samedi 17 août 2019

« Male gaze » dans la culture mainstream : exemple du film The Tourist (1/2)

« Male gaze » et pornification des femmes dans la culture mainstream : exemple du film The Tourist 

The Touristest un film américain réalisé par Florian Henckel von Donnersmarck, sorti en 2010. On y voit de parfaits exemples de « male gaze » (notion forgée par Laura Mulvey) et de pornification. Au-delà de l’illustration, voyons en quoi cette façon de montrer les femmes à l’écran participe à leur déshumanisation à grande échelle. 

1_ Le « Male gaze » 

Le scénario de « The Tourist » est simple : un escroc de haut vol recherché par la police demande à sa petite amie, qui fait l’objet d’une filature, de choisir un inconnu et de le faire passer pour lui. C’est ainsi qu’Elise fait jouer à Frank, innocent professeur de mathématiques, le rôle de son amant et le jette dans les bras des enquêteurs. Ce dernier va évidemment se révéler plus malin et coriace qu’il en a l’air, et les deux personnages vont de façon très inattendue tomber amoureux et partir ensemble à la fin. 

Dans la première scène, les enquêteurs suivent le parcours d’Elise jusqu’à la terrasse de café où elle s’installe pour lire son courrier. Il s’agit d’une filature, un groupe d’hommes est donc en train d’observer une femme à son insu. Ce qui ne devrait être qu’une étape banale dans une enquête de police devient la réactivation du « male gaze », à savoir le regard masculin déshumanisation que l’on retrouve dans de nombreuses œuvres – et dans la vie réelle. 


A la filature policière se superpose le regard intrusif qui détaille, morcelle et sexualise. Les policiers sont avant tout des hommes, la suspecte avant tout une femme, l’enjeu de l’intrigue passe ici au deuxième plan. Cette sexualisation se poursuit et s’intensifie tout au long du film. 


Dans le « male gaze », la femme, objet des regards masculins, est déshumanisée de plusieurs façons : elle est morcelée, de telle façon qu’on ne voit plus une personne, mais des fesses et des jambes, comme ici. 

On montre les parties du corps généralement érotisées, aux dépends de ce qui indique les émotions d’une personne : le visage, le regard ; ou bien son attitude, ou son statut social, qui sont reflétés par une posture, une gestuelle, une démarche ou une tenue vestimentaire. L’individualité niée pour ne laisser place qu’au spectacle de parties du corps montrées uniquement pour susciter un désir sexuel. 







L’autre caractéristique du « male gaze » est qu’il entraîne le public avec lui, et c’est en cela qu’il a une portée sexiste. Il ne s’agit pas de montrer un homme en particulier regarder une femme en particulier de façon déshumanisante, il s’agit d’entraîner l’ensemble du public à adopter le même regard. 




















Dans cette scène, le public est bien plus proche    des enquêteurs que de la suspecte : les hommes sont les seuls à parler, on leur attribue un rôle à chacun, avec un rapport de hiérarchie clairement établi. Elise quant à elle n’est pour l’instant qu’une silhouette muette. Le public est physiquement proche des enquêteurs, il s’imagine avec eux dans leur camionnette, et regarde avec eux les images d’Elise sur l’écran : l’écran du film est doublé par celui des policiers, créant une distance supplémentaire vis-à-vis d’Elise, et accentuant le geste de la regarder de façon intrusive. A ce moment de l’intrigue, on peut encore penser qu’elle ne sait pas qu’elle est observée, en tout cas rien ne le laisse supposer. 




Ainsi non seulement les personnages masculins fait preuve de sexisme à travers son regard sexualisant sur une femme, mais ce regard est-il imposé au public. Nous sommes toutes et tous amené.es à regarder les personnages féminins, et donc les femmes, comme des corps morcelés et stéréotypés, et à jouir d’un regard intrusif et non-réciproque. 





« Le regard qui fixe, qui déshabille salement, qui dit « je te baise où je veux quand je veux. Si ce n’est pas ici, maintenant, ce sera ailleurs et plus tard. Si ce n’est pas moi, ce sera l’un des miens. Si ce n’est pas toi, ce sera l’une des tiennes », ce regard qui rabaisse et intimide, typique aux hommes qui matent les femmes. 

Si seulement les mateurs étaient les seuls à pratiquer le male gaze.. nous le faisons aussi, toutes et tous. Le male gaze est la façon dont les femmes sont montrées. Nous n’avons pas le choix. Une femme n’est jamais montrée autrement que pour être matée. Chaque femme est transformée en bête à mater. »

Extrait de Et si le féminisme nous rendait heureuses ?



jeudi 14 mars 2019

Vous étiez bonne élève ? Il va falloir changer

Pendant toute ma scolarité, j’étais une forte en thème, passionnée par les lettres et les sciences humaines. Parfois je participais en cours, parfois non, peu importe puisque j’étais parmi les meilleur.es. J’étais revêche. Je n’étais pas tellement populaire auprès des filles, pas du tout auprès des garçons. Evidemment, les profs m’adoraient. C’était bien la moindre des choses.
Puis je suis entrée à Sciences Po. J’ai commencé à observer que des étudiants masculins étaient beaucoup plus sûrs d’eux et satisfaits d’eux-mêmes que je ne l’étais, alors qu’ils travaillaient moins bien. Je passais plus de temps parmi les livres qu’auprès des associations étudiantes, en week-ends d’intégration ou en soirée.

En entrant dans la vie active, j’ai pris une claque. De façon fidèle aux statistiques, j’ai eu plus de mal à m’intégrer sur le marché de l’emploi et j’ai été dès le début de ma carrière moins bien rémunérée que les fêtards qui étaient contents d’eux avec un 12. L’entreprise est un monde où les élèves studieuses ne sont pas les bienvenues.

Les élèves féminines sont moins stimulées en cours que les garçons. Ces derniers apprennent vite que leur agitation est tolérée. Dès qu’ils lèvent la main pour intervenir, voire dès qu’ils interrompent l’enseignant.e, ils sont écoutés avec soin. Ils apprennent l’affirmation de soi et la prise de parole en public. Ils apprennent que leur opinion est importante et mérite d’être prise en compte par le groupe.
Les bonnes élèves, quant à elles, écoutent le cours et les garçons patiemment et récoltent des bonnes notes. Puis elles deviennent des femmes qui travaillent, travaillent, et restent dans l’ombre. L’école leur a fait croire que leurs efforts et leur talent seraient toujours automatiquement pris en compte et récompensé. 

Or, dans l’entreprise, elles doivent constamment démontrer leur valeur, prouver qu’elles méritent d’être à leur place. Alors elles travaillent, travaillent et ne s’impliquent pas dans les réseaux. Elles n’ont pas de conversations informelles ni de déjeuners interminables et ne jouent pas au golf. Elles travaillent tandis que leurs collègues masculins se montrent, nouent des liens et échangent des informations. Les femmes s’épuisent mais elles stagnent.

Mesdames, il nous reste un long chemin à parcourir avant d’être autant prise au sérieux qu’un homme, à compétences égales, sans biais sexiste. Pour autant, nous pouvons dès à présent prendre conscience du fait que la bonne élève que nous étions a pris un mauvais pli. Travaillons plus efficacement, c’est-à-dire plus égoïstement. En gardant toujours en tête une exigence de visibilité. Lorsque c’est possible, choisissons nos missions en se posant les questions suivantes :
est-ce que cette mission me permettra de démontrer clairement mes compétences par des résultats concrets ? Est-ce qu’elle me permettra de développer mon image de marque ? En bref, est-ce que je travaille pour l’entreprise mais aussi pour moi et ma carrière ?

Mettre en avant ces réussites va à l’encontre d’un autre mauvais pli qui nous a été imposé. S’il est délicat pour tout le monde de risquer de paraître arrogant, pour les femmes le piège est redoutable, tant on attend d’elles, inconsciemment, modestie et discrétion. Je développerai cet aspect dans un autre article, point trop n’en faut. Celui-ci est déjà assez consistant, pas vrai ?
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