mercredi 23 juin 2021

Sportives trans : des tricheurs ?

Rappel : pourquoi les femmes et hommes concourent séparément ? 

Depuis la participation progressive de femmes aux compétitions sportives de différentes disciplines, il est d’usage de séparer hommes et femmes dans la pratique et d’établir des classements masculins d’un côté et féminins de l’autre. Pour diverses raisons controversées qui ne seront pas développées ici, les hommes sont en moyenne plus grands que les femmes et présentent un avantage dans la force explosive, l’endurance et la capacité de récupération.  

La puberté entraîne des modifications corporelles différentes suivant que l’on est né fille ou garçon. L’ensemble des différences morphologiques liées au sexe, appelé dimorphisme sexuel, est plus important entre femmes et hommes qu’entre filles et garçons prépubères. 

 

Les hommes ont en moyenne une plus grande densité osseuse, des muscles plus puissants, la taille du coeur et un taux d’hémoglobine différent implique un meilleur acheminement de globule rouges dans les muscles et une plus grande cage thoracique donne de meilleures capacités respiratoires. Non seulement les femmes ont une musculature moins importante que les hommes, mais de plus, elles peuvent transporter des volumes d’oxygène moins importants, ce qui limite la capacité de mobilisation de ces muscles. Ainsi par exemple, malgré une maîtrise technique très poussée, l’une des meilleures joueuses de tennis au monde sera facilement mise en difficulté face à un joueur plus faible techniquement mais qui bénéficie d’un avantage physique substantiel du à cette capacité respiratoire maximale plus grande, avantage traduit en terme de force de frappe, de vitesse, mais aussi par une moindre fatigue accumulée. Comme le souligne la nageuse transgenre Sharron Davies dans les médias, cent hommes peuvent battre Serena Williams au tennis. En effet, si évoquons des données moyennes, il faut voir avant tout que l’homme le plus rapide à la course est vraiment, vraiment plus rapide que la femme la plus rapide à la course. 

 

Pour cet ensemble de raisons d’ordre physiologique, la meilleure femme athlète sera toujours perdante face à un homme. Si les femmes n’avaient pas leurs propres compétitions, aucune d’elle ne pourrait remporter de médaille dans la plupart des disciplines sportives. 

 

L’éthique du sport exige de faire se rencontrer des concurrent-es de même catégorie. Les minimes, qui ont entre 13 et 15 ans, ne concourent pas avec des adultes. On a créé des catégories de sexe, d’âge et éventuellement de poids pour que chaque athlète trouve un-e adversaire qu’il ou elle est capable de vaincre. En principe, les résultats d’une compétition ne sont pas joués d’avance. 


Les “femmes trans” qui participent à des compétitions sportives - et gagnent - sont-il des tricheurs ? 

Les personnes trans qui décident, à l’âge adulte, de concourir en tant que femme, ont fait leur transition après la puberté, alors que les avantages naturellement dévolus aux hommes étaient déjà présents. Ces personnes ont un corps d’homme adulte, qui plus est, un corps de sportif entraîné. 

 

Dans certaines compétitions internationales, les hommes doivent se soumettre toutefois à des modifications hormonales pour être considérés comme des sportives transgenres. En 2015, le Comité International Olympique a émis des « recommandations » non contraignantes, selon lesquelles les athlètes féminines trans devraient abaisser leur taux de testostérone à 10 nmol/L (nanomoles par litre) et maintenir ce taux pendant l’année qui précède la compétition. Ce chiffre correspond-t-il à la réalité physiologique d’une femme ? Nous en sommes encore très loin, les taux de testostérone des femmes se situent entre 0,54 à 2,4 nmol/L[1]

 

Par ailleurs, cette réduction de la testostérone n’annule absolument pas les avantages physiques acquis par ces athlètes à la puberté. La Youtubeuse transgenre Blaire White rappelle que les athlètes trans que nous voyons sur la première marche des podiums font habituellement leur transition entre 30 et 40 ans, après des décennies d’entraînement sportif d’un corps masculin[2]. La taille des membres et de la cage thoracique n’est évidemment pas touchée, et le corps garde en mémoire ses performances en tant qu’homme. Selon l’institut suédois de recherche médicale universitaire Karolinska, même en suivant les directives du CIO, les athlètes génétiquement masculins sont, en moyenne, 40 % plus lourds (pensons aux sports de contact, nous y venons), 15 % plus rapides et 25 à 50 % plus puissants que les athlètes féminines. Tout le monde a le dopage en horreur ; ayons en tête qu’il confère un avantage chiffré à 9 à 12% des performances[3]


Etre sportive trans : parcours d'opprimée ou bonne combine ? 

 

Alors que j’écris ces lignes, nombre de médias applaudissent la sélection de la Néo-Zélandaise Laurel Hubbard par son équipe nationale, « première athlète transgenre à participer aux Jeux olympiques » de Tokyo en 2021[4]

Née Gavin Hubbard, Laurel pèse 131 kg. Sa biographie indique qu’il a arrêté sa carrière d’haltérophile en 2001, puis qu’il a entamé une transition de genre en 2012, après être resté plus de 10 ans à l’écart des compétitions sportives. Lorsqu’il participe aux Championnats d’Haltérophilie d’Océanie de 2017 en tant que femme, Laurel Hubbard « établit un nouveau record ». Un record accessible à une femme ? En 2018, il provoque un accident de voiture, est condamné par la Justice pour négligence et commence à souffrir d’une blessure au dos qui vient s’ajouter à une blessure au coude qu’il s’est faite aux Commonwealth Games la même année. Malgré cela, au cours des deux années suivantes, il pulvérise un record féminin aux Championnats du monde de Thailande, un autre à l’Open Australia, et ajoute 3 médailles d’or à sa collection de trophées[5].  

 

Les voix en faveur de cette conception très particulière de l’« inclusivité » avancent que les inhibiteurs de testostérone ont un effet amenuisant sur l’organisme, les sportifs trans perdraient de leur capacité physique. Je note le paradoxe qu’il y a à affaiblir volontairement son corps lorsqu’on est passionné de sport. L’Américaine Chloé Anderson témoigne dans ce sens. C’était un jeune homme sportif, un volleyeur, jusqu’à ses 19 ans. Puis il a entamé une transition, avec un bouleversement hormonal qui lui a causé des problèmes de coordination et de faiblesse musculaire”. Elle témoigne sur les premiers mois de la prise d’hormones : “J’ai réalisé que mes muscles fondaient, c’était particulièrement difficile”. 

 

Malgré ces difficultés, la jeune femme rencontre le succès : à 24 ans, elle est admise dans l’équipe de l’Université UC Santa Cruz. Elle se réjouit de l’accueil de son coach : “Il n’a pas vu le fait que j’étais trans, il n’a considéré que mon niveau sportif”. On comprend que l’Université ait tout intérêt à intégrer dans son équipe féminine une joueuse qui a la capacité de récupération d’un homme[6]

 

Géraldine Smith, journaliste française résidant aux États-Unis, attire l’attention sur le fait que le sport au lycée revêt une importance particulière en terme de réussite socio-professionnelle. “Les élèves des lycées peuvent obtenir des bourses très importantes pour accéder à l’université grâce à leurs performances sportives, ce sont des enjeux énormes, certains peuvent ainsi économiser plusieurs centaines de milliers de dollars." Ainsi Chloé Anderson, après un passé de jeune homme aux résultats scolaires à peine suffisants pour passer dans la classe supérieure, obtient une place chère et convoitée dans une université californienne. 


Quand un "je suis une femme" suffit à faire d'un loser un vainqueur 


Dans le sport amateur, il est matériellement difficile de tester le taux d’hormones masculines des participants. Notons également que dans 17 états américains, les garçons peuvent être en compétition avec des filles jusqu’à l’âge de 18 ans – l’âge où une carrière se joue - , sans réduction de testostérone. Andraya Yearwood par exemple, du fait de son identité de genre déclarée, est arrivé premier aux épreuves de 100 mètres et 200 mètres haies, battant à plates coutures les jeunes filles les plus entraînées de son lycée du Connecticut. Il aurait été classé dernier parmi les garçons. Lors d’un championnat entre lycées du même état, toujours dans la catégorie des filles, il est arrivé second. Après un autre transgenre. 

 

Depuis 2019, sur le modèle des compétitions interuniversitaires canadiennes organisées par U Sports, les Jeux du Canada d’Hiver également autorisent les athlètes à concourir « dans la catégorie du genre auquel ils s’identifient ». David Patterson, président de ces Jeux, avance le respect de « l’inclusivité » et ajoute : « Nous voulons que les athlètes soient eux-mêmes »[7].

 

Le milieu du sport de haut niveau n’est pas unanime sur la question. Dans une tribune publiée sur le site du Times le 17 février 2019, Martina Navratilova, américaine d’origine tchèque et ancienne n°1 mondiale de tennis, réagit à la victoire écrasante de la cycliste sur piste transgenre Rachel McKinnon[8] aux Championnats du monde de Los Angeles en 2018. « Des centaines d’athlètes qui ont changé de genre par déclaration et avec un léger traitement hormonal ont déjà raflé des médailles en tant que femmes, alors qu’ils n’auraient jamais obtenu ces distinctions s’ils s’étaient mesurés à d’autres hommes. Le phénomène est particulièrement frappant dans les disciplines où la puissance est essentielle, davantage que la maîtrise technique. McKinnon n’est qu’un exemple parmi d’autres.”

L'ex-championne de tennis se préoccupe avant tout d’équité. Elle reconnait que tout le monde n’est évidemment pas à égalité face à une épreuve sportive, mais l’équité doit rester l’idéal vers lequel doit tendre le sport. Dans ce cas précis, Martina Navratilova dénonce une démarche active et consciente, de la part de personnes avec un corps d’homme entraîné, à abaisser leur taux de testostérone et changer de nom pour intégrer les compétitions féminines. Elle oppose cette démarche volontaire au cas souvent évoqué à ce sujet de Caster Semenya. L’athlète Sud-Africaine, triple championne du monde et double championne olympique du 800 mètres en 2012 et 2016, présente un excès naturel d’hormones masculines appelé hyperandrogénie. Née fille, elle n’a jamais pris d’hormone masculine dans le but d’être meilleure que ses concurrentes. Caster Semenya s’est entraînée avec les autres femmes et a gagné certes en partie du fait de son corps exceptionnel, mais sans avoir eu recours à quelque modification hormonale ou dopage que ce soit. Pourtant, la Fédération Internationale World Athletics a décidé en 2019 qu’elle devait baisser artificiellement son taux de testostérone pour être autorisée à concourir sur le 800 mètres, sa distance de prédilection. « Je refuse de laisser World Athletics me droguer ou m'empêcher d'être qui je suis », a-t-elle déclaré. Aucune recherche n’a été menée pour s’assurer de la non-dangerosité à long terme de cette modification hormonale. Caster Semenya a fait plusieurs fois appel de cette décision, sans succès. De ce fait, elle ne pourra pas défendre son titre sur 800 mètres aux Jeux Olympiques de Tokyo[9].

Evincée, de même que Kuinini Manumua, haltérophile néo-zélandaise de 21 ans qui doit céder sa place à Laurel Hubbard, 43 ans, aux prochains Jeux Olympiques, comme les autres femmes qui ont été écartées des Jeux, ou bien qui ne décrocheront aucun titre, car elles seront en compétition avec l’un des 8 hommes qui s’identifient comme femme qui devraient participer aux JO de Tokyo à l’été 2021. 

 

A la suite de cette tribune, Paula Radcliffe, qui détient le record mondial de marathon, a dénoncé une « manipulation » des résultats lorsqu’un « homme biologique entre en compétition avec des femmes ». Kelly Holmes, médaillée d’or du 800 mètres et 1500 mètres aux Jeux Olympiques de 2004, précise dans un tweet qu’il ne s’agit pas « d’être transphobe ou de vouloir empêcher les gens de vivre leur vie comme ils l'entendent. Dans le sport, cette question soulève des problèmes différents pour des raisons évidentes »[10]


Les femmes en danger physique. Quand les sportives trans sont des hommes violents presque comme les autres

 

La même période, début 2019, a vu se former la coalition Save Women's Sports[11]. Sa fondatrice, Beth Stelzer, une haltérophile amatrice du Minnesota, a un message clair : si la définition du mot « femme » est abandonnée au profit d’une identité de genre sans critère biologique, « il n’y aura plus de sport féminin ». L’une des membres les plus éminentes de ce collectif, Linda Blade, est une coach sportive canadienne avec 40 ans d’expérience qui a notamment été l’entraîneuse d’un couple médaillé d’or aux Jeux Olympiques en patinage artistique. Elle est inquiète et en colère. Plus grave encore que l’éviction injuste de femmes aux premières marches des podiums, Linda Blade dénonce les blessures graves qu’ont subi des femmes à cause d’adversaires masculins dans des sports de contact comme le handball, le rugby et la MMA (Mixed Martial Arts). 

 

Fallon Fox par exemple, se déclare transgenre en 2013, après avoir déjà remporté deux victoires contre des femmes sans avoir révélé être trans. Fallon Fox commence à faire parler de lui après un match qui n’a duré que 39 secondes. Erika Newsome, dite « le Pitbull », frappe les côtes de Fox qui reste imperturbable. Le combattant transgenre tenait déjà fermement la tête de son adversaire. C’est alors que, ses mains tenant fermement l’arrière de son crâne, Fallon Fox baisse brusquement la tête d’Erika Newsome et lui donne un gigantesque coup de genou dans le menton. Elle tombe face à terre, inconsciente. Sa carrière est terminée[12]. Personne ne l’avait prévenue que son adversaire était un homme. L’année suivante, Fallon Fox gagne un autre combat contre Tamikka Brents, lui causant une commotion cérébrale et 7 fractures du pourtour de l’oeil, dont une fracture d’un os situé derrière l’œil, à l’intérieur du crâne. A présent, un homme a la possibilité de faire fortune en brisant le crâne d’une femme. Les productions Mark Gordon Pictures sont quant à elles en train de préparer un biopic sur « la première combattante de MMA ouvertement trans », co-scénarisé par Fallon Fox lui-même. 

Les femmes bientôt chassées du sport ? 

La coach Linda Blade a de bonnes raisons d’être morose. « Quand j’entraîne une jeune fille dont le rêve est de devenir une grande athlète, qu’est-ce que je dois lui dire ? Est-ce que je dois lui mentir et lui dire qu’elle a sa chance, alors que je sais qu’elle devra se confronter à des hommes biologiques toujours plus nombreux ? »[13] Les jeunes sportives sont découragées dès le lycée, elles savent qu’elles sont vaincues d’avance. « L’important c’est de participer » ? Mais à quoi bon ? 

Fondateur des Jeux modernes, le très misogyne et raciste Pierre de Coubertin exprimait clairement sa révulsion envers des « olympiades femelles, inintéressantes, inesthétiques et incorrectes ». Il a toujours obstinément refusé la participation de femmes : « Aux Jeux olympiques, leur rôle devrait être surtout, comme aux anciens tournois, de couronner les vainqueurs ». Le Baron aurait été ravi de voir que, près d’un siècle après la première participation de femmes aux JO en 1928, les Jeux Olympiques sont en train de revenir à leur état d’antan. 



[1] https://tradfem.wordpress.com/2020/10/23/barbara-kay-les-politiques-sportives-transgenristes-ont-jete-par-la-fenetre-toute-pretention-au-fair-play/

[2] https://www.youtube.com/watch?v=20vfmSjnYFw

[3] https://tradfem.wordpress.com/2020/10/23/barbara-kay-les-politiques-sportives-transgenristes-ont-jete-par-la-fenetre-toute-pretention-au-fair-play/

[4] https://www.francetvinfo.fr/sports/halterophilie/jo-2021-l-halterophile-laurel-hubbard-premiere-athlete-transgenre-a-participer-aux-jeux-olympiques_4672615.html

[5] https://todayuknews.com/us-news/the-story-behind-new-zealand-transgender-weightlifter-laurel-hubbard/

[11] https://savewomenssports.com

[12] https://www.theverge.com/2013/3/21/4131174/fallon-fox-mma-science-transgender-fighting-athletes

mercredi 1 avril 2020

Le genre comme identité, faillite de la pensée rationnelle


Il semble que de nos jours, la biologie soit obsolète. Qu’un homme proclame qu’il se “sent femme”, il obtient à l’instant même le statut de “femme trans”, et comme “les femmes trans sont des femmes”, cet homme en devient une de fait, sur la base de son ressenti et de son discours. 
C’est du moins la vision de certain.es militant.es et intellectuel.les. Les effets concrets de cette idéologie ne sont pas encore visibles en France, mais ce mouvement progresse et sa concrétisation, déjà avancée dans d’autres pays, présente de nombreux dangers. 
Revenons aux premisses du débat : selon les tenants du transgenrisme, la définition biologique de qui est une femme et qui est un homme est non seulement inepte, mais aussi “transphobe”. 
Les tenants de l’idéologie transgenriste proposent une nouvelle définition des mots homme et femme. Toute définition peut être remise en cause, toute polysémie peut être envisagée, et en particulier lorsqu’il s’agit d’accroître le bien-être des personnes. Or ici, cette nouvelle définition des termes est une aberration logique. 
Pour en cerner l’incohérence de ces définitions, revenons à la base.

A quoi sert un mot ?
Certain mots, dits concret, désignent des objets ou personnes concrètes (les hommes et les femmes sont des réalités tangibles, et non pas des concepts comme la liberté). Chacun correspond à une catégorie d’individus qui sont distingués d’autres individus (qui seront désignés par un autre mot) sur la base de caractéristiques observables dans le champ de l’expérience.
Ces caractéristiques font l’objet d’un consensus dans un groupe linguistique donné. Toutes les personnes francophones désignent comme « siège » un support conçu pour s’asseoir. Si une personne décide d’utiliser le mot « dé à coudre » pour désigner un support pour s’asseoir, elle ne sera pas comprise. Les mots doivent correspondre à une distinction entre certains objets ou individus et d’autres, sur la base d’éléments observables mais aussi réfutables. On peut raisonnablement affirmer qu’une tasse n’a pas été conçue pour s’asseoir et ne peut donc pas être considérée comme un siège.
Tous les mots concrets sont les supports de conventions sociales qui séparent une catégorie d’objets ou de personnes selon des caractéristiques observables par des personnes extérieures et qui font l’objet d’un consensus.

A quoi bon créer des mots et donc séparer des objets en catégories ? Tout simplement car le choix de ces caractéristiques a une finalité qui se manifeste dans le monde réel. Si je prête mon appartement à une amie en lui disant « tu vas très bien t’entendre avec mon chien », si mon chien a l’ADN d’une espèce que l’on appelle habituellement un chat, et si mon amie est allergique à ces animaux précisément, elle se rendra bien compte que l’usage de mots qui distingue une espèce animale d’une autre a une utilité bien concrète.  
Les êtres humains ont forgé les mots femme et homme en utilisant comme critères de différentiation des éléments observables et réfutables : les différences anatomiques et le rôle dans la procréation. Il existe certes une petite minorité de personnes intersexes, mais il n’en reste pas moins que l’espèce humaine, comme toute espèce animale qui procrée grâce à des gamettes mâles et femelles, est une espèce composée d’hommes et de femmes et que chaque personne, sauf exception, est facilement identifiable en tant que l’un ou l’autre.
La distinction entre hommes et femmes dans le langage a elle aussi une utilité ; dans le domaine médical notamment, avec l’interprétation de symptômes ou le dépistage de troubles spécifiques. Dans le domaine du sport, il est nécessaire de séparer les compétiteurs et compétitrices en fonction de leur sexe pour prendre en compte la réalité du dimorphisme de taille et de masse musculaire.
Selon la définition des tenants du transgenrisme, « homme » et « femme » sont des identités qui ont pour base un ressenti personnel, intime, et qui ne se manifeste pas forcément par des signes extérieurs. On peut être un homme tout en ayant un sexe biologique constaté médicalement à la naissance comme étant celui d’une fille. Seul l’individu peut déterminer, indépendamment du constat médical, s’il est une femme ou un homme. Et quelle que soit son apparence physique ou son comportement, personne ne devrait pouvoir contester cette affirmation, au risque d’être qualifié de “transphobe”. 
Est une femme qui décrète qu’il ou elle se sent en conformité avec le fait d’être une femme. 
Les transgenristes ont créé la première catégorie de mots concrets qui ont une définition circulaire. « Un poisson est un animal qui a tous les traits d’un poisson » ; même s’il a des plumes et s’il vole dans le ciel ; même s’il a quatre pattes et s’il aboie. La définition ne renvoie à aucun élément tangible et observable dans le réel, elle ne renvoie qu’à elle-même et donc ne désigne rien.
Les transgenristes ont l’habitude d’utiliser un parallèle avec l’homosexualité. Il s’agit aussi d’un ressenti, les personnes homosexuel.les ne présentent pas de « signe extérieur » observable de façon objective.
C’est vrai, mais j’ai une objection. Il n’y a rien de commun à dire qu’un être humain est une femme – en se fondant sur l’observation de ses chromosomes, donc d’une donnée stable pendant toute la durée de sa vie ; et à dire qu’une personne est homosexuel.le. L’homosexualité n’est pas inscrite dans le corps comme le sont les 6500 expressions de gènes qui distinguent les hommes et les femmes. Elle se définit par un ensemble d’appétences affectives et sexuelles, et de pratiques sexuelles.
Or le fait d’être une femme ne correspond à aucune appétence ni pratique. Tous les goûts et toutes les pratiques peuvent se rencontrer, dans le domaine de l’amour et de la sexualité comme dans tous les autres domaines de l’existence. Il n’existe pas de « goût », de « pulsion » ou de « mode de vie » propre aux femmes. Affirmer le contraire est d’un sexisme qui appartient à un autre temps.
« Les femmes trans sont des femmes », corrige la rédactrice en chef du Huffington Post avec contrition. « Trans women are women. Trans men are men », récite le maire de Londres. « Trans women are women. Repeat after me », ordonne une gigantesque peinture murale, toujours en Angleterre.

L’identité de genre est un ressenti affirmé qui ne peut pas être réfuté. Si elle ne supporte pas la remise en question (qui serait de la transphobie et justifierait bannissement des réseaux sociaux et menace des pires tortures), c’est justement parce qu’elle ne repose sur aucun élément que l’on peut établir par l’observation ou l’argumentation. 
Par ailleurs, le genre comme identité ne renvoie pas à des éléments de définitions extérieurs à lui-même, telle qu’une forme de sensibilité ou des émotions pouvant être décrites autrement que « ressenti d’être une femme ». Sa définition est circulaire et indéfiniment close sur elle-même.

C’est un ressenti qui ne peut pas être défini, contrairement à une orientation sexuelle, une souffrance psychique qui peut être décrite grâce à des comparaisons ou la description de sensations corporelles, ou une émotion qui a un effet sur le corps (battements du cœur, transpiration, pensées orientées de façon spécifique).
L’identité de genre existe en dehors du tangible, du mesurable et du qualifiable, bref du réel.

Elle est du domaine de la foi, qui ne s’explique pas et ne se justifie pas. Comme toute croyance, elle échappe au domaine de l’expérimentation sensorielle. Elle existe, voilà tout. La méthode scientifique ne saurait l’infirmer, puisqu’elle n’appartient pas au monde tangible des mesures et des observations.

Dans une société rationaliste comme la nôtre, il est établi que les croyances font partie de la sphère privée et qu’elles ne doivent pas influencer la science ni la politique. Elles ne doivent pas non plus nuire à la santé ni au bien-être de qui que ce soit, et ne doivent pas non plus être imposées aux non-croyant.es.  On ne saurait blâmer les personnes qui croient en la Résurrection, mais que personne ne m’oblige à dire « oui, c’est vrai, Il a ressuscité » - parce que je n’y crois pas. Qu’on ne m’oblige pas non plus à dire que quiconque « s’identifie comme femme », en est une.  

Le constat de cette ineptie logique ne doit pas nous faire oublier que certaines personnes souffrent d’un sentiment d’inadéquation entre leur corps et leur moi profond. 
Ce mal-être doit-il et peut-il être résolu par un bouleversement sémantique qui concerne l’ensemble de notre société ? Comme je l’expliquais dans une tribune publiée dans Marianne, la définition du genre comme une identité a des conséquences graves en matière de protection des droits des femmes. 
Nous devons collectivement nous interroger sur les causes d’un mal-être qui touche de nombreux-ses adolescent-es considéré-es comme “transgenres”. Faut-il leur administrer des traitements hormonaux aux conséquences irréversibles, et que certain-es regrettent quelques années plus tard, comme l’explique cet article de The Economist ? 
Pourquoi certain-es personnes ne supportent-elles plus le fait d’être une femme ou un homme ? Peut-être les contraintes que le genre nous imposent sont-elles insupportables pour certaines personnes ? 
Et si nous changions notre définition non pas de qui est une femme, de qui est un homme, mais de ce que doit être une femme, ce que doit être un homme ? Si ces mots ne désignent d’une réalité biologique, et si toutes les « identité » sont permises, alors personne n’aura besoin de manipuler le langage ni transformer les corps. 

mardi 3 mars 2020

"Les femmes doivent avoir le droit de s’organiser entre elles", Suzanne Moore, The Guardian



Traduction d’un article de l’éditorialiste Suzanne Moore paru le 2 mars 2020 sur le site du Guardian 


Les femmes doivent avoir le droit de s’organiser entre elles. 
Ils ne nous feront pas taire. 
La censure dont a été victime Selina Todd ce week-end doit nous alerter. Il nous faut protéger les droits des femmes biologiques. 
En février 1988, un groupe de lesbiennes descend en rappel le long de la façade de la Chambre des Lords et s'introduit dans le bâtiment; quelques mois plus tard, la militante Booam Temple interrompt le JT de 18 heures en surgissant sur le plateau. Toutes protestaient contre l'article 28 du Local Government Act, une disposition légale à l'initiative de Margaret Thatcher qui prohibe la "promotion de l'homosexualité", accusée de saper les fondements de la famille. 
Pendant que la présentatrice Sue Lawley annonçait la nouvelle du vote de la loi, les téléspectateurs pouvaient entendre les cris étouffés de Booam Temple, maintenue de force par le journaliste Nicholas Witchell.
Les homosexuels, les lesbiennes et leurs alliées faisaient alors front commun contre la répression du Tory conservateur. 
Les théories queer nous étaient familières, pour autant nous n'accordions pas une grande importance à notre identité sexuelle. Nos corps étaient réels, et le contexte aussi était réel : nous étions décimées par le sida. Nous n'avions pas d'autre choix que d'être solidaires, quelle que soit notre sexualité. 

Aujourd'hui, je suis accablée par le spectacle de nos divisions et nos querelles internes. Nous nous bâillonnons les uns les autres et nous sommes incapables de nouer des alliances. Nous avons perdu de vue qui sont nos vrais ennemis. 
Samedi dernier, Selina Todd, professeure d'Histoire moderne à l'Université d'Oxford, a été invitée à présenter de rapides remerciements lors de la commémoration du 50ème anniversaire de la Conférence inaugurale du Mouvement National de Libération des Femmes (National Women’s Liberation Conference) dans l'enceinte de l'Exeter College.
La conférence qu'elle devait donner la veille, en revanche, a été annulée. Selon elle, la raison de cette annulation est claire : il s'agit de sa participation à un meeting du Women's Place UK. Fondé en 2017 autour de propositions de refonte du Gender Equality Act, le collectif continue de militer pour la préservation d'espaces non-mixtes et de politiques publiques dédiées aux femmes sur la base de leur sexe biologique. En raison de l'intitulé de ce programme, l'estimée professeure d'Histoire de la classe ouvrière Selina Todd a été accusée sur les réseaux sociaux d'être transphobe. 



Selina Todd, The Guardian

Le Labour Party est à l'origine d'une série d'engagements pour les droits des trans (Labour Campaign for Trans Rights), signés notamment par les candidates à la tête du parti Lisa Nandy et Rebecca Long-Bailey. C'est dans le cadre que Women's Place UK a été qualifiée de "groupe haineux". 
Woman’s Place UK ne peut en aucun cas être qualifié de haineux. D'ailleurs, les engagements du Labour en faveur des trans a donné lieu à une vague de protestations de femmes, exprimée par le biais du hashtag ExpelMe ("Excluez-moi"). Ces femmes sont mal à l'aise face à l'idée que n'importe qui puisse s'auto-déclarer homme ou femme - pour de bonnes ou de mauvaises raisons. 

Selon le courant féministe radical, le genre est une construction sociale : les filles et les femmes n'ont pas naturellement un caractère dit féminin, et le même principe s'applique du côté des garçons. De là à considérer que le sexe biologique lui-même est construit socialement, le pas à franchir était très audacieux ; il a tout de même été franchi avec l'assertion que le sexe n'est pas une donnée matérielle mais une simple assignation ; en dépit du fait que le sexe est reconnaissable dès la vie in utero - ce qui est la cause de nombreux féminicides par interruption de grossesse. 
Le sexe biologique n'est pas un ressenti. "Femelle" est un qualificatif qui s'applique à toutes les espèces vivantes. Vous produisez des gamètes fécondables ? Alors vous êtes femelle. Que vous soyez un être humain ou une grenouille. C'est un phénomène simple et parfaitement connu, le sexe n'est pas un "spectre", malgré l'existence d'un nombre très réduit de personnes intersexes dont il faut évidemment protéger les droits. 
L'oppression des femmes repose intrinsèquement sur notre capacité reproductive. C'est en parlant de biologie, de menstruations, de maternité et de ménopause que nous avons fait avancer nos droits. Nous ne laisserons pas nos corps et nos voix être balayées d'un revers de main. Notre corps de femme est une réalité matérielle qui peut impliquer le viol ou la grossesse. Et le genre est un système d'oppression dont nous devons nous libérer. Certains tenants de l'idéologie transgenre affirment le contraire : le genre serait une réalité matérielle et quiconque peut se réclamer d'un genre ou d'un autre pour que l'appartenance devienne réelle, tandis que la binarité sexuée est une construction sociale. Selon cette logique, les droits des femmes, qui ont pour base le sexe biologique, sont donc parfaitement superflus. 

Je connais les conséquences d'une condamnation pour transphobie lors d'un procès invisible sur les réseaux sociaux. Dans mon cas, cela a été synonyme de menace de viol et de mort sur moi et les enfants, avec l'intervention de la police. Je suis également consciente du fait que les réseaux sociaux sont bien plus virulents que le monde physique. Malgré tout, je refuse de rester les bras croisés. Pendant que Polanski recevait un César, Todd était obligée de se taire. 
Ce dernier exemple de la censure d'une femme doit nous alerter. Soit vous défendez les droits des femmes sur la base de leur sexe biologique, soit vous acceptez purement et simplement de les voir disparaître. 

Accuser les femmes qui veulent s'organiser entre elles d'être transphobes est une impasse qui ne bénéficie qu'au patriarcat, qui ne redoute rien plus que l'affranchissement des femmes. Or nous sommes précisément en train de retomber dans une société qui interdit aux femmes toute décision concernant leur propre réalité. Pendant ce temps, la moitié des instances dirigeantes de ce pays est composée d'espaces réservés aux hommes. Qui les accuse d'être transphobes ? On ne parle jamais d'hommes qui devraient laisser un espace aux hommes trans. Ce sont une fois encore les femmes qui doivent céder. 

Nous sommes une majorité à souhaiter la meilleure vie possible à la petite minorité de personnes trans. Cette vie que nous leur souhaitons est une vie sans violence masculine. Les pires violences que subissent les trans ne sont pas le fait de féministes, contrairement à ce que l'on pourrait penser si l'on s'en tient aux accusations sur twitter. 

Les femmes doivent se protéger de la violence masculine, ce pourquoi nous réclamons des espaces en non-mixité. Ce besoin de protection doit être garanti pour les femmes les plus vulnérables, notamment celles qui vivent dans des centres d'hébergement d'urgence et les détenues. Il s'agit encore et toujours du patriarcat à l'oeuvre. D'ailleurs, comment en sommes-nous arrivés à ces nombres affolants et sans cesse croissants de jeunes filles qui demandent à se faire prescrire des traitements contre les troubles de la dysphorie du genre, alors qu'un nombre non négligeable d'entre elles finissent par regretter d'avoir eu recours à un dispositif qui les a rendues stériles ? 

Les femmes ont le droit de dénoncer les violeurs. Nous avons le droit de nous exprimer et de nous organiser sans nous entendre dire que nous exprimer est, en soi, dangereux. Continuez de me dire d'aller "crever au fond d'un fossé" et de me traiter de "terf", vous ne serez pas les premiers : quoique vous disiez, je m'identifie comme une femme qui ne compte pas se tenir tranquille. 
Et nous sommes plus nombreuses que vous croyez. 

• Suzanne Moore est éditorialiste au Guardian 


mardi 25 février 2020

Article d'Elaine Grisé : "Le Québec dira-t-il enfin que c'en est assez à Gabrielle Bouchard de la FFQ?"

Article d’Elaine Grisé, Québec 

Le Québec dira-t-il enfin que c'en est assez à Gabrielle Bouchard de la FFQ?

La personne à la présidence de la Fédération des femmes du Québec, un homme s’identifiant comme femme, fait des déclarations controversées depuis des années, dressant les femmes les unes contre les autres. Est-elle finalement allée trop loin ?

24 FÉVRIER 2020 par ELAINE GRISÉ


Gabrielle Bouchard (Image: Fédération des femmes du Québec)

La scène politique et féministe québécoise a été turbulente dernièrement. Pour être juste, c'est vrai des dernières années. Les débats politiques et idéologiques se retrouvent au cœur même des valeurs de la société et suscitent beaucoup de divisions. Aujourd'hui, les désaccords nous placent du « bon » ou du « mauvais » côté – les ennemis sont rapidement déterminés et traités comme immuables, que nous soyons de droite, de gauche ou dans le mouvement féministe.
Longtemps reconnue comme un groupe phare pour les droits des femmes au Québec et sur la scène internationale, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) n'est plus ce qu'elle était et suscite régulièrement la controverse.
Au cours de la dernière décennie, la FFQ a connu de nombreuses démissions de ses membres en raison de conflits politiques et de l'absence de processus ouverts et démocratiques en son sein. La difficulté à recruter la dernière présidente montre que le poste suscitait bien peu d’intérêt. La présidente précédente ayant quitté son poste rapidement en raison de conflits internes, seul Bouchard a postulé pour la remplacer. Sans compétition, il a été élu par acclamation à l'automne 2017.
Bouchard était controversé avant même qu'il ne prenne la tête de la FFQ. En 2015, la Commission des institutions tenait des consultations et des audiences publiques dans le but de rédiger le Règlement relatif au changement de nom et d’autres qualités de l'état civil pour les personnes transsexuelles ou transgenresBouchard représentait le Centre de lutte contre l’oppression des genres de l'Université Concordia lors des audiences, au cours desquelles il a déclaré qu'il faudrait un jour abolir les sexes et qu'il ne devrait pas y avoir de mention des mots « homme » ou « femme » dans les registres d'état civil du Québec.
Depuis que Bouchard a pris la présidence, pas une semaine passe sans que lui ou l'organisation fasse les manchettes. Cependant, pas pour les raisons auxquelles l'on s’attendrait d'une organisation se réclamant du féminisme. Par exemple, en juin dernier, il a gazouillé que les vasectomies devraient être obligatoires pour les hommes de 18 ans. À l'automne, il a encouragé les femmes non musulmanes à se voiler pour soutenir une députée à qui on a refusé l'accès au Salon Bleu de l'Assemblée nationale parce qu'elle portait un coton ouaté, en disant que le hijab est « badass ». Bouchard fait régulièrement des déclarations désobligeantes sur les féministes critiques du genre, et utilise l’insulte « TERF » pour attaquer celles qui sont en désaccord avec son idéologie sur l'identité de genre.     
Pour moi, le comportement et les commentaires de Bouchard ont toujours été inacceptables. Mais pour de nombreux membres du public, les politiciens et les médias, il a fallu les événements récents pour qu'ils mettent enfin leur pied à terre. 
Le 22 janvier dernier, Marylène Lévesque, une jeune femme dans l'industrie du sexe à Québec, a été tuée par un ex-détenu qui avait été reconnu coupable du meurtre de sa partenaire il y a 15 ans, mais qui était en semi-liberté, bien que demeurant un danger pour les femmes. Eustachio Gallese avait été autorisé à recourir aux services de femmes dans la prostitution dans le cadre d'une « stratégie » de libération conditionnelle. Alors que les féministes luttant contre l'exploitation dans l’industrie du sexe (abolitionnistes) et la société dans son ensemble étaient choquées et troublées, Bouchard gazouillait, soi-disant avec sarcasme, « Les relations hétérosexuelles sont vraiment violentes. De plus, la plupart des relations sont basées sur la religion. Il est peut-être temps d'avoir une conversation sur leur interdiction et leur abolition ».  
Dans son gazouillis, Bouchard se moquait une énième fois des abolitionnistes, arguant que la prostitution n'a pas été un facteur dans la mort de cette jeune femme, et affirmant que nous pourrions tout aussi bien interdire l'hétérosexualité si nous voulons argumenter contre le commerce du sexe. Le commentaire sur la religion était une tentative de s'en prendre aux femmes qui appuient la loi québécoise sur la laïcité, et de dépeindre celles-ci comme des hypocrites. 
Il semble que ce fut la goutte de trop pour les médias et le public, qui ont fait grand cas du gazouillis de Bouchard. La FFQ s'est dissociée de ses propos, tandis que plusieurs politiciens, journalistes et membres du grand public ont demandé sa démission et que le gouvernement du Québec retire le financement de l'organisme. (La FFQ est aussi largement subventionnée par le gouvernement fédéral, jusqu’à hauteur de 500 000 $ par année). Depuis, la FFQ et Bouchard sont demeurés silencieux.   
Un jour avant de gazouiller sur Lévesque, Bouchard avait publié un autre gazouillis odieux, visant les abolitionnistes. Le mépris des abolitionnistes au Québec a été renouvelé récemment, de la part de ceux qui soutiennent le « libre choix » des clients d'acheter des services sexuels, en lien avec l'avènement de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs, lancée en novembre 2019. Montréal a la réputation d'être une plaque tournante de l'exploitation sexuelle des femmes, et la commission a été mise sur pied afin d'étudier la vulnérabilité des mineures au trafic sexuel au Québec. Lors des audiences de la commission, la plupart des intervenants ont dénoncé l'exploitation sexuelle des jeunes, ont parlé de la nécessité de cibler les acheteurs de services sexuels et ont insisté sur la sensibilisation et l'éducation sexuelle des jeunes.
Toutefois, deux groupes se sont distingués au cours des audiences, au point de devoir être rappelés à l'ordre en raison de leur mépris affiché pour les autres intervenants : Stella, un groupe de défense des « travailleuses du sexe », dont la directrice, Sandra Wesley, siège également au conseil d'administration de la FFQ ; et Piamp, un projet d'intervention auprès des mineur-e-s prostitué-e-s. Les deux groupes ont repris leur rhétorique habituelle, voulant que les femmes qui se prostituent sont consentantes, qu'elles ont du pouvoir et qu'elles tirent profit de leur travail dans l'industrie. Elles ont même avancé que la lutte contre l'exploitation des mineurs est 1) un faux problème, car l'exploitation n'est pas la norme, et 2) une forme de paternalisme, car les jeunes savent ce qu'ils font et sont les experts de leur vie. 
Le 27 janvier, en réponse à l'audience, Bouchard a gazouillé:
« Les abolos sont des collabos
Des répressions policières
Des marginalisations
De la justification de la déshumanisation
De la victimisation 
Des femmes de l’industrie »

Le même jour, il était interviewé à Québec Réveille au sujet de « l'appropriation des expériences des femmes dans l'industrie du sexe ». Il en a profité pour s'attaquer à La CLES (La concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle), une organisation qui lutte contre l’industrie du sexe et soutient les femmes souhaitant en sortir, et plus largement les abolitionnistes. « La CLES a dit que le meurtre de Lévesque est la preuve qu'il faut abolir la prostitution... Cette façon de penser fait en sorte que les femmes ne peuvent pas travailler en toute sécurité », a déclaré Bouchard à l'animatrice. Essentiellement, il a soutenu que la criminalisation des proxénètes et des clients stigmatise les femmes dans l'industrie, ce qui ensuite amène les hommes qui achètent des services sexuels à infliger des violences aux femmes prostituées. Bouchard a également affirmé que La CLES utilisait la mort de la femme à des fins politiques, plutôt que de se préoccuper réellement des femmes victimes de la violence masculine. Bouchard a ajouté que les militants en faveur de l’industrie du sexe devraient assister au rassemblement du 30 janvier à la mémoire de Lévesque, craignant que l'événement soit monopolisé par les abolitionnistes. 

Parlant de fins politiques… Bouchard et Stella ont tous deux choisi de blâmer les féministes pour la mort de la jeune femme, plutôt que le tueur lui-même, affirmant que les abolitionnistes détestent les femmes dans la prostitution. On pourrait penser que celles qui préconisent l'« intersectionnalité » comprennent la multitude de systèmes oppressifs qui conduisent des femmes à se prostituer (les femmes pauvres, marginalisées, autochtones ou racialisées y sont surreprésentées), mais il semble que ce ne soit pas le cas.

Après des années à prétendre écouter et valoriser les perspectives des défenseuses de l'industrie du sexe et des abolitionnistes de manière égale, et à faire la distinction entre « agentivité » et « exploitation », les membres de la FFQ ont voté en faveur de la décriminalisation complète de l'industrie en 2018. À la suite de cette assemblée générale (j'épargnerai aux lectrices les détails du manque de démocratie interne de la FFQ, connu depuis une dizaine d'années, et des moyens utilisés par l'organisation pour rejeter et faire taire celles qu'elle ne souhaite pas entendre), deux groupes importants – la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et La CLES – ont quitté la FFQ, entraînant avec eux des milliers de membres mécontentes.   
À chacune des frasques de Bouchard, les médias se demandent ce que fait cet homme à la tête d'un groupe de femmes. Bouchard se dit préoccupé par les femmes marginalisées, ce qui est valable. Cependant, il le fait avec un grand mépris pour les femmes « non-opprimées » : celles qu'il appelle « cis », ainsi que les femmes blanches ou hétérosexuelles – 80 % des femmes au Québec, en d'autres termes. Il favorise l'inclusion et la tolérance en excluant et en étant intolérant (de façon très provocante, d'ailleurs). On s'attendrait à un peu plus de réserve de la part d'une personne dans sa position, d'autant plus qu'il allègue parler au nom de toutes les femmes. En réalité, Bouchard ne fait que se défendre lui-même ainsi que sa clique.
Sa définition personnelle de l'approche "intersectionnelle" ne favorise pas la solidarité entre les femmes, ce qui devrait être le mandat de base de la FFQ, mais divise plutôt les femmes. Beaucoup de Québécoises ne s’y sentent plus représentées. PDF Québec (Pour les droits des femmes du Québec) a été créé en 2013 après le départ en 2009 de nombreuses femmes insatisfaites de la FFQ, notamment pour ses prises de position en faveur du voile. PDF Québec fait appel à un nombre croissant de féministes en raison de son approche universaliste. 
Bien qu'il reste encore beaucoup de travail à faire, la vision de la société québécoise sur l'exploitation sexuelle a beaucoup évolué au cours des dernières années. Être abolitionniste n'est plus considéré comme un défaut. Cependant, la FFQ et d'autres organisations « pro-sexe » poursuivent leur campagne de dénigrement contre les abolitionnistes sans trop de résistance. La société critique la FFQ lorsqu'elle s'attaque aux hommes, aux hétérosexuels et à la maternité, mais rarement lorsqu'elle s'attaque aux abolitionnistes ou aux femmes critiques de l’idéologie de genre. Peut-être que les organisations prétendant s'intéresser à la « diversité » et à l'« inclusion » ne sont pas si « diversifiées » et « inclusives » après tout.

Elaine Grisé est titulaire d'une maîtrise en sexologie et en études féministes. Elle est une abolitionniste du genre et de l’industrie du sexe vivant à Montréal.

Ce texte est publié dans sa version originale sur le site Feminist Current.
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