mercredi 1 avril 2020

Le genre comme identité, faillite de la pensée rationnelle


Il semble que de nos jours, la biologie soit obsolète. Qu’un homme proclame qu’il se “sent femme”, il obtient à l’instant même le statut de “femme trans”, et comme “les femmes trans sont des femmes”, cet homme en devient une de fait, sur la base de son ressenti et de son discours. 
C’est du moins la vision de certain.es militant.es et intellectuel.les. Les effets concrets de cette idéologie ne sont pas encore visibles en France, mais ce mouvement progresse et sa concrétisation, déjà avancée dans d’autres pays, présente de nombreux dangers. 
Revenons aux premisses du débat : selon les tenants du transgenrisme, la définition biologique de qui est une femme et qui est un homme est non seulement inepte, mais aussi “transphobe”. 
Les tenants de l’idéologie transgenriste proposent une nouvelle définition des mots homme et femme. Toute définition peut être remise en cause, toute polysémie peut être envisagée, et en particulier lorsqu’il s’agit d’accroître le bien-être des personnes. Or ici, cette nouvelle définition des termes est une aberration logique. 
Pour en cerner l’incohérence de ces définitions, revenons à la base.

A quoi sert un mot ?
Certain mots, dits concret, désignent des objets ou personnes concrètes (les hommes et les femmes sont des réalités tangibles, et non pas des concepts comme la liberté). Chacun correspond à une catégorie d’individus qui sont distingués d’autres individus (qui seront désignés par un autre mot) sur la base de caractéristiques observables dans le champ de l’expérience.
Ces caractéristiques font l’objet d’un consensus dans un groupe linguistique donné. Toutes les personnes francophones désignent comme « siège » un support conçu pour s’asseoir. Si une personne décide d’utiliser le mot « dé à coudre » pour désigner un support pour s’asseoir, elle ne sera pas comprise. Les mots doivent correspondre à une distinction entre certains objets ou individus et d’autres, sur la base d’éléments observables mais aussi réfutables. On peut raisonnablement affirmer qu’une tasse n’a pas été conçue pour s’asseoir et ne peut donc pas être considérée comme un siège.
Tous les mots concrets sont les supports de conventions sociales qui séparent une catégorie d’objets ou de personnes selon des caractéristiques observables par des personnes extérieures et qui font l’objet d’un consensus.

A quoi bon créer des mots et donc séparer des objets en catégories ? Tout simplement car le choix de ces caractéristiques a une finalité qui se manifeste dans le monde réel. Si je prête mon appartement à une amie en lui disant « tu vas très bien t’entendre avec mon chien », si mon chien a l’ADN d’une espèce que l’on appelle habituellement un chat, et si mon amie est allergique à ces animaux précisément, elle se rendra bien compte que l’usage de mots qui distingue une espèce animale d’une autre a une utilité bien concrète.  
Les êtres humains ont forgé les mots femme et homme en utilisant comme critères de différentiation des éléments observables et réfutables : les différences anatomiques et le rôle dans la procréation. Il existe certes une petite minorité de personnes intersexes, mais il n’en reste pas moins que l’espèce humaine, comme toute espèce animale qui procrée grâce à des gamettes mâles et femelles, est une espèce composée d’hommes et de femmes et que chaque personne, sauf exception, est facilement identifiable en tant que l’un ou l’autre.
La distinction entre hommes et femmes dans le langage a elle aussi une utilité ; dans le domaine médical notamment, avec l’interprétation de symptômes ou le dépistage de troubles spécifiques. Dans le domaine du sport, il est nécessaire de séparer les compétiteurs et compétitrices en fonction de leur sexe pour prendre en compte la réalité du dimorphisme de taille et de masse musculaire.
Selon la définition des tenants du transgenrisme, « homme » et « femme » sont des identités qui ont pour base un ressenti personnel, intime, et qui ne se manifeste pas forcément par des signes extérieurs. On peut être un homme tout en ayant un sexe biologique constaté médicalement à la naissance comme étant celui d’une fille. Seul l’individu peut déterminer, indépendamment du constat médical, s’il est une femme ou un homme. Et quelle que soit son apparence physique ou son comportement, personne ne devrait pouvoir contester cette affirmation, au risque d’être qualifié de “transphobe”. 
Est une femme qui décrète qu’il ou elle se sent en conformité avec le fait d’être une femme. 
Les transgenristes ont créé la première catégorie de mots concrets qui ont une définition circulaire. « Un poisson est un animal qui a tous les traits d’un poisson » ; même s’il a des plumes et s’il vole dans le ciel ; même s’il a quatre pattes et s’il aboie. La définition ne renvoie à aucun élément tangible et observable dans le réel, elle ne renvoie qu’à elle-même et donc ne désigne rien.
Les transgenristes ont l’habitude d’utiliser un parallèle avec l’homosexualité. Il s’agit aussi d’un ressenti, les personnes homosexuel.les ne présentent pas de « signe extérieur » observable de façon objective.
C’est vrai, mais j’ai une objection. Il n’y a rien de commun à dire qu’un être humain est une femme – en se fondant sur l’observation de ses chromosomes, donc d’une donnée stable pendant toute la durée de sa vie ; et à dire qu’une personne est homosexuel.le. L’homosexualité n’est pas inscrite dans le corps comme le sont les 6500 expressions de gènes qui distinguent les hommes et les femmes. Elle se définit par un ensemble d’appétences affectives et sexuelles, et de pratiques sexuelles.
Or le fait d’être une femme ne correspond à aucune appétence ni pratique. Tous les goûts et toutes les pratiques peuvent se rencontrer, dans le domaine de l’amour et de la sexualité comme dans tous les autres domaines de l’existence. Il n’existe pas de « goût », de « pulsion » ou de « mode de vie » propre aux femmes. Affirmer le contraire est d’un sexisme qui appartient à un autre temps.
« Les femmes trans sont des femmes », corrige la rédactrice en chef du Huffington Post avec contrition. « Trans women are women. Trans men are men », récite le maire de Londres. « Trans women are women. Repeat after me », ordonne une gigantesque peinture murale, toujours en Angleterre.

L’identité de genre est un ressenti affirmé qui ne peut pas être réfuté. Si elle ne supporte pas la remise en question (qui serait de la transphobie et justifierait bannissement des réseaux sociaux et menace des pires tortures), c’est justement parce qu’elle ne repose sur aucun élément que l’on peut établir par l’observation ou l’argumentation. 
Par ailleurs, le genre comme identité ne renvoie pas à des éléments de définitions extérieurs à lui-même, telle qu’une forme de sensibilité ou des émotions pouvant être décrites autrement que « ressenti d’être une femme ». Sa définition est circulaire et indéfiniment close sur elle-même.

C’est un ressenti qui ne peut pas être défini, contrairement à une orientation sexuelle, une souffrance psychique qui peut être décrite grâce à des comparaisons ou la description de sensations corporelles, ou une émotion qui a un effet sur le corps (battements du cœur, transpiration, pensées orientées de façon spécifique).
L’identité de genre existe en dehors du tangible, du mesurable et du qualifiable, bref du réel.

Elle est du domaine de la foi, qui ne s’explique pas et ne se justifie pas. Comme toute croyance, elle échappe au domaine de l’expérimentation sensorielle. Elle existe, voilà tout. La méthode scientifique ne saurait l’infirmer, puisqu’elle n’appartient pas au monde tangible des mesures et des observations.

Dans une société rationaliste comme la nôtre, il est établi que les croyances font partie de la sphère privée et qu’elles ne doivent pas influencer la science ni la politique. Elles ne doivent pas non plus nuire à la santé ni au bien-être de qui que ce soit, et ne doivent pas non plus être imposées aux non-croyant.es.  On ne saurait blâmer les personnes qui croient en la Résurrection, mais que personne ne m’oblige à dire « oui, c’est vrai, Il a ressuscité » - parce que je n’y crois pas. Qu’on ne m’oblige pas non plus à dire que quiconque « s’identifie comme femme », en est une.  

Le constat de cette ineptie logique ne doit pas nous faire oublier que certaines personnes souffrent d’un sentiment d’inadéquation entre leur corps et leur moi profond. 
Ce mal-être doit-il et peut-il être résolu par un bouleversement sémantique qui concerne l’ensemble de notre société ? Comme je l’expliquais dans une tribune publiée dans Marianne, la définition du genre comme une identité a des conséquences graves en matière de protection des droits des femmes. 
Nous devons collectivement nous interroger sur les causes d’un mal-être qui touche de nombreux-ses adolescent-es considéré-es comme “transgenres”. Faut-il leur administrer des traitements hormonaux aux conséquences irréversibles, et que certain-es regrettent quelques années plus tard, comme l’explique cet article de The Economist ? 
Pourquoi certain-es personnes ne supportent-elles plus le fait d’être une femme ou un homme ? Peut-être les contraintes que le genre nous imposent sont-elles insupportables pour certaines personnes ? 
Et si nous changions notre définition non pas de qui est une femme, de qui est un homme, mais de ce que doit être une femme, ce que doit être un homme ? Si ces mots ne désignent d’une réalité biologique, et si toutes les « identité » sont permises, alors personne n’aura besoin de manipuler le langage ni transformer les corps. 

mardi 3 mars 2020

"Les femmes doivent avoir le droit de s’organiser entre elles", Suzanne Moore, The Guardian



Traduction d’un article de l’éditorialiste Suzanne Moore paru le 2 mars 2020 sur le site du Guardian 


Les femmes doivent avoir le droit de s’organiser entre elles. 
Ils ne nous feront pas taire. 
La censure dont a été victime Selina Todd ce week-end doit nous alerter. Il nous faut protéger les droits des femmes biologiques. 
En février 1988, un groupe de lesbiennes descend en rappel le long de la façade de la Chambre des Lords et s'introduit dans le bâtiment; quelques mois plus tard, la militante Booam Temple interrompt le JT de 18 heures en surgissant sur le plateau. Toutes protestaient contre l'article 28 du Local Government Act, une disposition légale à l'initiative de Margaret Thatcher qui prohibe la "promotion de l'homosexualité", accusée de saper les fondements de la famille. 
Pendant que la présentatrice Sue Lawley annonçait la nouvelle du vote de la loi, les téléspectateurs pouvaient entendre les cris étouffés de Booam Temple, maintenue de force par le journaliste Nicholas Witchell.
Les homosexuels, les lesbiennes et leurs alliées faisaient alors front commun contre la répression du Tory conservateur. 
Les théories queer nous étaient familières, pour autant nous n'accordions pas une grande importance à notre identité sexuelle. Nos corps étaient réels, et le contexte aussi était réel : nous étions décimées par le sida. Nous n'avions pas d'autre choix que d'être solidaires, quelle que soit notre sexualité. 

Aujourd'hui, je suis accablée par le spectacle de nos divisions et nos querelles internes. Nous nous bâillonnons les uns les autres et nous sommes incapables de nouer des alliances. Nous avons perdu de vue qui sont nos vrais ennemis. 
Samedi dernier, Selina Todd, professeure d'Histoire moderne à l'Université d'Oxford, a été invitée à présenter de rapides remerciements lors de la commémoration du 50ème anniversaire de la Conférence inaugurale du Mouvement National de Libération des Femmes (National Women’s Liberation Conference) dans l'enceinte de l'Exeter College.
La conférence qu'elle devait donner la veille, en revanche, a été annulée. Selon elle, la raison de cette annulation est claire : il s'agit de sa participation à un meeting du Women's Place UK. Fondé en 2017 autour de propositions de refonte du Gender Equality Act, le collectif continue de militer pour la préservation d'espaces non-mixtes et de politiques publiques dédiées aux femmes sur la base de leur sexe biologique. En raison de l'intitulé de ce programme, l'estimée professeure d'Histoire de la classe ouvrière Selina Todd a été accusée sur les réseaux sociaux d'être transphobe. 



Selina Todd, The Guardian

Le Labour Party est à l'origine d'une série d'engagements pour les droits des trans (Labour Campaign for Trans Rights), signés notamment par les candidates à la tête du parti Lisa Nandy et Rebecca Long-Bailey. C'est dans le cadre que Women's Place UK a été qualifiée de "groupe haineux". 
Woman’s Place UK ne peut en aucun cas être qualifié de haineux. D'ailleurs, les engagements du Labour en faveur des trans a donné lieu à une vague de protestations de femmes, exprimée par le biais du hashtag ExpelMe ("Excluez-moi"). Ces femmes sont mal à l'aise face à l'idée que n'importe qui puisse s'auto-déclarer homme ou femme - pour de bonnes ou de mauvaises raisons. 

Selon le courant féministe radical, le genre est une construction sociale : les filles et les femmes n'ont pas naturellement un caractère dit féminin, et le même principe s'applique du côté des garçons. De là à considérer que le sexe biologique lui-même est construit socialement, le pas à franchir était très audacieux ; il a tout de même été franchi avec l'assertion que le sexe n'est pas une donnée matérielle mais une simple assignation ; en dépit du fait que le sexe est reconnaissable dès la vie in utero - ce qui est la cause de nombreux féminicides par interruption de grossesse. 
Le sexe biologique n'est pas un ressenti. "Femelle" est un qualificatif qui s'applique à toutes les espèces vivantes. Vous produisez des gamètes fécondables ? Alors vous êtes femelle. Que vous soyez un être humain ou une grenouille. C'est un phénomène simple et parfaitement connu, le sexe n'est pas un "spectre", malgré l'existence d'un nombre très réduit de personnes intersexes dont il faut évidemment protéger les droits. 
L'oppression des femmes repose intrinsèquement sur notre capacité reproductive. C'est en parlant de biologie, de menstruations, de maternité et de ménopause que nous avons fait avancer nos droits. Nous ne laisserons pas nos corps et nos voix être balayées d'un revers de main. Notre corps de femme est une réalité matérielle qui peut impliquer le viol ou la grossesse. Et le genre est un système d'oppression dont nous devons nous libérer. Certains tenants de l'idéologie transgenre affirment le contraire : le genre serait une réalité matérielle et quiconque peut se réclamer d'un genre ou d'un autre pour que l'appartenance devienne réelle, tandis que la binarité sexuée est une construction sociale. Selon cette logique, les droits des femmes, qui ont pour base le sexe biologique, sont donc parfaitement superflus. 

Je connais les conséquences d'une condamnation pour transphobie lors d'un procès invisible sur les réseaux sociaux. Dans mon cas, cela a été synonyme de menace de viol et de mort sur moi et les enfants, avec l'intervention de la police. Je suis également consciente du fait que les réseaux sociaux sont bien plus virulents que le monde physique. Malgré tout, je refuse de rester les bras croisés. Pendant que Polanski recevait un César, Todd était obligée de se taire. 
Ce dernier exemple de la censure d'une femme doit nous alerter. Soit vous défendez les droits des femmes sur la base de leur sexe biologique, soit vous acceptez purement et simplement de les voir disparaître. 

Accuser les femmes qui veulent s'organiser entre elles d'être transphobes est une impasse qui ne bénéficie qu'au patriarcat, qui ne redoute rien plus que l'affranchissement des femmes. Or nous sommes précisément en train de retomber dans une société qui interdit aux femmes toute décision concernant leur propre réalité. Pendant ce temps, la moitié des instances dirigeantes de ce pays est composée d'espaces réservés aux hommes. Qui les accuse d'être transphobes ? On ne parle jamais d'hommes qui devraient laisser un espace aux hommes trans. Ce sont une fois encore les femmes qui doivent céder. 

Nous sommes une majorité à souhaiter la meilleure vie possible à la petite minorité de personnes trans. Cette vie que nous leur souhaitons est une vie sans violence masculine. Les pires violences que subissent les trans ne sont pas le fait de féministes, contrairement à ce que l'on pourrait penser si l'on s'en tient aux accusations sur twitter. 

Les femmes doivent se protéger de la violence masculine, ce pourquoi nous réclamons des espaces en non-mixité. Ce besoin de protection doit être garanti pour les femmes les plus vulnérables, notamment celles qui vivent dans des centres d'hébergement d'urgence et les détenues. Il s'agit encore et toujours du patriarcat à l'oeuvre. D'ailleurs, comment en sommes-nous arrivés à ces nombres affolants et sans cesse croissants de jeunes filles qui demandent à se faire prescrire des traitements contre les troubles de la dysphorie du genre, alors qu'un nombre non négligeable d'entre elles finissent par regretter d'avoir eu recours à un dispositif qui les a rendues stériles ? 

Les femmes ont le droit de dénoncer les violeurs. Nous avons le droit de nous exprimer et de nous organiser sans nous entendre dire que nous exprimer est, en soi, dangereux. Continuez de me dire d'aller "crever au fond d'un fossé" et de me traiter de "terf", vous ne serez pas les premiers : quoique vous disiez, je m'identifie comme une femme qui ne compte pas se tenir tranquille. 
Et nous sommes plus nombreuses que vous croyez. 

• Suzanne Moore est éditorialiste au Guardian 


mardi 25 février 2020

Article d'Elaine Grisé : "Le Québec dira-t-il enfin que c'en est assez à Gabrielle Bouchard de la FFQ?"

Article d’Elaine Grisé, Québec 

Le Québec dira-t-il enfin que c'en est assez à Gabrielle Bouchard de la FFQ?

La personne à la présidence de la Fédération des femmes du Québec, un homme s’identifiant comme femme, fait des déclarations controversées depuis des années, dressant les femmes les unes contre les autres. Est-elle finalement allée trop loin ?

24 FÉVRIER 2020 par ELAINE GRISÉ


Gabrielle Bouchard (Image: Fédération des femmes du Québec)

La scène politique et féministe québécoise a été turbulente dernièrement. Pour être juste, c'est vrai des dernières années. Les débats politiques et idéologiques se retrouvent au cœur même des valeurs de la société et suscitent beaucoup de divisions. Aujourd'hui, les désaccords nous placent du « bon » ou du « mauvais » côté – les ennemis sont rapidement déterminés et traités comme immuables, que nous soyons de droite, de gauche ou dans le mouvement féministe.
Longtemps reconnue comme un groupe phare pour les droits des femmes au Québec et sur la scène internationale, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) n'est plus ce qu'elle était et suscite régulièrement la controverse.
Au cours de la dernière décennie, la FFQ a connu de nombreuses démissions de ses membres en raison de conflits politiques et de l'absence de processus ouverts et démocratiques en son sein. La difficulté à recruter la dernière présidente montre que le poste suscitait bien peu d’intérêt. La présidente précédente ayant quitté son poste rapidement en raison de conflits internes, seul Bouchard a postulé pour la remplacer. Sans compétition, il a été élu par acclamation à l'automne 2017.
Bouchard était controversé avant même qu'il ne prenne la tête de la FFQ. En 2015, la Commission des institutions tenait des consultations et des audiences publiques dans le but de rédiger le Règlement relatif au changement de nom et d’autres qualités de l'état civil pour les personnes transsexuelles ou transgenresBouchard représentait le Centre de lutte contre l’oppression des genres de l'Université Concordia lors des audiences, au cours desquelles il a déclaré qu'il faudrait un jour abolir les sexes et qu'il ne devrait pas y avoir de mention des mots « homme » ou « femme » dans les registres d'état civil du Québec.
Depuis que Bouchard a pris la présidence, pas une semaine passe sans que lui ou l'organisation fasse les manchettes. Cependant, pas pour les raisons auxquelles l'on s’attendrait d'une organisation se réclamant du féminisme. Par exemple, en juin dernier, il a gazouillé que les vasectomies devraient être obligatoires pour les hommes de 18 ans. À l'automne, il a encouragé les femmes non musulmanes à se voiler pour soutenir une députée à qui on a refusé l'accès au Salon Bleu de l'Assemblée nationale parce qu'elle portait un coton ouaté, en disant que le hijab est « badass ». Bouchard fait régulièrement des déclarations désobligeantes sur les féministes critiques du genre, et utilise l’insulte « TERF » pour attaquer celles qui sont en désaccord avec son idéologie sur l'identité de genre.     
Pour moi, le comportement et les commentaires de Bouchard ont toujours été inacceptables. Mais pour de nombreux membres du public, les politiciens et les médias, il a fallu les événements récents pour qu'ils mettent enfin leur pied à terre. 
Le 22 janvier dernier, Marylène Lévesque, une jeune femme dans l'industrie du sexe à Québec, a été tuée par un ex-détenu qui avait été reconnu coupable du meurtre de sa partenaire il y a 15 ans, mais qui était en semi-liberté, bien que demeurant un danger pour les femmes. Eustachio Gallese avait été autorisé à recourir aux services de femmes dans la prostitution dans le cadre d'une « stratégie » de libération conditionnelle. Alors que les féministes luttant contre l'exploitation dans l’industrie du sexe (abolitionnistes) et la société dans son ensemble étaient choquées et troublées, Bouchard gazouillait, soi-disant avec sarcasme, « Les relations hétérosexuelles sont vraiment violentes. De plus, la plupart des relations sont basées sur la religion. Il est peut-être temps d'avoir une conversation sur leur interdiction et leur abolition ».  
Dans son gazouillis, Bouchard se moquait une énième fois des abolitionnistes, arguant que la prostitution n'a pas été un facteur dans la mort de cette jeune femme, et affirmant que nous pourrions tout aussi bien interdire l'hétérosexualité si nous voulons argumenter contre le commerce du sexe. Le commentaire sur la religion était une tentative de s'en prendre aux femmes qui appuient la loi québécoise sur la laïcité, et de dépeindre celles-ci comme des hypocrites. 
Il semble que ce fut la goutte de trop pour les médias et le public, qui ont fait grand cas du gazouillis de Bouchard. La FFQ s'est dissociée de ses propos, tandis que plusieurs politiciens, journalistes et membres du grand public ont demandé sa démission et que le gouvernement du Québec retire le financement de l'organisme. (La FFQ est aussi largement subventionnée par le gouvernement fédéral, jusqu’à hauteur de 500 000 $ par année). Depuis, la FFQ et Bouchard sont demeurés silencieux.   
Un jour avant de gazouiller sur Lévesque, Bouchard avait publié un autre gazouillis odieux, visant les abolitionnistes. Le mépris des abolitionnistes au Québec a été renouvelé récemment, de la part de ceux qui soutiennent le « libre choix » des clients d'acheter des services sexuels, en lien avec l'avènement de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs, lancée en novembre 2019. Montréal a la réputation d'être une plaque tournante de l'exploitation sexuelle des femmes, et la commission a été mise sur pied afin d'étudier la vulnérabilité des mineures au trafic sexuel au Québec. Lors des audiences de la commission, la plupart des intervenants ont dénoncé l'exploitation sexuelle des jeunes, ont parlé de la nécessité de cibler les acheteurs de services sexuels et ont insisté sur la sensibilisation et l'éducation sexuelle des jeunes.
Toutefois, deux groupes se sont distingués au cours des audiences, au point de devoir être rappelés à l'ordre en raison de leur mépris affiché pour les autres intervenants : Stella, un groupe de défense des « travailleuses du sexe », dont la directrice, Sandra Wesley, siège également au conseil d'administration de la FFQ ; et Piamp, un projet d'intervention auprès des mineur-e-s prostitué-e-s. Les deux groupes ont repris leur rhétorique habituelle, voulant que les femmes qui se prostituent sont consentantes, qu'elles ont du pouvoir et qu'elles tirent profit de leur travail dans l'industrie. Elles ont même avancé que la lutte contre l'exploitation des mineurs est 1) un faux problème, car l'exploitation n'est pas la norme, et 2) une forme de paternalisme, car les jeunes savent ce qu'ils font et sont les experts de leur vie. 
Le 27 janvier, en réponse à l'audience, Bouchard a gazouillé:
« Les abolos sont des collabos
Des répressions policières
Des marginalisations
De la justification de la déshumanisation
De la victimisation 
Des femmes de l’industrie »

Le même jour, il était interviewé à Québec Réveille au sujet de « l'appropriation des expériences des femmes dans l'industrie du sexe ». Il en a profité pour s'attaquer à La CLES (La concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle), une organisation qui lutte contre l’industrie du sexe et soutient les femmes souhaitant en sortir, et plus largement les abolitionnistes. « La CLES a dit que le meurtre de Lévesque est la preuve qu'il faut abolir la prostitution... Cette façon de penser fait en sorte que les femmes ne peuvent pas travailler en toute sécurité », a déclaré Bouchard à l'animatrice. Essentiellement, il a soutenu que la criminalisation des proxénètes et des clients stigmatise les femmes dans l'industrie, ce qui ensuite amène les hommes qui achètent des services sexuels à infliger des violences aux femmes prostituées. Bouchard a également affirmé que La CLES utilisait la mort de la femme à des fins politiques, plutôt que de se préoccuper réellement des femmes victimes de la violence masculine. Bouchard a ajouté que les militants en faveur de l’industrie du sexe devraient assister au rassemblement du 30 janvier à la mémoire de Lévesque, craignant que l'événement soit monopolisé par les abolitionnistes. 

Parlant de fins politiques… Bouchard et Stella ont tous deux choisi de blâmer les féministes pour la mort de la jeune femme, plutôt que le tueur lui-même, affirmant que les abolitionnistes détestent les femmes dans la prostitution. On pourrait penser que celles qui préconisent l'« intersectionnalité » comprennent la multitude de systèmes oppressifs qui conduisent des femmes à se prostituer (les femmes pauvres, marginalisées, autochtones ou racialisées y sont surreprésentées), mais il semble que ce ne soit pas le cas.

Après des années à prétendre écouter et valoriser les perspectives des défenseuses de l'industrie du sexe et des abolitionnistes de manière égale, et à faire la distinction entre « agentivité » et « exploitation », les membres de la FFQ ont voté en faveur de la décriminalisation complète de l'industrie en 2018. À la suite de cette assemblée générale (j'épargnerai aux lectrices les détails du manque de démocratie interne de la FFQ, connu depuis une dizaine d'années, et des moyens utilisés par l'organisation pour rejeter et faire taire celles qu'elle ne souhaite pas entendre), deux groupes importants – la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et La CLES – ont quitté la FFQ, entraînant avec eux des milliers de membres mécontentes.   
À chacune des frasques de Bouchard, les médias se demandent ce que fait cet homme à la tête d'un groupe de femmes. Bouchard se dit préoccupé par les femmes marginalisées, ce qui est valable. Cependant, il le fait avec un grand mépris pour les femmes « non-opprimées » : celles qu'il appelle « cis », ainsi que les femmes blanches ou hétérosexuelles – 80 % des femmes au Québec, en d'autres termes. Il favorise l'inclusion et la tolérance en excluant et en étant intolérant (de façon très provocante, d'ailleurs). On s'attendrait à un peu plus de réserve de la part d'une personne dans sa position, d'autant plus qu'il allègue parler au nom de toutes les femmes. En réalité, Bouchard ne fait que se défendre lui-même ainsi que sa clique.
Sa définition personnelle de l'approche "intersectionnelle" ne favorise pas la solidarité entre les femmes, ce qui devrait être le mandat de base de la FFQ, mais divise plutôt les femmes. Beaucoup de Québécoises ne s’y sentent plus représentées. PDF Québec (Pour les droits des femmes du Québec) a été créé en 2013 après le départ en 2009 de nombreuses femmes insatisfaites de la FFQ, notamment pour ses prises de position en faveur du voile. PDF Québec fait appel à un nombre croissant de féministes en raison de son approche universaliste. 
Bien qu'il reste encore beaucoup de travail à faire, la vision de la société québécoise sur l'exploitation sexuelle a beaucoup évolué au cours des dernières années. Être abolitionniste n'est plus considéré comme un défaut. Cependant, la FFQ et d'autres organisations « pro-sexe » poursuivent leur campagne de dénigrement contre les abolitionnistes sans trop de résistance. La société critique la FFQ lorsqu'elle s'attaque aux hommes, aux hétérosexuels et à la maternité, mais rarement lorsqu'elle s'attaque aux abolitionnistes ou aux femmes critiques de l’idéologie de genre. Peut-être que les organisations prétendant s'intéresser à la « diversité » et à l'« inclusion » ne sont pas si « diversifiées » et « inclusives » après tout.

Elaine Grisé est titulaire d'une maîtrise en sexologie et en études féministes. Elle est une abolitionniste du genre et de l’industrie du sexe vivant à Montréal.

Ce texte est publié dans sa version originale sur le site Feminist Current.

mercredi 12 février 2020

Tribune : les "femmes trans" sont-elles des femmes ?

Voici le texte de la tribune que j'ai publié dans le Huff à 12h, après lecture et accord d'une journaliste de la rédaction, et qui a été supprimé du site à 17h.

"ce texte n’avait aucunement sa place sur notre site. C’est une erreur de l’avoir publié. Les propos transphobes à l’intérieur vont à l’encontre des valeurs prônées par Le HuffPost depuis sa création. Les femmes trans sont des femmes. Nous vous présentons nos plus sincères excuses pour la publication de ce texte."






« Question trans » : les colleuses contre les féminicides se divisent et toutes les femmes sont menacées 


Le collectif de colleuses d’affiches contre les féminicides se divise autour de la « question trans ». Il s’agit bien plus que d’une querelle de chapelles : au-delà du groupe des colleuses, c’est l’avenir du féminisme et des politiques d’égalité qui est en jeu. 

La polémique a débuté lorsque des activistes ont profité de la visibilité de la méthode des collages pour imposer leurs propres slogans. 

Leur propos était de condamner – en l’occurrence au « bûcher » - les dénommées « TERFs », acronyme signifiant : Trans Exclusionary Radical Feminist. De nombreuses féministes en effet considèrent que les personnes trans ne devraient pas être incluses dans les espaces réservés aux femmes et ne devraient pas être au centre de l’agenda féministe. 

Les « femmes trans » sont-elles des femmes ? Autrement dit, suffit-il de s’auto-proclamer femme pour pouvoir exiger d’être considéré comme telle ? 
Comment une société peut-elle défendre les droits des femmes et œuvrer à l’égalité si le mot « femme » change de définition ? 




Selon les féministes radicales et matérialistes, les femmes sont tout d’abord des êtres humains femelles. Elles ont un double chromosome X et, sauf malformation ou anomalie, elles ont un appareil génital qui permet la gestation et l’accouchement d’un enfant. 

Les caractéristiques physiques liés à la procréation correspondent au sexe biologique, notion distincte de celle de « genre », qui désigne une construction sociale, et plus exactement un système d’oppression qui organise l’humanité en deux groupes, l’un dominant et exploitant l’autre. 

Cette exploitation des femmes est intrinsèquement liée à leur biologie. Dans nos sociétés, les petites filles sont éduquées différemment des petits garçons ; en raison de leur sexe de fille. Les femmes sont collectivement et individuellement dévalorisées et réduites à un statut d’objet sexuel et de pourvoyeuse de soins ; en raison de leur sexe de femme. 

Or les transactivistes, ennemis des « TERFs », ont une toute autre définition de ces termes. Pour eux, le genre est certes une construction sociale, mais il n’est pas lié au sexe. Une personne peut avoir un corps ou un autre, elle sera homme ou femme (ou autre…) en fonction de son ressenti. Si une personne déclare se sentir femme, elle est une femme. Si elle déclare se sentir homme, c’est le même principe qui s’applique. Le genre est une identité qui ne repose sur aucune base matérielle. 

Il est des contextes où, en effet, le ressenti ne peut pas être contesté. Si je ressens une douleur physique ou morale, je suis la seule à pouvoir l’affirmer, et personne ne devrait le nier. 

Être une femme n’est pas un ressenti. Cela correspond à une réalité physiologique très spécifique et à un vécu social tout aussi spécifique. Tout cela est réel. Dans nos sociétés, être une femme, c’est souffrir et être épuisée tous les mois mais devoir travailler comme si de rien n’était. C’est être considérée comme une proie potentielle dans l’espace public et comme une travailleuse bénévole dans l’espace privée. Ce statut repose sur la réalité de notre corps. Si je suis, entre autres, discriminée à l’emploi et sous-payée, ce n’est pas parce que je « me sens une femme », ni parce que j’ai une « identité » de femme, mais bien parce que chacun saura, en me voyant, que j’ai un corps de femme. Aucun « ressenti » ne pourra être équivalent à cette réalité.

Les « femmes trans » quant à elles, sont des personnes nées garçons, qui ont le plus souvent conservé un corps d’homme (dans 75% à 80% des cas en France, elles n’ont subi aucune intervention chirurgicale), mais qui affirment avoir une « identité de genre » de femme, et ainsi être des femmes au même titre que les êtres humains femelles qui ont un utérus et qui depuis leur naissance subissent la misogynie de notre société.  

Si les « femmes trans » sont considérées comme des femmes, quel que soit leur corps ou leur apparence physique, alors le mot « femme » s’applique à qui le souhaite, même à des personnes ayant un corps et une apparence d’homme. 

Or, dans une société encore patriarcale, les mots « femme » et « homme » doivent garder leur signification. Nous avons besoin de pouvoir mesurer les inégalités entre les sexes pour les dénoncer et surtout les corriger. Il nous faut pouvoir mettre en œuvre des politiques publiques et des mesures correctives qui s’adressent spécifiquement aux femmes. 

Quel sens auraient les listes paritaires en politique, les programmes ciblés pour créatrices d’entreprises et femmes scientifiques, les compétitions sportives féminines… si des hommes peuvent s’y imposer d’une simple déclaration d’identité ? 

Considérer les « femmes trans » comme des femmes pose des problèmes encore plus concrets. Quel que soit le ressenti de ces personnes, quelle que soit leur sincérité, les femmes n’ont pas le loisir de prendre le risque d’accepter des hommes dans les espaces non-mixtes : vestiaires de sport, toilettes publiques ou dortoirs d’auberges de jeunesse, mais aussi prisons et centres d’hébergement d’urgence pour femmes victimes de violences masculines. 

Aucune féministe ne met en cause la souffrance des personnes qui ne se sentent pas « nées dans le bon corps ». Cela dit, nous devons veiller à préserver nos espaces et à ce que nos stratégies restent centrées sur les filles et les femmes. C’est la survie de notre mouvement qui est en jeu, et donc la survie de nos droits et de notre intégrité. 

lundi 10 février 2020

"se sentir une femme" - cette formulation nous met toutes en danger


Traduction d'un article paru dans The Economist le 3 juillet 2018

L’auto-identification de genre, source de dangers pour les femmes 

Selon la militante Kristina Harrison, ce principe, s’il est appliqué, est une menace pour les espaces non-mixtes et la défense des droits des femmes. 

Kristina Harrison, salariée du National Health Service, est une personne transsexuelle qui a subi des opérations chirurgicales et subit toujours un traitement hormonal afin d’être considérée comme une personne du sexe opposée à son sexe de naissance. Elle est également militante et défend l’idée que le passage d’un système de reconnaissance légale fondée sur un diagnostic médical à un sytème fondé sur une simple déclaration de la personne concernée aurait des conséquences désastreuses sur des jeunes gens vulnérables, sur les mesures spécifiques aux femmes et par ailleurs nuirait également aux personnes trans. 




Le gouvernement conservateur au pouvoir au Royaume-Uni, malgré des tergiversations de façade, a démontré une intention ferme quant à la refonte du Gender Recognition Act (GRA) de 2004. Il bénéficie du soutien du parti travailliste et d’un mouvement transgenre qui a désormais pignon sur rue. Ce mouvement est imprégné de ce qui est largement vu comme une idéologie de genre intolérante et même extrémiste. Ce n’est pas sans raison que femmes et personnes transsexuelles en nombre croissant ont exprimé leurs inquiétudes. Si la nouvelle mouture du GRA est adoptée, le terme « transgenre », ainsi que les termes « homme trans » et « femme trans » seront désormais des termes vagues désignant toute personne biologiquement femelle qui s’identifie comme étant un homme, ou l’inverse. 

Les personnes trans peuvent être des hommes qui s’identifient comme femmes mais veulent conserver un corps d’homme, des personnes « gender fluid » (qui s’identifient comme femmes certains jours et hommes d’autres jours), ou encore ceux que nous appelions auparavant des travestis, en particulier des hommes qui ont un fétiche sexuel dirigé vers les vêtements et les attributs physiques féminins. 

J’imagine que vous commencez à vous faire une idée de la nature de l’inquiétude de certaines femmes. Même si le principe n’est pas entièrement entériné dans la loi, en pratique, la simple affirmation d’un homme selon laquelle il s’identifie comme une femme lui donne accès aux espaces qui étaient jusqu’à présent non-mixtes : toilettes publiques, centres d’hébergement d’urgence pour femmes victimes de violences, etc. Notre inquiétude porte sur la nature, les méthodes et les implications potentielles et effectives de l’idéologie qui sous-tend le mouvement transgenre. Nous nous opposons à toute proposition de loi qui permettrait à un homme d’être légalement reconnu comme femme sur simple déclaration, comme à une femme d’être reconnue comme homme. 

Cette mesure donnerait une valeur légale à la version la plus extrême de l’idéologie du genre, qui va jusqu’à redéfinir entièrement ce qu’est une femme et ce qu’est un homme. Balayer d’un revers de main des définitions qui ont structuré nos sociétés pendant des milliers d’années ne peut se faire avec une telle désinvolture de la part de la classe politique. Or le débat public autour de ce sujet est quasiment impossible : il est empoisonné par un effort constant visant à taire ou marginaliser les voix dissidentes, en particulier celles venant de femmes. Leurs adversaires n’hésitent pas à se livrer à du harcèlement et même à des démonstrations de force. 

Parmi leurs tactiques les plus récurrentes, on trouve l’accusation de transphobie. Loin de se contenter de cibler les personnes qui expriment de la haine envers les trans, à présent cette accusation peut s’abattre sur tout individu qui oserait exprimer une critique de cette idéologie ou qui défendrait le principe de droits des femmes sur la base de leur sexe biologique. Elle est prétexte à des campagnes de harcèlement et peut nuire à la réputation et même à la carrière de celui ou celle qui en est l’objet. Ces campagnes sont très dissuasives. A ma connaissance, encore aucun membre du Parlement, homme ou femme, n’a émis de critique publique ; ce n’est pas un hasard. Nous sommes face à une véritable attaque contre la démocratie, et les personnes trans n’en sortiront pas gagnantes. 

Pour des raisons similaires, à savoir par peur des représailles, certains organismes hésitent à mettre en application les clauses d’exceptions prévues par le texte du « Equality Act » de 2010. 

Cette disposition prévoit que les femmes, telles que définies par leur sexe, doivent être considérées un groupe vulnérable et discriminé et à se titre se voir accorder le droit à des mesures et les espaces dédiés, tels que des centres d’hébergement d’urgence pour victimes de violences conjugales et leurs enfants, ces violences étant, à de très rares exceptions près, toujours commises par des hommes contre des femmes. 

(...) de nombreuses travailleuses sociales expriment la crainte que des prédateurs, qui sont souvent capables de trésors d’ingéniosité pour s’approcher de femmes vulnérables, puissent détourner le principe de l’auto-identification de genre à leur avantage. Ce serait chose aisée dans un contexte ou une personne peut être considérée comme trans même sans avoir subi de modification physique (hormones ou chirurgie), et quelle que soit l’attitude qu’elle affiche. Autrement dit, n’importe quel homme qui a l’apparence, le discours et le comportement typique d’un homme pourra être considéré comme une femme trans : il lui suffit de dire qu’il en est une. 

Quel plus beau cadeau pourrions-nous faire aux agresseurs ? 

Cette crainte n’est pas une vue de l’esprit. En 2012, Christopher Hambrook, « femme trans », s’est introduit dans deux refuges pour femmes sans abri à Toronto et y a commis harcèlement sexuel et viols pour lesquels il sera condamné en 2014. Quelques mois avant les faits, la loi fédérale avait été modifiée dans le sens de la reconnaissance de l’identité de genre sur la base de l’auto-désignation. 

Le gouvernement britannique a récemment confirmé qu’il conserverait le Equality Act en l’état, quelque soient ses propositions de réformer le Gender Recognition Act. En théorie, les mesures et espaces non-mixtes seront préservés, s’ils apportent une réponse proportionnée à un besoin légitime. Malgré tout, une victoire des tenants de l’avancée du GRA aura des conséquences en termes de redistribution des cartes entre les acteurs en présence : les personnes trans qui défendent la prise en compte pragmatique des intérêts de chaque groupe perdront du terrain au profit d’activistes qui veulent la suppression, à terme, des espaces non-mixtes et des politiques ciblées vers les femmes. La notion de sexe biologique comme critère de définition du groupe des femmes se verra encore davantage affaiblie face à celle de genre, dont la nature culturelle et politique n’est pas à démontrer.  

Les transactivistes nous assènent que cet enjeu ne concerne personne d’autre eux-mêmes et que de ce fait, on ne saurait en débattre. C’est faux. L’auto-identification de genre est un enjeu qui dépasse la question du respect des croyances de chacun.e. Un nombre conséquent de groupes et d’individus transactivistes ou transgenres ont pour objectif celui d’obtenir les droits que leur confèrent le sexe auquel ils-elles déclarent appartenir. Ces revendications de nature sociale et politique concernent la société entière, et en premier lieu les femmes, les personnes homosexuelles et transsexuelles. 

(...)

L’auto-identification de genre a des conséquences tangibles sur les espaces réservés aux femmes et sur les stratégies qu’elles mettent en œuvre pour combattre la misogynie en définissant leur propre agenda. De façon plus profonde, il s’agit d’une atteinte à leur droit à se définir elles-mêmes. Nombreuses sont les femmes qui refusent d’être une nouvelle fois définies selon les critères qui les ont justement entravées dans leur accomplissement d’elles-mêmes depuis la naissance : la passivité, l’abnégation et le sacrifice pour les autres (en particulier les hommes), la douceur, la modestie, le fait d’être évaluées selon leur apparence plutôt que leurs actions... Ces normes pèsent comme un fardeau sur leur vie. Nous sommes nombreuses à insister sur le fait que les femmes sont avant tout un groupe défini par un sexe biologique et une socialisation spécifique. Le sexe est une réalité, c’est même ce qui est au fondement de l’espèce humaine. 

Comment sortir de cette impasse ? Il me semble que nous sommes nombreux.ses à reconnaître que le système actuel de reconnaissance légale des personnes trans est d’une lourdeur administrative qui confine à la cruauté, que ces personnes bénéficient d’un accompagnement insuffisant et que ce système peut même avoir quelque chose d’humiliant. 

Il est possible d’y apporter des améliorations notamment en mettant la recherche de diagnostic au centre du dispositif, afin que les besoins des personnes soient pris en compte de façon plus adaptée. L’autre priorité est de protéger les adolescent.es de diagnostics hâtif.ves. Il s’avère que 60 à 90% des enfants transgenres n’éprouvent plus de dysphorie de genre après la puberté. Un système plus responsable permettrait en outre aux femmes de se sentir en sécurité. 

Il nous faut prendre en compte la présence de deux groupes discriminés. Ainsi la protection des espaces de non-mixité pour les femmes, avec l’affirmation du droit à braver les stéréotypes de genre, doit cohabiter avec l’amélioration des parcours de soins et d’accompagnement des personnes trans – sans que leurs droits n’empiètent sur ceux des femmes. 

En dépassant l’antagonisme entre les discours extrémistes qui empêchent le débat, nous pourrons avoir une vue d’ensemble sur ces enjeux et une discussion à la fois pragmatique et respectueuse de chacun.e. Nul doute que nous trouverons alors des solutions viables pour chacune des parties prenantes, loin du climat d’hostilité actuel. 

https://www.economist.com/open-future/2018/07/03/a-system-of-gender-self-identification-would-put-women-at-risk

Voir d'autres traductions de textes de féministes radicales anglophones sur le blog Tradfem : 
https://tradfem.wordpress.com


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