattra pas.

Trop timide en revanche pour entamer une relation d’égale à égal, où tu prendras le risque de décevoir ta partenaire et qu’elle te le fasse savoir. Il se peut que la jeune femme refuse certains gestes, qu’elle se montre maladroite ou que son excitation retombe dès les premières minutes. Il se peut qu’elle s’attache, qu’elle veuille te revoir. Il se peut qu’elle ne veuille pas te revoir alors que tu avais passé un moment que tu croyais exceptionnel. Il se peut qu’elle tombe amoureuse. Ou bien que ce soit toi qui tombes amoureux et que tu découvres qu’elle est déjà en couple, ou tout simplement qu’elle ne t’aime pas. Il se peut que tu souffres.

De mon côté, je ne suis pas timide. J’ai osé exprimer mon désir, alors qu’il n’est pas évident pour une femme de le faire – en particulier avec cette éducation latine que j’ai reçue, qui n’autorise les femmes qu’à répondre aux avances d’un homme, après s’être laissées suffisamment désirer. Je m’expose à être considérée comme une femme dévergondée indigne du respect de ses partenaires. Je m’expose aussi au risque d’une violence masculine largement répandue. Et comme je t’ai sollicité par mail, je n’aurais pas eu le moindre recours si l’aventure avait pris une allure horrifique.

J’ai déjà l’expérience de la violence masculine, et j’ai failli y passer. Pourtant je ne suis pas timide. Alors, à l’avenir, mets-toi en danger toi aussi : prends le risque d’un rapport réciproque, entre deux êtres humains qui se reconnaissent comme tels. Il n’est pas si dangereux que tu le crains de voir l’humanité en l’autre."















mercredi 23 avril 2014

Benoîte Groult à propos des hommes anti-choix


"Ces jeunes mecs vaccinés, psychanalysés, opérés de l'appendicite ou chimiquement tranquillisés et qui nous recommandent la résignation aux lois naturelles, quelle bouffonnerie ! " (Benoîte Groult, Ainsi soit-elle) 

Et plus haut : 
"Ils savent bien en effet qu'il ne s'agissait pas tant de nous obliger à avoir des enfants en ce monde surpeuplé, mais bien de nous maintenir dans la contingence. Jusqu'ici, nous *attendions* un enfant, nous *étions* enceintes, ou pire, nous *étions prises*, formules totalement passives, donc satisfaisantes selon le vieux schéma. Par la contraception - et l'avortement en cas d'échec -, il nous sera permis de *faire* un enfant, de *choisir* notre maternité, de devenir sujet et non objet. Enfanter ne sera plus une fatalité, mais sera un privilège. Or c'est cela que la morale traditionnelle ne saurait tolérer. Tant que la femme restait le lieu où se perpétuait aveuglément la lignée, l'égalité des sexes restait elle aussi une formule vide de sens. La maternité volontaire, c'est la liberté fondamentale qui commande toutes les autres. D'où ce refus exaspérés chez certains et presque cette terreur".

lundi 14 avril 2014

Colette - La Vagabonde - extrait

"Seule ! J'ai l'air de m'en plaindre, vraiment!
"Si tu vis toute seule, m'a dit Brague, c'est parce que tu le veux bien, n'est-ce pas?"
Certes, je le veux "bien", et même je le veux, tout court. Seulement voilà.. il y a des jours où la solitude, pour un être de mon âge, est un vin grisant qui vous saoule de liberté, et d'autres jours où c'est un tonique amer, et d'autres jours où c'est un poison qui vous jette la tête aux murs. 
Ce soir, je voudrais bien ne pas choisir. Je voudrais me contenter d'hésiter, et ne pas pouvoir dire si le frisson qui me prendra, en glissant entre mes draps froids, sera de peur ou d'aise. 
Seule... et depuis longtemps. Car je cède maintenant à l'habitude du soliloque, de la conversation avec la chienne, le feu, avec mon image... C'est une manie qui vient aux reclus, au vieux prisonniers; mais, moi, je suis libre... Et, si je me parle en dedans, c'est par besoin de rythmer, de rédiger ma pensée. 
J'ai devant moi, de l'autre côté du miroir, dans la mystérieuse chambre des reflets, l'image d'"une femme de lettres qui a mal tourné". On dit aussi de moi que je "fais du théâtre", mais on ne m'appelle jamais actrice. Pourquoi? Nuance subtile, refus poli, de la part du public et de mes amis eux-mêmes, de me donner un grade dans cette carrière que j'ai pourtant choisie... 
Une femme de lettres qui a mal tourné : voilà ce que je dois, pour tous, demeurer, moi qui n'écris plus, moi qui me refuse le plaisir, le luxe d'écrire... 
Ecrire! pouvoir écrire! cela signifie la longue rêverie devant la feuille blanche, le griffonnage inconscient, les jeux de la plume qui tourne en rond autour d'une tache d'encre, qui mordille le mot imparfait, le griffe, le hérisse de fléchettes, l'orne d'antennes, de pattes, jusqu'à ce qu'il perde la figure lisible de mot, mué en insecte fantastique, envolé en papillon-fée... 
Ecrire... C'est le regard accroché, hypnotisé par le reflet d'une fenêtre dans l'encrier d'argent, la fièvre divine qui monte aux joues, au front, tandis qu'une bienheureuse mort glace sur le papier la main qui écrit. Cela veut dire aussi l'oubli de l'heure, la paresse au creux du divan, la débauche d'invention d'où l'on sort courbatu, abêti, mais déjà récompensé, et porteur de trésors qu'on décharge lentement sur la feuille vierge, dans le petit cirque de lumière qui s'abrite sous la lampe... 
Ecrire! verser avec rage toute la sincérité de soi sur la papier tentateur , si vite, si vite que parfois la main lutte et renâcle, surmenée par le dieu impatient qui la guide... et retrouver, le lendemain, à la place du rameau d'or, miraculeusement éclos en une heure flamboyante, une ronce sèche, une fleur avortée... 
Ecrire! plaisir et souffrance d'oisifs! Ecrire! ... "

mercredi 2 avril 2014

De l’inconvénient pour les femmes de lever son majeur


J’arborais fièrement mes nouveaux collants couleur fraise, en mini-jupe, et comme l’expression vestimentaire d’une humeur légère et joyeuse a un prix, j’ai été gratifiée de sifflements et de remarques absconses de la part de commentateurs auto-proclamés qui m’ont croisée en voiture.

Auxquels j’ai répondu par un doigt d’honneur et un « connard ».

J’étais tout d’abord contente de moi, l’auto-défense agressive étant loin d’être un réflexe mais plutôt une discipline à laquelle je m’exerce.

Pourtant un sentiment de malaise suit de près la satisfaction immédiate. Pour me montrer offensante, j’ai fait un geste qui symbolise un phallus. J’ai signifié au bougre que je le pénétrais pour l’humilier. Or c’était lui qui avait fait montre d’un sentiment de supériorité typiquement masculin en me sifflant.
Il me dit : je t’humilie car j’ai une bite et que tu as des collants rose et je te rappelle ton statut d’objet sexuel
Je lui réponds : je t’humilie avec ma bite qui va te pénétrer et tu seras humilié d’être pénétré.
Une réponse plutôt inadaptée de ma part, n’est-ce pas ? Pour ne pas dire franchement ridicule. D’autant plus que je l’ai traité de « connard », insultant ma propre anatomie au passage. C’est la brebis qui dit au loup « t’as l’air con avec ta laine sur le dos ».

Quand je dois me mettre en colère, j’ai l’impression de donner des coups dans l’eau avec un couteau dont le manche est aussi tranchant que la lame, et de me retrouver avec la main cisaillée.

La domination est arrivée au point où la colère nous est interdite. Une femme en colère est accusée d’hystérie ou d’un autre trouble d’ordre psychologique, sa colère est immédiatement vidée de son sens. Elle est folle, rien de plus. Ou le classique « tu es jolie quand tu te mets en colère » que je vis comme une humiliation extrêmement pernicieuse. J’ai entendu récemment « la domination masculine ? Ma pauvre Pauline, si tu vois les choses comme ça, tu vas te rendre trop malheureuse ».
Et l’interdiction de se mettre en colère va plus loin que la décridibiliation de cette colère, qui passe souvent par la dépolitisation.
Nous n’avons pas d’outils pour être en colère. Les armes dont nous pourrions facilement nous saisir, à savoir le langage, se retournent contre nous.


A la question de savoir quels moyens il nous reste, j’ai envie de citer ce slogan féministe plein d’humour : « les femmes sont cantonnées à la cuisine, mais on oublie que c’est là qu’on trouve les couteaux ! »


Pour en lire davantage sur la misogynie inhérente aux insultes : ici 

dimanche 30 mars 2014

dans Le Plus du Nouvel Obs

Ma première contribution dans Le Nouvel Obs Plus !
Sur le site de rencontre incitant à la prostitution Seeking Arrangement. Ici 

samedi 29 mars 2014

Sugar Daddy cherche Sugar Baby : "relation mutuellement avantageuse" ou prostitution ?

Le site de rencontre “seeking arrangement”, n’est en rien un site de prostitution déguisée.
C’est un site qui encourage à la prostitution de façon complètement assumée. La page d’accueil du site est assez claire : il s’agit de mettre en relation des hommes qualifiés d’”entreteneurs” avec des jeunes femmes éventuellement “étudiantes” qui ont besoin d’être “aidées financièrement”.

Le créateur du site nous parle d’un échange de bons procédés, d’une transaction comme tant d’autres, l’offre répond à la demande et vice versa. La relation proposée se veut “mutuellement avantageuse”. On est en droit de se demander : mutuellement avantageuse.. pour qui ?

L’assymétrie commence avant le premier rendez-vous : les hommes s’inscrivent car ils ont envie de rencontrer de jolies jeunes femmes, les femmes sont là pour financer leurs études ou pallier une situation économique difficile. Eva Clouet, dans sa thèse « La Prostitution étudiante à l’heure des nouvelles technologies », pointe les motivations des étudiant-e-s qui ont recours à la prostitution : le besoin d’argent, toujours. Face à des suggar daddies aisés et leur envie de chair fraîche, de séduction facile et de faire-valoir dans les dîners mondains.
Qu’achète un suggar daddy quand il offre son “aide financière” à une jeune femme aux faibles ressources ? Il n’achète rien moins que son consentement à une relation sexuelle. Elle n’aurait jamais voulu de lui, mais elle a besoin d’argent. Il paie, donc elle accepte. Son consentement n’est pas libre, il est dicté par la contrainte économique. Dans tout acte prostitutionnel, la personne prostituée se voit imposer des actes sexuels qu’elle n’a pas désirés. Elle ferme les yeux, pense à autre chose, essaie de surmonter son dégoût face à l’intimité d’un corps pour lequel elle n’a pas la moindre attirance. Imaginez.
Un acte sexuel tarifé n’est jamais anodin. Dans son rapport d’information auprès de l’Assemblée nationale sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel, la députée Maud Olivier attire l’attention sur un risque élevé encouru par les prostituées occasionnelles : après avoir accepté des rapports tarifés “consentis”, une jeune femme tombe facilement sous la coupe d’un proxénète qui la prostituera de force.
Les étudiantes prostituées encourent un risque grave de tomber dans un engrenage qui leur fera abandonner leurs études. Comme l’ensemble des personnes prostituées, elles sont exposées à la violence intrinsèque que représente un acte sexuel non désiré, mais aussi la violence psychologique, physique, sexuelle et économique qui entoure la prostitution. Les conséquences sanitaires peuvent être lourdes.

Seeking arrangement nous présente la prostitution étudiante comme une alternative aux rencontres décevantes en se targuant d’”honnêteté”. Selon le créateur du site, ce sont les relations de séduction dans leur ensemble qu’on devrait taxer de “prostitution déguisée” ! Cette personne ignore la composante majeure de tout rapport de séduction, ce qui fait l’essence et la raison d’être de toutes nos relations sexuelles et affectives, ce qui nous pousse vers la découverte d’un corps inconnu, ce qui nous fait souffrir parfois mais surtout ce qui nous fait jouir : le désir. C’est le désir qui fait la différence entre une relation, même brève et sans conséquence, même décevante, même médiocre.. et l’appropriation du corps et de la sexualité d’une étudiante par un “sugar daddy”.
Le Top Site d'Anna K.