mercredi 23 avril 2014

Benoîte Groult à propos des hommes anti-choix


"Ces jeunes mecs vaccinés, psychanalysés, opérés de l'appendicite ou chimiquement tranquillisés et qui nous recommandent la résignation aux lois naturelles, quelle bouffonnerie ! " (Benoîte Groult, Ainsi soit-elle) 

Et plus haut : 
"Ils savent bien en effet qu'il ne s'agissait pas tant de nous obliger à avoir des enfants en ce monde surpeuplé, mais bien de nous maintenir dans la contingence. Jusqu'ici, nous *attendions* un enfant, nous *étions* enceintes, ou pire, nous *étions prises*, formules totalement passives, donc satisfaisantes selon le vieux schéma. Par la contraception - et l'avortement en cas d'échec -, il nous sera permis de *faire* un enfant, de *choisir* notre maternité, de devenir sujet et non objet. Enfanter ne sera plus une fatalité, mais sera un privilège. Or c'est cela que la morale traditionnelle ne saurait tolérer. Tant que la femme restait le lieu où se perpétuait aveuglément la lignée, l'égalité des sexes restait elle aussi une formule vide de sens. La maternité volontaire, c'est la liberté fondamentale qui commande toutes les autres. D'où ce refus exaspérés chez certains et presque cette terreur".

lundi 14 avril 2014

Colette - La Vagabonde - extrait

"Seule ! J'ai l'air de m'en plaindre, vraiment!
"Si tu vis toute seule, m'a dit Brague, c'est parce que tu le veux bien, n'est-ce pas?"
Certes, je le veux "bien", et même je le veux, tout court. Seulement voilà.. il y a des jours où la solitude, pour un être de mon âge, est un vin grisant qui vous saoule de liberté, et d'autres jours où c'est un tonique amer, et d'autres jours où c'est un poison qui vous jette la tête aux murs. 
Ce soir, je voudrais bien ne pas choisir. Je voudrais me contenter d'hésiter, et ne pas pouvoir dire si le frisson qui me prendra, en glissant entre mes draps froids, sera de peur ou d'aise. 
Seule... et depuis longtemps. Car je cède maintenant à l'habitude du soliloque, de la conversation avec la chienne, le feu, avec mon image... C'est une manie qui vient aux reclus, au vieux prisonniers; mais, moi, je suis libre... Et, si je me parle en dedans, c'est par besoin de rythmer, de rédiger ma pensée. 
J'ai devant moi, de l'autre côté du miroir, dans la mystérieuse chambre des reflets, l'image d'"une femme de lettres qui a mal tourné". On dit aussi de moi que je "fais du théâtre", mais on ne m'appelle jamais actrice. Pourquoi? Nuance subtile, refus poli, de la part du public et de mes amis eux-mêmes, de me donner un grade dans cette carrière que j'ai pourtant choisie... 
Une femme de lettres qui a mal tourné : voilà ce que je dois, pour tous, demeurer, moi qui n'écris plus, moi qui me refuse le plaisir, le luxe d'écrire... 
Ecrire! pouvoir écrire! cela signifie la longue rêverie devant la feuille blanche, le griffonnage inconscient, les jeux de la plume qui tourne en rond autour d'une tache d'encre, qui mordille le mot imparfait, le griffe, le hérisse de fléchettes, l'orne d'antennes, de pattes, jusqu'à ce qu'il perde la figure lisible de mot, mué en insecte fantastique, envolé en papillon-fée... 
Ecrire... C'est le regard accroché, hypnotisé par le reflet d'une fenêtre dans l'encrier d'argent, la fièvre divine qui monte aux joues, au front, tandis qu'une bienheureuse mort glace sur le papier la main qui écrit. Cela veut dire aussi l'oubli de l'heure, la paresse au creux du divan, la débauche d'invention d'où l'on sort courbatu, abêti, mais déjà récompensé, et porteur de trésors qu'on décharge lentement sur la feuille vierge, dans le petit cirque de lumière qui s'abrite sous la lampe... 
Ecrire! verser avec rage toute la sincérité de soi sur la papier tentateur , si vite, si vite que parfois la main lutte et renâcle, surmenée par le dieu impatient qui la guide... et retrouver, le lendemain, à la place du rameau d'or, miraculeusement éclos en une heure flamboyante, une ronce sèche, une fleur avortée... 
Ecrire! plaisir et souffrance d'oisifs! Ecrire! ... "

mercredi 2 avril 2014

De l’inconvénient pour les femmes de lever son majeur


J’arborais fièrement mes nouveaux collants couleur fraise, en mini-jupe, et comme l’expression vestimentaire d’une humeur légère et joyeuse a un prix, j’ai été gratifiée de sifflements et de remarques absconses de la part de commentateurs auto-proclamés qui m’ont croisée en voiture.

Auxquels j’ai répondu par un doigt d’honneur et un « connard ».

J’étais tout d’abord contente de moi, l’auto-défense agressive étant loin d’être un réflexe mais plutôt une discipline à laquelle je m’exerce.

Pourtant un sentiment de malaise suit de près la satisfaction immédiate. Pour me montrer offensante, j’ai fait un geste qui symbolise un phallus. J’ai signifié au bougre que je le pénétrais pour l’humilier. Or c’était lui qui avait fait montre d’un sentiment de supériorité typiquement masculin en me sifflant.
Il me dit : je t’humilie car j’ai une bite et que tu as des collants rose et je te rappelle ton statut d’objet sexuel
Je lui réponds : je t’humilie avec ma bite qui va te pénétrer et tu seras humilié d’être pénétré.
Une réponse plutôt inadaptée de ma part, n’est-ce pas ? Pour ne pas dire franchement ridicule. D’autant plus que je l’ai traité de « connard », insultant ma propre anatomie au passage. C’est la brebis qui dit au loup « t’as l’air con avec ta laine sur le dos ».

Quand je dois me mettre en colère, j’ai l’impression de donner des coups dans l’eau avec un couteau dont le manche est aussi tranchant que la lame, et de me retrouver avec la main cisaillée.

La domination est arrivée au point où la colère nous est interdite. Une femme en colère est accusée d’hystérie ou d’un autre trouble d’ordre psychologique, sa colère est immédiatement vidée de son sens. Elle est folle, rien de plus. Ou le classique « tu es jolie quand tu te mets en colère » que je vis comme une humiliation extrêmement pernicieuse. J’ai entendu récemment « la domination masculine ? Ma pauvre Pauline, si tu vois les choses comme ça, tu vas te rendre trop malheureuse ».
Et l’interdiction de se mettre en colère va plus loin que la décridibiliation de cette colère, qui passe souvent par la dépolitisation.
Nous n’avons pas d’outils pour être en colère. Les armes dont nous pourrions facilement nous saisir, à savoir le langage, se retournent contre nous.


A la question de savoir quels moyens il nous reste, j’ai envie de citer ce slogan féministe plein d’humour : « les femmes sont cantonnées à la cuisine, mais on oublie que c’est là qu’on trouve les couteaux ! »


Pour en lire davantage sur la misogynie inhérente aux insultes : ici 
Le Top Site d'Anna K.