mardi 25 février 2020

Article d'Elaine Grisé : "Le Québec dira-t-il enfin que c'en est assez à Gabrielle Bouchard de la FFQ?"

Article d’Elaine Grisé, Québec 

Le Québec dira-t-il enfin que c'en est assez à Gabrielle Bouchard de la FFQ?

La personne à la présidence de la Fédération des femmes du Québec, un homme s’identifiant comme femme, fait des déclarations controversées depuis des années, dressant les femmes les unes contre les autres. Est-elle finalement allée trop loin ?

24 FÉVRIER 2020 par ELAINE GRISÉ


Gabrielle Bouchard (Image: Fédération des femmes du Québec)

La scène politique et féministe québécoise a été turbulente dernièrement. Pour être juste, c'est vrai des dernières années. Les débats politiques et idéologiques se retrouvent au cœur même des valeurs de la société et suscitent beaucoup de divisions. Aujourd'hui, les désaccords nous placent du « bon » ou du « mauvais » côté – les ennemis sont rapidement déterminés et traités comme immuables, que nous soyons de droite, de gauche ou dans le mouvement féministe.
Longtemps reconnue comme un groupe phare pour les droits des femmes au Québec et sur la scène internationale, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) n'est plus ce qu'elle était et suscite régulièrement la controverse.
Au cours de la dernière décennie, la FFQ a connu de nombreuses démissions de ses membres en raison de conflits politiques et de l'absence de processus ouverts et démocratiques en son sein. La difficulté à recruter la dernière présidente montre que le poste suscitait bien peu d’intérêt. La présidente précédente ayant quitté son poste rapidement en raison de conflits internes, seul Bouchard a postulé pour la remplacer. Sans compétition, il a été élu par acclamation à l'automne 2017.
Bouchard était controversé avant même qu'il ne prenne la tête de la FFQ. En 2015, la Commission des institutions tenait des consultations et des audiences publiques dans le but de rédiger le Règlement relatif au changement de nom et d’autres qualités de l'état civil pour les personnes transsexuelles ou transgenresBouchard représentait le Centre de lutte contre l’oppression des genres de l'Université Concordia lors des audiences, au cours desquelles il a déclaré qu'il faudrait un jour abolir les sexes et qu'il ne devrait pas y avoir de mention des mots « homme » ou « femme » dans les registres d'état civil du Québec.
Depuis que Bouchard a pris la présidence, pas une semaine passe sans que lui ou l'organisation fasse les manchettes. Cependant, pas pour les raisons auxquelles l'on s’attendrait d'une organisation se réclamant du féminisme. Par exemple, en juin dernier, il a gazouillé que les vasectomies devraient être obligatoires pour les hommes de 18 ans. À l'automne, il a encouragé les femmes non musulmanes à se voiler pour soutenir une députée à qui on a refusé l'accès au Salon Bleu de l'Assemblée nationale parce qu'elle portait un coton ouaté, en disant que le hijab est « badass ». Bouchard fait régulièrement des déclarations désobligeantes sur les féministes critiques du genre, et utilise l’insulte « TERF » pour attaquer celles qui sont en désaccord avec son idéologie sur l'identité de genre.     
Pour moi, le comportement et les commentaires de Bouchard ont toujours été inacceptables. Mais pour de nombreux membres du public, les politiciens et les médias, il a fallu les événements récents pour qu'ils mettent enfin leur pied à terre. 
Le 22 janvier dernier, Marylène Lévesque, une jeune femme dans l'industrie du sexe à Québec, a été tuée par un ex-détenu qui avait été reconnu coupable du meurtre de sa partenaire il y a 15 ans, mais qui était en semi-liberté, bien que demeurant un danger pour les femmes. Eustachio Gallese avait été autorisé à recourir aux services de femmes dans la prostitution dans le cadre d'une « stratégie » de libération conditionnelle. Alors que les féministes luttant contre l'exploitation dans l’industrie du sexe (abolitionnistes) et la société dans son ensemble étaient choquées et troublées, Bouchard gazouillait, soi-disant avec sarcasme, « Les relations hétérosexuelles sont vraiment violentes. De plus, la plupart des relations sont basées sur la religion. Il est peut-être temps d'avoir une conversation sur leur interdiction et leur abolition ».  
Dans son gazouillis, Bouchard se moquait une énième fois des abolitionnistes, arguant que la prostitution n'a pas été un facteur dans la mort de cette jeune femme, et affirmant que nous pourrions tout aussi bien interdire l'hétérosexualité si nous voulons argumenter contre le commerce du sexe. Le commentaire sur la religion était une tentative de s'en prendre aux femmes qui appuient la loi québécoise sur la laïcité, et de dépeindre celles-ci comme des hypocrites. 
Il semble que ce fut la goutte de trop pour les médias et le public, qui ont fait grand cas du gazouillis de Bouchard. La FFQ s'est dissociée de ses propos, tandis que plusieurs politiciens, journalistes et membres du grand public ont demandé sa démission et que le gouvernement du Québec retire le financement de l'organisme. (La FFQ est aussi largement subventionnée par le gouvernement fédéral, jusqu’à hauteur de 500 000 $ par année). Depuis, la FFQ et Bouchard sont demeurés silencieux.   
Un jour avant de gazouiller sur Lévesque, Bouchard avait publié un autre gazouillis odieux, visant les abolitionnistes. Le mépris des abolitionnistes au Québec a été renouvelé récemment, de la part de ceux qui soutiennent le « libre choix » des clients d'acheter des services sexuels, en lien avec l'avènement de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs, lancée en novembre 2019. Montréal a la réputation d'être une plaque tournante de l'exploitation sexuelle des femmes, et la commission a été mise sur pied afin d'étudier la vulnérabilité des mineures au trafic sexuel au Québec. Lors des audiences de la commission, la plupart des intervenants ont dénoncé l'exploitation sexuelle des jeunes, ont parlé de la nécessité de cibler les acheteurs de services sexuels et ont insisté sur la sensibilisation et l'éducation sexuelle des jeunes.
Toutefois, deux groupes se sont distingués au cours des audiences, au point de devoir être rappelés à l'ordre en raison de leur mépris affiché pour les autres intervenants : Stella, un groupe de défense des « travailleuses du sexe », dont la directrice, Sandra Wesley, siège également au conseil d'administration de la FFQ ; et Piamp, un projet d'intervention auprès des mineur-e-s prostitué-e-s. Les deux groupes ont repris leur rhétorique habituelle, voulant que les femmes qui se prostituent sont consentantes, qu'elles ont du pouvoir et qu'elles tirent profit de leur travail dans l'industrie. Elles ont même avancé que la lutte contre l'exploitation des mineurs est 1) un faux problème, car l'exploitation n'est pas la norme, et 2) une forme de paternalisme, car les jeunes savent ce qu'ils font et sont les experts de leur vie. 
Le 27 janvier, en réponse à l'audience, Bouchard a gazouillé:
« Les abolos sont des collabos
Des répressions policières
Des marginalisations
De la justification de la déshumanisation
De la victimisation 
Des femmes de l’industrie »

Le même jour, il était interviewé à Québec Réveille au sujet de « l'appropriation des expériences des femmes dans l'industrie du sexe ». Il en a profité pour s'attaquer à La CLES (La concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle), une organisation qui lutte contre l’industrie du sexe et soutient les femmes souhaitant en sortir, et plus largement les abolitionnistes. « La CLES a dit que le meurtre de Lévesque est la preuve qu'il faut abolir la prostitution... Cette façon de penser fait en sorte que les femmes ne peuvent pas travailler en toute sécurité », a déclaré Bouchard à l'animatrice. Essentiellement, il a soutenu que la criminalisation des proxénètes et des clients stigmatise les femmes dans l'industrie, ce qui ensuite amène les hommes qui achètent des services sexuels à infliger des violences aux femmes prostituées. Bouchard a également affirmé que La CLES utilisait la mort de la femme à des fins politiques, plutôt que de se préoccuper réellement des femmes victimes de la violence masculine. Bouchard a ajouté que les militants en faveur de l’industrie du sexe devraient assister au rassemblement du 30 janvier à la mémoire de Lévesque, craignant que l'événement soit monopolisé par les abolitionnistes. 

Parlant de fins politiques… Bouchard et Stella ont tous deux choisi de blâmer les féministes pour la mort de la jeune femme, plutôt que le tueur lui-même, affirmant que les abolitionnistes détestent les femmes dans la prostitution. On pourrait penser que celles qui préconisent l'« intersectionnalité » comprennent la multitude de systèmes oppressifs qui conduisent des femmes à se prostituer (les femmes pauvres, marginalisées, autochtones ou racialisées y sont surreprésentées), mais il semble que ce ne soit pas le cas.

Après des années à prétendre écouter et valoriser les perspectives des défenseuses de l'industrie du sexe et des abolitionnistes de manière égale, et à faire la distinction entre « agentivité » et « exploitation », les membres de la FFQ ont voté en faveur de la décriminalisation complète de l'industrie en 2018. À la suite de cette assemblée générale (j'épargnerai aux lectrices les détails du manque de démocratie interne de la FFQ, connu depuis une dizaine d'années, et des moyens utilisés par l'organisation pour rejeter et faire taire celles qu'elle ne souhaite pas entendre), deux groupes importants – la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et La CLES – ont quitté la FFQ, entraînant avec eux des milliers de membres mécontentes.   
À chacune des frasques de Bouchard, les médias se demandent ce que fait cet homme à la tête d'un groupe de femmes. Bouchard se dit préoccupé par les femmes marginalisées, ce qui est valable. Cependant, il le fait avec un grand mépris pour les femmes « non-opprimées » : celles qu'il appelle « cis », ainsi que les femmes blanches ou hétérosexuelles – 80 % des femmes au Québec, en d'autres termes. Il favorise l'inclusion et la tolérance en excluant et en étant intolérant (de façon très provocante, d'ailleurs). On s'attendrait à un peu plus de réserve de la part d'une personne dans sa position, d'autant plus qu'il allègue parler au nom de toutes les femmes. En réalité, Bouchard ne fait que se défendre lui-même ainsi que sa clique.
Sa définition personnelle de l'approche "intersectionnelle" ne favorise pas la solidarité entre les femmes, ce qui devrait être le mandat de base de la FFQ, mais divise plutôt les femmes. Beaucoup de Québécoises ne s’y sentent plus représentées. PDF Québec (Pour les droits des femmes du Québec) a été créé en 2013 après le départ en 2009 de nombreuses femmes insatisfaites de la FFQ, notamment pour ses prises de position en faveur du voile. PDF Québec fait appel à un nombre croissant de féministes en raison de son approche universaliste. 
Bien qu'il reste encore beaucoup de travail à faire, la vision de la société québécoise sur l'exploitation sexuelle a beaucoup évolué au cours des dernières années. Être abolitionniste n'est plus considéré comme un défaut. Cependant, la FFQ et d'autres organisations « pro-sexe » poursuivent leur campagne de dénigrement contre les abolitionnistes sans trop de résistance. La société critique la FFQ lorsqu'elle s'attaque aux hommes, aux hétérosexuels et à la maternité, mais rarement lorsqu'elle s'attaque aux abolitionnistes ou aux femmes critiques de l’idéologie de genre. Peut-être que les organisations prétendant s'intéresser à la « diversité » et à l'« inclusion » ne sont pas si « diversifiées » et « inclusives » après tout.

Elaine Grisé est titulaire d'une maîtrise en sexologie et en études féministes. Elle est une abolitionniste du genre et de l’industrie du sexe vivant à Montréal.

Ce texte est publié dans sa version originale sur le site Feminist Current.

mercredi 12 février 2020

Tribune : les "femmes trans" sont-elles des femmes ?

Voici le texte de la tribune que j'ai publié dans le Huff à 12h, après lecture et accord d'une journaliste de la rédaction, et qui a été supprimé du site à 17h.

"ce texte n’avait aucunement sa place sur notre site. C’est une erreur de l’avoir publié. Les propos transphobes à l’intérieur vont à l’encontre des valeurs prônées par Le HuffPost depuis sa création. Les femmes trans sont des femmes. Nous vous présentons nos plus sincères excuses pour la publication de ce texte."






« Question trans » : les colleuses contre les féminicides se divisent et toutes les femmes sont menacées 


Le collectif de colleuses d’affiches contre les féminicides se divise autour de la « question trans ». Il s’agit bien plus que d’une querelle de chapelles : au-delà du groupe des colleuses, c’est l’avenir du féminisme et des politiques d’égalité qui est en jeu. 

La polémique a débuté lorsque des activistes ont profité de la visibilité de la méthode des collages pour imposer leurs propres slogans. 

Leur propos était de condamner – en l’occurrence au « bûcher » - les dénommées « TERFs », acronyme signifiant : Trans Exclusionary Radical Feminist. De nombreuses féministes en effet considèrent que les personnes trans ne devraient pas être incluses dans les espaces réservés aux femmes et ne devraient pas être au centre de l’agenda féministe. 

Les « femmes trans » sont-elles des femmes ? Autrement dit, suffit-il de s’auto-proclamer femme pour pouvoir exiger d’être considéré comme telle ? 
Comment une société peut-elle défendre les droits des femmes et œuvrer à l’égalité si le mot « femme » change de définition ? 




Selon les féministes radicales et matérialistes, les femmes sont tout d’abord des êtres humains femelles. Elles ont un double chromosome X et, sauf malformation ou anomalie, elles ont un appareil génital qui permet la gestation et l’accouchement d’un enfant. 

Les caractéristiques physiques liés à la procréation correspondent au sexe biologique, notion distincte de celle de « genre », qui désigne une construction sociale, et plus exactement un système d’oppression qui organise l’humanité en deux groupes, l’un dominant et exploitant l’autre. 

Cette exploitation des femmes est intrinsèquement liée à leur biologie. Dans nos sociétés, les petites filles sont éduquées différemment des petits garçons ; en raison de leur sexe de fille. Les femmes sont collectivement et individuellement dévalorisées et réduites à un statut d’objet sexuel et de pourvoyeuse de soins ; en raison de leur sexe de femme. 

Or les transactivistes, ennemis des « TERFs », ont une toute autre définition de ces termes. Pour eux, le genre est certes une construction sociale, mais il n’est pas lié au sexe. Une personne peut avoir un corps ou un autre, elle sera homme ou femme (ou autre…) en fonction de son ressenti. Si une personne déclare se sentir femme, elle est une femme. Si elle déclare se sentir homme, c’est le même principe qui s’applique. Le genre est une identité qui ne repose sur aucune base matérielle. 

Il est des contextes où, en effet, le ressenti ne peut pas être contesté. Si je ressens une douleur physique ou morale, je suis la seule à pouvoir l’affirmer, et personne ne devrait le nier. 

Être une femme n’est pas un ressenti. Cela correspond à une réalité physiologique très spécifique et à un vécu social tout aussi spécifique. Tout cela est réel. Dans nos sociétés, être une femme, c’est souffrir et être épuisée tous les mois mais devoir travailler comme si de rien n’était. C’est être considérée comme une proie potentielle dans l’espace public et comme une travailleuse bénévole dans l’espace privée. Ce statut repose sur la réalité de notre corps. Si je suis, entre autres, discriminée à l’emploi et sous-payée, ce n’est pas parce que je « me sens une femme », ni parce que j’ai une « identité » de femme, mais bien parce que chacun saura, en me voyant, que j’ai un corps de femme. Aucun « ressenti » ne pourra être équivalent à cette réalité.

Les « femmes trans » quant à elles, sont des personnes nées garçons, qui ont le plus souvent conservé un corps d’homme (dans 75% à 80% des cas en France, elles n’ont subi aucune intervention chirurgicale), mais qui affirment avoir une « identité de genre » de femme, et ainsi être des femmes au même titre que les êtres humains femelles qui ont un utérus et qui depuis leur naissance subissent la misogynie de notre société.  

Si les « femmes trans » sont considérées comme des femmes, quel que soit leur corps ou leur apparence physique, alors le mot « femme » s’applique à qui le souhaite, même à des personnes ayant un corps et une apparence d’homme. 

Or, dans une société encore patriarcale, les mots « femme » et « homme » doivent garder leur signification. Nous avons besoin de pouvoir mesurer les inégalités entre les sexes pour les dénoncer et surtout les corriger. Il nous faut pouvoir mettre en œuvre des politiques publiques et des mesures correctives qui s’adressent spécifiquement aux femmes. 

Quel sens auraient les listes paritaires en politique, les programmes ciblés pour créatrices d’entreprises et femmes scientifiques, les compétitions sportives féminines… si des hommes peuvent s’y imposer d’une simple déclaration d’identité ? 

Considérer les « femmes trans » comme des femmes pose des problèmes encore plus concrets. Quel que soit le ressenti de ces personnes, quelle que soit leur sincérité, les femmes n’ont pas le loisir de prendre le risque d’accepter des hommes dans les espaces non-mixtes : vestiaires de sport, toilettes publiques ou dortoirs d’auberges de jeunesse, mais aussi prisons et centres d’hébergement d’urgence pour femmes victimes de violences masculines. 

Aucune féministe ne met en cause la souffrance des personnes qui ne se sentent pas « nées dans le bon corps ». Cela dit, nous devons veiller à préserver nos espaces et à ce que nos stratégies restent centrées sur les filles et les femmes. C’est la survie de notre mouvement qui est en jeu, et donc la survie de nos droits et de notre intégrité. 

lundi 10 février 2020

"se sentir une femme" - cette formulation nous met toutes en danger


Traduction d'un article paru dans The Economist le 3 juillet 2018

L’auto-identification de genre, source de dangers pour les femmes 

Selon la militante Kristina Harrison, ce principe, s’il est appliqué, est une menace pour les espaces non-mixtes et la défense des droits des femmes. 

Kristina Harrison, salariée du National Health Service, est une personne transsexuelle qui a subi des opérations chirurgicales et subit toujours un traitement hormonal afin d’être considérée comme une personne du sexe opposée à son sexe de naissance. Elle est également militante et défend l’idée que le passage d’un système de reconnaissance légale fondée sur un diagnostic médical à un sytème fondé sur une simple déclaration de la personne concernée aurait des conséquences désastreuses sur des jeunes gens vulnérables, sur les mesures spécifiques aux femmes et par ailleurs nuirait également aux personnes trans. 




Le gouvernement conservateur au pouvoir au Royaume-Uni, malgré des tergiversations de façade, a démontré une intention ferme quant à la refonte du Gender Recognition Act (GRA) de 2004. Il bénéficie du soutien du parti travailliste et d’un mouvement transgenre qui a désormais pignon sur rue. Ce mouvement est imprégné de ce qui est largement vu comme une idéologie de genre intolérante et même extrémiste. Ce n’est pas sans raison que femmes et personnes transsexuelles en nombre croissant ont exprimé leurs inquiétudes. Si la nouvelle mouture du GRA est adoptée, le terme « transgenre », ainsi que les termes « homme trans » et « femme trans » seront désormais des termes vagues désignant toute personne biologiquement femelle qui s’identifie comme étant un homme, ou l’inverse. 

Les personnes trans peuvent être des hommes qui s’identifient comme femmes mais veulent conserver un corps d’homme, des personnes « gender fluid » (qui s’identifient comme femmes certains jours et hommes d’autres jours), ou encore ceux que nous appelions auparavant des travestis, en particulier des hommes qui ont un fétiche sexuel dirigé vers les vêtements et les attributs physiques féminins. 

J’imagine que vous commencez à vous faire une idée de la nature de l’inquiétude de certaines femmes. Même si le principe n’est pas entièrement entériné dans la loi, en pratique, la simple affirmation d’un homme selon laquelle il s’identifie comme une femme lui donne accès aux espaces qui étaient jusqu’à présent non-mixtes : toilettes publiques, centres d’hébergement d’urgence pour femmes victimes de violences, etc. Notre inquiétude porte sur la nature, les méthodes et les implications potentielles et effectives de l’idéologie qui sous-tend le mouvement transgenre. Nous nous opposons à toute proposition de loi qui permettrait à un homme d’être légalement reconnu comme femme sur simple déclaration, comme à une femme d’être reconnue comme homme. 

Cette mesure donnerait une valeur légale à la version la plus extrême de l’idéologie du genre, qui va jusqu’à redéfinir entièrement ce qu’est une femme et ce qu’est un homme. Balayer d’un revers de main des définitions qui ont structuré nos sociétés pendant des milliers d’années ne peut se faire avec une telle désinvolture de la part de la classe politique. Or le débat public autour de ce sujet est quasiment impossible : il est empoisonné par un effort constant visant à taire ou marginaliser les voix dissidentes, en particulier celles venant de femmes. Leurs adversaires n’hésitent pas à se livrer à du harcèlement et même à des démonstrations de force. 

Parmi leurs tactiques les plus récurrentes, on trouve l’accusation de transphobie. Loin de se contenter de cibler les personnes qui expriment de la haine envers les trans, à présent cette accusation peut s’abattre sur tout individu qui oserait exprimer une critique de cette idéologie ou qui défendrait le principe de droits des femmes sur la base de leur sexe biologique. Elle est prétexte à des campagnes de harcèlement et peut nuire à la réputation et même à la carrière de celui ou celle qui en est l’objet. Ces campagnes sont très dissuasives. A ma connaissance, encore aucun membre du Parlement, homme ou femme, n’a émis de critique publique ; ce n’est pas un hasard. Nous sommes face à une véritable attaque contre la démocratie, et les personnes trans n’en sortiront pas gagnantes. 

Pour des raisons similaires, à savoir par peur des représailles, certains organismes hésitent à mettre en application les clauses d’exceptions prévues par le texte du « Equality Act » de 2010. 

Cette disposition prévoit que les femmes, telles que définies par leur sexe, doivent être considérées un groupe vulnérable et discriminé et à se titre se voir accorder le droit à des mesures et les espaces dédiés, tels que des centres d’hébergement d’urgence pour victimes de violences conjugales et leurs enfants, ces violences étant, à de très rares exceptions près, toujours commises par des hommes contre des femmes. 

(...) de nombreuses travailleuses sociales expriment la crainte que des prédateurs, qui sont souvent capables de trésors d’ingéniosité pour s’approcher de femmes vulnérables, puissent détourner le principe de l’auto-identification de genre à leur avantage. Ce serait chose aisée dans un contexte ou une personne peut être considérée comme trans même sans avoir subi de modification physique (hormones ou chirurgie), et quelle que soit l’attitude qu’elle affiche. Autrement dit, n’importe quel homme qui a l’apparence, le discours et le comportement typique d’un homme pourra être considéré comme une femme trans : il lui suffit de dire qu’il en est une. 

Quel plus beau cadeau pourrions-nous faire aux agresseurs ? 

Cette crainte n’est pas une vue de l’esprit. En 2012, Christopher Hambrook, « femme trans », s’est introduit dans deux refuges pour femmes sans abri à Toronto et y a commis harcèlement sexuel et viols pour lesquels il sera condamné en 2014. Quelques mois avant les faits, la loi fédérale avait été modifiée dans le sens de la reconnaissance de l’identité de genre sur la base de l’auto-désignation. 

Le gouvernement britannique a récemment confirmé qu’il conserverait le Equality Act en l’état, quelque soient ses propositions de réformer le Gender Recognition Act. En théorie, les mesures et espaces non-mixtes seront préservés, s’ils apportent une réponse proportionnée à un besoin légitime. Malgré tout, une victoire des tenants de l’avancée du GRA aura des conséquences en termes de redistribution des cartes entre les acteurs en présence : les personnes trans qui défendent la prise en compte pragmatique des intérêts de chaque groupe perdront du terrain au profit d’activistes qui veulent la suppression, à terme, des espaces non-mixtes et des politiques ciblées vers les femmes. La notion de sexe biologique comme critère de définition du groupe des femmes se verra encore davantage affaiblie face à celle de genre, dont la nature culturelle et politique n’est pas à démontrer.  

Les transactivistes nous assènent que cet enjeu ne concerne personne d’autre eux-mêmes et que de ce fait, on ne saurait en débattre. C’est faux. L’auto-identification de genre est un enjeu qui dépasse la question du respect des croyances de chacun.e. Un nombre conséquent de groupes et d’individus transactivistes ou transgenres ont pour objectif celui d’obtenir les droits que leur confèrent le sexe auquel ils-elles déclarent appartenir. Ces revendications de nature sociale et politique concernent la société entière, et en premier lieu les femmes, les personnes homosexuelles et transsexuelles. 

(...)

L’auto-identification de genre a des conséquences tangibles sur les espaces réservés aux femmes et sur les stratégies qu’elles mettent en œuvre pour combattre la misogynie en définissant leur propre agenda. De façon plus profonde, il s’agit d’une atteinte à leur droit à se définir elles-mêmes. Nombreuses sont les femmes qui refusent d’être une nouvelle fois définies selon les critères qui les ont justement entravées dans leur accomplissement d’elles-mêmes depuis la naissance : la passivité, l’abnégation et le sacrifice pour les autres (en particulier les hommes), la douceur, la modestie, le fait d’être évaluées selon leur apparence plutôt que leurs actions... Ces normes pèsent comme un fardeau sur leur vie. Nous sommes nombreuses à insister sur le fait que les femmes sont avant tout un groupe défini par un sexe biologique et une socialisation spécifique. Le sexe est une réalité, c’est même ce qui est au fondement de l’espèce humaine. 

Comment sortir de cette impasse ? Il me semble que nous sommes nombreux.ses à reconnaître que le système actuel de reconnaissance légale des personnes trans est d’une lourdeur administrative qui confine à la cruauté, que ces personnes bénéficient d’un accompagnement insuffisant et que ce système peut même avoir quelque chose d’humiliant. 

Il est possible d’y apporter des améliorations notamment en mettant la recherche de diagnostic au centre du dispositif, afin que les besoins des personnes soient pris en compte de façon plus adaptée. L’autre priorité est de protéger les adolescent.es de diagnostics hâtif.ves. Il s’avère que 60 à 90% des enfants transgenres n’éprouvent plus de dysphorie de genre après la puberté. Un système plus responsable permettrait en outre aux femmes de se sentir en sécurité. 

Il nous faut prendre en compte la présence de deux groupes discriminés. Ainsi la protection des espaces de non-mixité pour les femmes, avec l’affirmation du droit à braver les stéréotypes de genre, doit cohabiter avec l’amélioration des parcours de soins et d’accompagnement des personnes trans – sans que leurs droits n’empiètent sur ceux des femmes. 

En dépassant l’antagonisme entre les discours extrémistes qui empêchent le débat, nous pourrons avoir une vue d’ensemble sur ces enjeux et une discussion à la fois pragmatique et respectueuse de chacun.e. Nul doute que nous trouverons alors des solutions viables pour chacune des parties prenantes, loin du climat d’hostilité actuel. 

https://www.economist.com/open-future/2018/07/03/a-system-of-gender-self-identification-would-put-women-at-risk

Voir d'autres traductions de textes de féministes radicales anglophones sur le blog Tradfem : 
https://tradfem.wordpress.com


dimanche 2 février 2020

Cette semaine, l'hebdomadaire britannique libéral The Economist consacre deux articles à la question trans. 
Ce premier article dénonce les risques inconsidérés de l'administration de bloqueurs de puberté à des enfants et de jeunes adolescent.es.
Il n'explore pas les raisons qui poussent ces toutes jeunes personnes à "vouloir changer de sexe", et notamment les pressions d'un lobby qui voit un manne financière dans le mal-être de jeunes accablé.es par les injonctions et les violences du patriarcat. 



Pression sur les bloqueurs de puberté 
Les traitements médicaux appliqués aux enfants transgenres doivent faire l’objet de plus grandes précautions 


Le nombre de petites filles qui veulent être des garçons et de petits garçons qui veulent être des filles est en augmentation. On observe également une augmentation du nombre d’enfants transgenres qui prennent des traitements pour interrompre leur puberté, appelés inhibiteurs d’hormones ou encore bloqueurs de puberté. 

En Grande-Bretagne, les cas d’enfants traités pour dysphorie de genre par le National Health Service restent rares, mais lors de cette dernière décennie le nombre de cas a augmenté de 50% par an chaque année. Aux Etats-Unis, le nombre de « cliniques du genre » qui reçoivent et traitent des enfants est passé d’une seule en 2007 à une cinquantaine aujourd’hui. 

Ce phénomène interroge le législateur. Plusieurs états américains veulent prohiber l’administration d’inhibiteurs d’hormones à des enfants. En Grande-Bretagne, la Haute Cour de Justice est actuellement en train d’envisager le recours à une instruction judiciaire à l’encontre de l’une de ces cliniques. L’établissement a en effet été saisi par des plaintes selon lesquelles des inhibiteurs d’hormones auraient été prescrits sans prendre les précautions d’usage. 

L’administration de ces traitements pose l’épineuse question de savoir qui doit décider du devenir du corps d’un enfant, et pourquoi. Laissons de côté les « culture wars », ou querelles idéologiques - si c’est possible. Ce débat devrait garder en ligne de mire les intérêts de l’enfant. Et ceux-ci ne sont pas si simples à connaître qu’il n’y parait.  

Les bloqueurs de puberté empêchent les adolescent.es d’acquérir des signes sexuels secondaires comme des seins ou de la barbe. Ces traitements impliquent quasi-systématiquement une myriade d’interventions, notamment l’injection d’hormones puis éventuellement des actes chirurgicaux de réassignation de genre. L’objectif principal des bloqueurs de puberté est d’apporter du confort aux personnes qui souffrent de dysphorie de genre, en leur permettant d’éviter, par exemple, de ressembler davantage à une femme, si cette personne est une jeune fille qui voudrait être un garçon. Ils permettent aussi des opérations moins lourdes à l’âge adulte. 

Cependant, la combinaison de bloqueurs de puberté et d’hormones pour développer les signes sexuels secondaires de l’autre sexe a des conséquences irréversibles. Si elle intervient tôt dans le processus de la puberté, elle a notamment pour effet de rendre la personne stérile. Une douzaine d’études portant sur des enfants atteints de dysphorie de genre et qui n’ont pas pris de bloqueurs de puberté ont démontré que, si ces enfants sont correctement accompagnés et suivis, après la puberté ils et elles n’éprouveront plus le désir de changer de sexe. Le chiffre qui revient le plus souvent est de 85%. La plupart s’avèrent être homosexuel.les. Autre indice qui va à l’encontre du bien-fondé de ces traitements : de plus en plus de personnes transgenres font une « détransition » - au bout d’une certaine période, ils et elles s’identifient de nouveau à leur sexe biologique. La majorité d’entre eux-elles sont des jeunes filles qui voulaient être des garçons alors qu’elles étaient adolescentes. Si elles avaient été traitées à cet âge, elles seraient devenues stériles, même en gardant un appareil génital intact. 

A l’heure actuelle, il est impossible de faire la différence entre les 15% d’enfants dont la transition sera un succès des 85% d’autres enfants qui n’en auraient pas eu besoin s’ils et elles avaient été suivi.es. D’aucuns affirment que ces traitements soulagent la détresse d’enfants vulnérables et qu’ils permettent de faire baisser le taux de suicide de cette population à risque. 

Comment décider à quels enfants administrer un traitement ? C’est un jugement de Salomon. Le choix est d’autant plus ardu que nous manquons cruellement de données. Les études académiques existantes qui tendent à démontrer le risque de suicide accru parmi les enfants transgenres ne sont pas convaincantes, les cliniques ne publient pas suffisamment de données sur les conséquences des traitements et nous manquons d’études comparatives. Il nous manque une meilleure appréhension des effets à long terme des bloqueurs de puberté. Chaque enfant traité devrait faire l’objet d’une étude au long cours. 

Il serait injustifié d’interdire en toutes circonstances les inhibiteurs d’hormones. Une telle mesure serait douloureuse pour certains enfants, et par ailleurs, il nous serait alors impossible de mener des études sur le sujet. Pour autant, cette ruée a tout l’air d’une lubie du moment. Les adolescent.es sont très enclin.es à détester leur corps. Une transition apportera du réconfort à certain.es.. mais sera une erreur dramatique pour d’autres. 



Ce deuxième article reprend des éléments du premier, c'est pourquoi ma version traduite est tronquée. Il évoque les contraintes qui peuvent influencer les enfants à se croire transgenres et à vouloir subir un traitement hormonal de « réassignation de genre ». 


La politique du genre – Etats changeants 

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Selon l’Association Professionnelle Mondiale pour la santé des personnes transgenres, les interventions de réassignation de genre ne devraient avoir lieu qu’après une « enquête approfondie du contexte social et familial et un examen psychologique ». Cela semble évident. Or a dysphorie de genre ne fait pas l’objet d’un examen médical. Les études existantes montrent que la plupart des enfants qui s’identifient comme appartenant à l’autre sexe finissent par rétablir par eux-mêmes un sentiment d’adéquation. Ce sont par ailleurs des enfants sujets à la dépression et aux troubles anxieux. Un écheveau compliqué à démêler pour les patient.es, leurs parents et les professionnel.les de santé qui doivent déterminer quel enfant, parmi cet ensemble de cas, souffre d’une dysphorie de genre qui va s’installer dans le temps. 

Laura Edwards-Leeper, professeure de psychologie à la Pacific University, dans l’Oregon, et co-fondatrice de la première clinique pour enfants transgenres des Etats-Unis, à Boston, admet qu’une « grande majorité » d’enfants soumis à des inhibiteurs d’hormones n’ont pas été examinés de façon suffisamment approfondie. D’après elle, ce manquement est du à une pénurie de professionnel.les suffisamment formé.es sur le sujet. Elle pointe également l’envie, chez certain.es médecins, de venir en aide à une population qui a longtemps été privée de soins. 

Il y a un risque évident que certain.es patient.es regrettent leur transition. Personne ne connait leur nombre, mais on sait que parmi ces personnes figurent des lesbiennes qui regrettent de ne pas avoir été encouragées à explorer la non-conformité à leur genre – par exemple, la possibilité d’être une lesbienne « butch », ou « masculine ». Elles disent que c’est le manque d’alternatives possibles qui les a poussées vers le transgenrisme et la prise de testostérone. D’autres personnes déclarent que leur dysphorie de genre était le symptôme d’un trouble psychique et que c’est un traitement hormonal qui leur a été prescrit. 

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Certains médecins sont inquiets de ce phénomène mais sont peu enclins à en parler ouvertement. C’est peu surprenant, étant donné le caractère explosif de ce débat de nos jours. Quand Lisa Littman, professeure de sciences comportementales et sociales à l’Université Brown, a publié un article en 2018 dans lequel elle démontrait que la majorité des enfants transgenres étaient des adolescentes qui n’ont pas un passé de dysphorie de genre – un phénomène qu’elle appelle « dysphorie de genre soudaine » - elle a été accusée de transphobie. 

Dans un contexte aussi polarisé, une interdiction systématique des inhibiteurs d’hormones a de grandes chances d’être contre-productive, poussant leurs partisans dans des retranchements extrêmes. Il vaut mieux adopter une approche en deux volets. D’un côté, la publication de données objectives sur ces traitements et leurs effets aideraient les patient.es et leur famille dans leur prise de décision. La plupart des études existantes proviennent des cliniques elles-mêmes et sont donc biaisées. De l’autre côté, les jeunes patient.es devraient être soumis à des examens psychologiques rigoureux et approfondis. 

Pour cela, il faut reconnaître le danger que représente des traitements hormonaux aux conséquences irréversibles pour des enfants. Aujourd’hui, le regarder en face n’est pas envisageable. 
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