dimanche 29 septembre 2013

Feminist bashing, épisode 2 : en soirée

Le combat féministe se loge aussi dans les détails, au détour d'une conversation qui aurait pu rester badine. Vendredi soir, j'ai fêté le "triste succès" du tumblr Je connais un violeur que j'ai lancé le 30 août dernier, qui a reçu près de 900 000 visites en un mois et un millier de témoignages. Mes ami-e-s, camarades d'OLF et moi fêtions aussi mes apparitions dans les médias, qui m'ont permise de diffuser des idées contre le viol, les mythes qui l'entourent et qui bénéficient aux agresseurs, et d'ouvrir un peu plus le débat sur ce sujet tabou. Dans Libération, Le Nouvel Obs, France Info, l'édition nationale du JT de France 3, entre autres. Quand je parle de "fête", entendons-nous : j'avais besoin de voir des visages bienveillant et de me détendre car la lecture des témoignages du tublr est difficile et parler sans cesse du viol, dans les médias et dans ma vie sociale, était devenu oppressant. 

En fin de soirée, il ne reste qu'une autre militante d'OLF, 3 invités masculins dont 2 que je ne connaissais pas auparavant, et moi. "Au fait, qu'est-ce qu'on fête?" Je parle un peu du tumblr, et à sa demande, je lui montre les articles dans la presse que j'avais imprimés. 

S'en est suivi une séance de feminist bashing dans les règles de l'art. J'avais déjà raconté une anecdote à ce sujet, à propos d'une campagne féministe contre le viol également, par des camarades du MJS. 
Les thèmes abordés, qui reviennent souvent apparemment : 

  • C'est pire ailleurs. Effectivement, nous ne sommes pas excisées, messieurs, nous ne vous en remercierons jamais assez.
  • Contester les chiffes.
  • Tout contester : contester la gravité du viol ("si c'est le seul problème qu'ont les femmes en France, wah"), la gravité des violences conjugales ("une femme en meurt tous les 3 jours.. ah bon, c'est beaucoup ?"), la gravité du traumatisme lié au viol, l'existence de la misogynie.. Au nom du doute cartésien, de la liberté intellectuelle, du "sel de l'esprit". 
Au nom du doute systématique, et car il paraît que chaque conversation doit évoquer la Shoah au bout d'un certain temps, le plus coriace de nos contradicteur en est venu à prôner le doute quant à la réalité du génocide (ce qui est un délit), et quant au statut de victime. "Tout n'est pas noir ou blanc". "Qui est réellement la victime?" "Qu'est-ce qu'une victime?" 
Moi : Une victime, c'est une gamine qui se pointe aux urgences médico-judiciaires avec le vagin déchiré et l'utérus pété. 
Lui : Je ne parle pas de ça, je parle "en général".

  • Nous avons eu le malheur de dire que nous étions des féministes radicales, et même en expliquant le terme, nous sommes qualifiées d'"extrémistes et moi j'ai peur des extrémistes". 
Entre malhonnêteté intellectuelle, dénigrement systématique ponctué de "mais ton tumblr est une très bonne initiative", l'entreprise consistait clairement à nous énerver, nous faire tourner en bourrique et nous blesser. Or mon amie et moi avons gardé notre calme, ce qui a beaucoup déçu nos détracteurs. Qui (de nationalité étrangère), en sont venus à une extrémité de bêtise en nous assénant que "de toute façon, les Français ne font que râler". 

Faute d'arguments de leur part, faute de déferlement de haine misandre et hystérique de notre côté, nous avons été attaquées pour "ne pas accepter le débat d'idées". Or ce ne sont pas des points de vues que nous échangeons. Une femme sur 6 victime de viol ou tentative de viol, ce n'est pas un point de vue. Et oui, nous connaissons mieux le sujet que des hommes qui n'y connaissent rien. Pourtant la conversation s'est terminée sur "vous les Français êtes arrogants, toi (votre dévouée), tu te la pètes parce que tu as écrit un livre (un livre comique, rien à voir), tu n'as pas l'humilité d'accepter que tu ne connais pas mieux le sujet que nous, tout ça parce que ça fait 4 ans que tu l'étudies ! "

J'ai fait quelque chose d'inédit et de fort agréable. Tranquillement installée dans mon canapé, je n'ai pas bougé d'un iota. J'ai gardé une expression neutre et un air calme, j'ai pointé le hall d'entrée du doigt et j'ai dit : "La porte est juste là. Tu te casses. Tout de suite".

Il l'a fait. C'était bon. 

Epilogue. Le lendemain, j'ai reçu un mail d'excuse de Javier, l'ancien prof d'hébreu qui avait amené les deux bougres (et qui avait brillé non par son absence, mais par son silence). Et voici l'une des ses conclusions (je passe sur le "ressentiment des Latino-Américains à l'encontre de l'Europe et son petit confort.." )

"je pense que le sujet a touche un certain orgueil masculin qui s'est senti agressé"

Ce à quoi j'ai répondu :
"Si leur orgueil a été touché, est-ce qu'ils assimilent "homme" et "violeur" ? Personnellement je ne pense pas du tout que tous les hommes soient violents (alors même que "je connais des violeurs", mais je connais aussi bon nombre d'hommes qui sont au clair avec la question) Cette identification avec la population visée par le tumblr est pour le moins suspecte."










lundi 9 septembre 2013

Un post magnifique sur #jeconnaisunvioleur

Je viens de lire ce témoignage qui m'a bouleversée. Merci mille fois à son auteure.


J’ai cessé de raconter cette histoire autour de moi parce que les réactions qu’elle provoque me remettent face à une atroce réalité. Cette histoire me poursuit depuis dix ans et je n’ai pas encore trouvé quiconque qui puisse me répondre : « Oui, c’était un viol ». 

On était au collège. Une petite ville de banlieue semi-bourgeoise. Un matin, la rumeur s’est propagée dans tous les couloirs : « D. s’est faite violer ». D., c’était cette jolie fille asiatique aux chemises et aux jupes bleu foncé qui n’était ni secrète, ni renfermée et qui promenait son joli visage aux traits fins avec une morgue toute adolescente. 
Dans le préau, sous les marronniers, c’était à qui aurait le plus de détails sur l’histoire. Le violeur, c’était le frère d’un collégien comme nous. A une soirée, il aurait profité du fait que D. avait bu pour la violer. Les parents de D. avaient été voir le proviseur. Je revois D., à la cantine, blafarde, observant son assiette avec des yeux vides de bête assommée. 
Il n’aura suffit de quelques jours. Elle mentait. Elle s’était inventée une histoire. Elle avait bu. En moins d’une semaine, l’omerta a entouré D. 
Le chœur des collégiennes lui-même s’est assuré d’ôter tout crédit à l’histoire de notre amie. 
Depuis dix ans, je ne cesse de penser à elle. Une unique question me taraude : dans l’hypothèse même où D. aurait menti, pourquoi est-ce que personne ne s’est jamais demandé les causes de ce mensonge ? 
Cette histoire m’a poussée à lire. La notion d’« Homo Sacer » (ou « Homme Sacré ») d’Agamben a été une précieuse lecture, j’y ai appris la notion de tabou qui contamine la victime. La figure de Philomèle à la langue tranchée après son viol est aussi pour moi un symbole de ce que subisse les personnes violées : une obligation au silence. 

Je repense à D. et au manque de bienveillance absolu qui l’a entourée. A ce double traumatisme. 
Je vivais dans un monde de fiction où les victimes sont écoutées, où l’on prend soin de vous et le crime n’est pas toléré. J’ai découvert que dans ces crimes entachés de honte, on a vite fait d’accuser la victime de mensonge, de racontars ou de folie pour se préserver. 
Je ne connais pas de violeur. Je ne connais que le petit visage de D., son air grave et sa solitude qui continue de se promener dans mes souvenirs. Je ne connais que des complices, nous, les témoins muets, qui partageons une responsabilité dans ce qui lui est arrivé.
A 26 ans aujourd’hui, j’ai toujours l’intime conviction qu’elle ne mentait pas. C’est nous qui avons fermé les yeux et reculé devant l’insoutenable et l’avons recouverte du tabou pour qu’elle se taise. Je voudrais revenir en arrière pour serrer sa main dans la mienne et lui promettre que je l’écouterais sans la juger quoiqu’elle dise. 

L’année passée, mon ex petit ami m’a confié qu’il pensait avoir été violé lors de sa première fois. Il m’a avoué ça, l’oeil fuyant, la bouche tordue dans un rictus entre le rire et la gêne, attendant certainement que je m’esclaffe. Je l’ai serré contre moi, il m’a serrée un peu plus fort comme si le monde entier venait de tomber à ses pieds. Je n’ai pu tenir la main de D. mais je peux jouer ce rôle de soutien pour d’autres. 


vendredi 6 septembre 2013

Mon interview pour Rue 89

Hier j'ai répondu à une interview pour Rue89, à propos de mon Tumblr "Je connais un violeur", mais aussi car je suis signataire de l'Appel citoyen contre la misogynie et l'incitation au viol sur Internet


Qu'avez-vous pensé en découvrant cette note de blog "Comment bien baiser ? Conseils pour du "sexe hard"" ?

Ce blog entretient une confusion dangereuse entre l’expression du désir, la fougue, qui sont des choses saines, et la violence, qui est inacceptable.

On présente comme érotique et souhaitable une situation qui est en réalité, si elle est réalisée selon les conseils du site, un abus sexuel ou un viol. Or la différence entre l’expression du désir et la violence est très claire : si l’un des partenaires est contraint à une pratique, il y a un abus qui est réprimé par la loi.

Le consentement de la femme est méprisé, son désir est ignoré. Ce qui est recherché n’est pas la jouissance des deux partenaires, mais l’asservissement, voire l’avilissement de la femme.

Pour reprendre des passages de mon article à propos del’incitation au viol d’Aldo Naouri : 
« De deux chose l'une : soit chacun est consentant, et c'est du sexe, plus ou moins bon, mais c'est une situation normale. Soit l'un des partenaires est contraint et il s'agit d'une atteinte grave à sa dignité et d'un crime passible de prison ferme. Ce n'est pas une question de degré mais de nature. »

« Et le viol dans un couple ne devrait pas être considéré différemment d'un viol commis par un inconnu. Le geste est le même, tout aussi destructeur. Et c'est un problème trop grave et sous-estimé pour qu'on se permette d'en parler de façon ambiguë et légère. »

Vous signez la tribune féministe à paraître demain. Pour vous, en quoi cette initiative et celle de votre tumblr sont-elles liées ?

En s’appropriant la violence préconisée par ce genre de site, en la considérant comme normale voire souhaitable, on a un risque évident de passage à l’acte. Et de nouveaux hommes, persuadés d’être dans leur bon droit, de « faire comme il faut », viennent faire l’objet d’un billet dans le tumblr « je connais un violeur ».

De l’autre côté, si la violence est considérée comme la norme, si le désir sexuel et même le consentement des femmes est ignoré, comment une victime de viol sera prise au sérieux quand elle dira à son entourage ce qu’elle a subi ? Elle ne fera que décrire des faits présentés comme acceptables et il lui sera plus difficile de faire reconnaître la gravité de ce qu’elle a vécu, et de faire que son expérience soit considérée pour ce qu’elle est : un crime.

L'auteur du "texte" en question rétorquera, j'imagine, qu'il parle d'un "jeu", que le sexe est un jeu. Que répondez-vous à cela ?

C’est vrai que le sexe est un jeu. Une relation sexuelle est un moment d’inventivité, de mises en scènes, d’explorations, d’expérimentations.. mais c’est avant tout une relation entre deux personnes. Donc des règles s’appliquent, comme dans un jeu, justement, ou plutôt une seule règle s’applique : il faut que chaque partenaire désire chaque pratique. Une relation sexuelle est la rencontre de deux désirs. Aucune atteinte à l’intégrité et à la dignité ne doit être acceptée. Ce principe simple est largement admis dans tous les autres domaines de la vie en commun, il n’y a aucune raison pour que les relations sexuelles soient une zone de non-droit.

La réaction vive et massive qu'a provoqué le texte de Diké sur Twitter, les réseaux sociaux et internet est intéressante. Avez-vous la sensation qu'il se passe quelque chose au niveau du féminisme avec internet ? Qu'on laisse moins passer de choses ? Que les féministes se mobilisent plus facilement et mieux avec Internet ? Qu'elles ont plus de poids ?

Je ne peux répondre à propos de ce que j’ai directement observé : la libération de la parole qu’a occasionné le tumblr « je connais un violeur », grâce à l’anonymat et à une diffusion rapide dans les réseaux sociaux.
J’ai reçu de nombreux messages comme quoi des victimes ont enfin compris qu’elles avaient été violées, qu’elles comprennent à présent les causes de leur mal-être, et qu’elles se sentent moins seules. Internet peut donner une visibilité à des personnes jusque là isolées ou silencieuses, les regrouper et leur permettre de se faire entendre.


Le Top Site d'Anna K.