Traduction d'un article paru dans The Economist le 3 juillet 2018
L’auto-identification de genre, source de dangers pour les femmes
Selon la militante Kristina Harrison, ce principe, s’il est appliqué, est une menace pour les espaces non-mixtes et la défense des droits des femmes.
Kristina Harrison, salariée du National Health Service, est une personne transsexuelle qui a subi des opérations chirurgicales et subit toujours un traitement hormonal afin d’être considérée comme une personne du sexe opposée à son sexe de naissance. Elle est également militante et défend l’idée que le passage d’un système de reconnaissance légale fondée sur un diagnostic médical à un sytème fondé sur une simple déclaration de la personne concernée aurait des conséquences désastreuses sur des jeunes gens vulnérables, sur les mesures spécifiques aux femmes et par ailleurs nuirait également aux personnes trans.
Le gouvernement conservateur au pouvoir au Royaume-Uni, malgré des tergiversations de façade, a démontré une intention ferme quant à la refonte du Gender Recognition Act (GRA) de 2004. Il bénéficie du soutien du parti travailliste et d’un mouvement transgenre qui a désormais pignon sur rue. Ce mouvement est imprégné de ce qui est largement vu comme une idéologie de genre intolérante et même extrémiste. Ce n’est pas sans raison que femmes et personnes transsexuelles en nombre croissant ont exprimé leurs inquiétudes. Si la nouvelle mouture du GRA est adoptée, le terme « transgenre », ainsi que les termes « homme trans » et « femme trans » seront désormais des termes vagues désignant toute personne biologiquement femelle qui s’identifie comme étant un homme, ou l’inverse.
Les personnes trans peuvent être des hommes qui s’identifient comme femmes mais veulent conserver un corps d’homme, des personnes « gender fluid » (qui s’identifient comme femmes certains jours et hommes d’autres jours), ou encore ceux que nous appelions auparavant des travestis, en particulier des hommes qui ont un fétiche sexuel dirigé vers les vêtements et les attributs physiques féminins.
J’imagine que vous commencez à vous faire une idée de la nature de l’inquiétude de certaines femmes. Même si le principe n’est pas entièrement entériné dans la loi, en pratique, la simple affirmation d’un homme selon laquelle il s’identifie comme une femme lui donne accès aux espaces qui étaient jusqu’à présent non-mixtes : toilettes publiques, centres d’hébergement d’urgence pour femmes victimes de violences, etc. Notre inquiétude porte sur la nature, les méthodes et les implications potentielles et effectives de l’idéologie qui sous-tend le mouvement transgenre. Nous nous opposons à toute proposition de loi qui permettrait à un homme d’être légalement reconnu comme femme sur simple déclaration, comme à une femme d’être reconnue comme homme.
Cette mesure donnerait une valeur légale à la version la plus extrême de l’idéologie du genre, qui va jusqu’à redéfinir entièrement ce qu’est une femme et ce qu’est un homme. Balayer d’un revers de main des définitions qui ont structuré nos sociétés pendant des milliers d’années ne peut se faire avec une telle désinvolture de la part de la classe politique. Or le débat public autour de ce sujet est quasiment impossible : il est empoisonné par un effort constant visant à taire ou marginaliser les voix dissidentes, en particulier celles venant de femmes. Leurs adversaires n’hésitent pas à se livrer à du harcèlement et même à des démonstrations de force.
Parmi leurs tactiques les plus récurrentes, on trouve l’accusation de transphobie. Loin de se contenter de cibler les personnes qui expriment de la haine envers les trans, à présent cette accusation peut s’abattre sur tout individu qui oserait exprimer une critique de cette idéologie ou qui défendrait le principe de droits des femmes sur la base de leur sexe biologique. Elle est prétexte à des campagnes de harcèlement et peut nuire à la réputation et même à la carrière de celui ou celle qui en est l’objet. Ces campagnes sont très dissuasives. A ma connaissance, encore aucun membre du Parlement, homme ou femme, n’a émis de critique publique ; ce n’est pas un hasard. Nous sommes face à une véritable attaque contre la démocratie, et les personnes trans n’en sortiront pas gagnantes.
Pour des raisons similaires, à savoir par peur des représailles, certains organismes hésitent à mettre en application les clauses d’exceptions prévues par le texte du « Equality Act » de 2010.
Cette disposition prévoit que les femmes, telles que définies par leur sexe, doivent être considérées un groupe vulnérable et discriminé et à se titre se voir accorder le droit à des mesures et les espaces dédiés, tels que des centres d’hébergement d’urgence pour victimes de violences conjugales et leurs enfants, ces violences étant, à de très rares exceptions près, toujours commises par des hommes contre des femmes.
(...) de nombreuses travailleuses sociales expriment la crainte que des prédateurs, qui sont souvent capables de trésors d’ingéniosité pour s’approcher de femmes vulnérables, puissent détourner le principe de l’auto-identification de genre à leur avantage. Ce serait chose aisée dans un contexte ou une personne peut être considérée comme trans même sans avoir subi de modification physique (hormones ou chirurgie), et quelle que soit l’attitude qu’elle affiche. Autrement dit, n’importe quel homme qui a l’apparence, le discours et le comportement typique d’un homme pourra être considéré comme une femme trans : il lui suffit de dire qu’il en est une.
Quel plus beau cadeau pourrions-nous faire aux agresseurs ?
Cette crainte n’est pas une vue de l’esprit. En 2012, Christopher Hambrook, « femme trans », s’est introduit dans deux refuges pour femmes sans abri à Toronto et y a commis harcèlement sexuel et viols pour lesquels il sera condamné en 2014. Quelques mois avant les faits, la loi fédérale avait été modifiée dans le sens de la reconnaissance de l’identité de genre sur la base de l’auto-désignation.
Le gouvernement britannique a récemment confirmé qu’il conserverait le Equality Act en l’état, quelque soient ses propositions de réformer le Gender Recognition Act. En théorie, les mesures et espaces non-mixtes seront préservés, s’ils apportent une réponse proportionnée à un besoin légitime. Malgré tout, une victoire des tenants de l’avancée du GRA aura des conséquences en termes de redistribution des cartes entre les acteurs en présence : les personnes trans qui défendent la prise en compte pragmatique des intérêts de chaque groupe perdront du terrain au profit d’activistes qui veulent la suppression, à terme, des espaces non-mixtes et des politiques ciblées vers les femmes. La notion de sexe biologique comme critère de définition du groupe des femmes se verra encore davantage affaiblie face à celle de genre, dont la nature culturelle et politique n’est pas à démontrer.
Les transactivistes nous assènent que cet enjeu ne concerne personne d’autre eux-mêmes et que de ce fait, on ne saurait en débattre. C’est faux. L’auto-identification de genre est un enjeu qui dépasse la question du respect des croyances de chacun.e. Un nombre conséquent de groupes et d’individus transactivistes ou transgenres ont pour objectif celui d’obtenir les droits que leur confèrent le sexe auquel ils-elles déclarent appartenir. Ces revendications de nature sociale et politique concernent la société entière, et en premier lieu les femmes, les personnes homosexuelles et transsexuelles.
(...)
L’auto-identification de genre a des conséquences tangibles sur les espaces réservés aux femmes et sur les stratégies qu’elles mettent en œuvre pour combattre la misogynie en définissant leur propre agenda. De façon plus profonde, il s’agit d’une atteinte à leur droit à se définir elles-mêmes. Nombreuses sont les femmes qui refusent d’être une nouvelle fois définies selon les critères qui les ont justement entravées dans leur accomplissement d’elles-mêmes depuis la naissance : la passivité, l’abnégation et le sacrifice pour les autres (en particulier les hommes), la douceur, la modestie, le fait d’être évaluées selon leur apparence plutôt que leurs actions... Ces normes pèsent comme un fardeau sur leur vie. Nous sommes nombreuses à insister sur le fait que les femmes sont avant tout un groupe défini par un sexe biologique et une socialisation spécifique. Le sexe est une réalité, c’est même ce qui est au fondement de l’espèce humaine.
Comment sortir de cette impasse ? Il me semble que nous sommes nombreux.ses à reconnaître que le système actuel de reconnaissance légale des personnes trans est d’une lourdeur administrative qui confine à la cruauté, que ces personnes bénéficient d’un accompagnement insuffisant et que ce système peut même avoir quelque chose d’humiliant.
Il est possible d’y apporter des améliorations notamment en mettant la recherche de diagnostic au centre du dispositif, afin que les besoins des personnes soient pris en compte de façon plus adaptée. L’autre priorité est de protéger les adolescent.es de diagnostics hâtif.ves. Il s’avère que 60 à 90% des enfants transgenres n’éprouvent plus de dysphorie de genre après la puberté. Un système plus responsable permettrait en outre aux femmes de se sentir en sécurité.
Il nous faut prendre en compte la présence de deux groupes discriminés. Ainsi la protection des espaces de non-mixité pour les femmes, avec l’affirmation du droit à braver les stéréotypes de genre, doit cohabiter avec l’amélioration des parcours de soins et d’accompagnement des personnes trans – sans que leurs droits n’empiètent sur ceux des femmes.
En dépassant l’antagonisme entre les discours extrémistes qui empêchent le débat, nous pourrons avoir une vue d’ensemble sur ces enjeux et une discussion à la fois pragmatique et respectueuse de chacun.e. Nul doute que nous trouverons alors des solutions viables pour chacune des parties prenantes, loin du climat d’hostilité actuel.
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