jeudi 2 novembre 2017

Les Conquérantes

Comment devient-on féministe lorsqu’on vit dans un village reculé de Suisse alémanique à la fin des années 1960 ?

Les Conquérantes, film de la Suissesse Pietra Bondina Volpe actuellement en salle, répond à cette question avec un beau récit tout en finesse de la bataille de féministes pour le droit de vote des femmes en Suisse.

Quand Nora rentre de ses courses avec un livre de Betty Friedan et une pile de brochures féministes sous le bras, elle est déjà prête à bouleverser l’ordre établi.
Coincée à la maison, elle veut retrouver un emploi mais son mari s’y oppose. Elle ne peut rien faire sans son accord : “c’est la loi”, rappelle-t-il. Une loi qu’elle n’a pas les moyens de changer.
Lorsqu’Hannah est internée en pension puis emprisonnée pour avoir rejoint son petit ami à Zürich, sa mère Therese ne peut rien faire pour elle. Ce n’est pas elle la “chef de famille”.
Trodi quant à elle a été expropriée après la mort de son conjoint, tandis que Graziella s’installe au village pour fuir un homme en Italie. La domination masculine est dépeinte sous tous ses aspects, du contrôle de la sexualité des jeunes filles à la dépendance économique entretenue, le tout ficelé par l'amour, la tendresse et la loyauté envers ceux-là même qui nous refusent nos droits.


Refusant une impuissance imposée par la volonté de Dieu mais surtout par leurs pères et conjoints, les trois amies fuguent, comme des ados, à Zürich, rejoignent une manifestation féministe et une réunion entre femmes pour enfin connaître et aimer leur sexe, apprennent à regarder leur corps avec leurs propres yeux et font la fête toute la nuit. De retour au village, elles font face à l’agressivité des hommes, à la peur des autres femmes et à la trahison.

Et si la solution était la grève des femmes ?
Tandis que les hommes sont bien obligés d’apprendre nourrir leurs enfants et eux-mêmes, les femmes se reposent, jouent, se parlent. De violences tues mais aussi d’amour et d’orgasmes - “Tu dois t’entraîner toute seule !” - et de cette “force” que l’on découvre en soi quand on s’accorde un moment d’entre-soi.

Ces héroïnes sont promptes à se traiter de lâches les unes les autres. Quant à nous, nous les admirons de braver autant d’interdits et de faire face à autant d’obstacles entremêlés. L’amour pour les hommes tout d’abord, un fils raillé à l’école pour sa mère féministe et un conjoint à qui on pardonne les coups. La colère d’un époux qui s’entend conseiller par ses collègues de mieux “baiser sa femme”. La trahison d’une femme qui veut conserver sa parcelle de pouvoir. Le découragement, l’isolement, la volonté de Dieu constamment rabâché et la violence des hommes.

Lorsque Nora annonce à son conjoint qu’elle souhaite retrouver un emploi car elle s’ennuie chez elle, ce dernier s’en étonne puis s’en amuse. “Je vais te faire un autre enfant, ça va t’occuper !”, lui glisse-t-il à l'oreille avant de la saisir à bras le corps pour l’emmener dans la chambre.
Le viol punitif, l’humiliation, les représailles physiques, cette brutalité qui surgit dans les foyers et dans les rues dès que les femmes font un pas vers leur liberté, tout cela est présent dans le film, évoqué avec retenue dans le respect des héroïnes et du public.

Les femmes suisses ont obtenu le droit de vote en 1973 - celles du canton d’Appenzell, en 1990. Il reste d’autres combats à mener, là et ailleurs, nous ferons face à d’autres menaces et d’autres représailles. Surtout, il reste devant nos pas la suite de ce chemin exaltant qu’est l’engagement féministe.

Comme on dit en Schwitzerdütsch (suisse allemand) : “Merci” pour ce film magnifique et courage à nous toutes !












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