mardi 25 février 2020

Article d'Elaine Grisé : "Le Québec dira-t-il enfin que c'en est assez à Gabrielle Bouchard de la FFQ?"

Article d’Elaine Grisé, Québec 

Le Québec dira-t-il enfin que c'en est assez à Gabrielle Bouchard de la FFQ?

La personne à la présidence de la Fédération des femmes du Québec, un homme s’identifiant comme femme, fait des déclarations controversées depuis des années, dressant les femmes les unes contre les autres. Est-elle finalement allée trop loin ?

24 FÉVRIER 2020 par ELAINE GRISÉ


Gabrielle Bouchard (Image: Fédération des femmes du Québec)

La scène politique et féministe québécoise a été turbulente dernièrement. Pour être juste, c'est vrai des dernières années. Les débats politiques et idéologiques se retrouvent au cœur même des valeurs de la société et suscitent beaucoup de divisions. Aujourd'hui, les désaccords nous placent du « bon » ou du « mauvais » côté – les ennemis sont rapidement déterminés et traités comme immuables, que nous soyons de droite, de gauche ou dans le mouvement féministe.
Longtemps reconnue comme un groupe phare pour les droits des femmes au Québec et sur la scène internationale, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) n'est plus ce qu'elle était et suscite régulièrement la controverse.
Au cours de la dernière décennie, la FFQ a connu de nombreuses démissions de ses membres en raison de conflits politiques et de l'absence de processus ouverts et démocratiques en son sein. La difficulté à recruter la dernière présidente montre que le poste suscitait bien peu d’intérêt. La présidente précédente ayant quitté son poste rapidement en raison de conflits internes, seul Bouchard a postulé pour la remplacer. Sans compétition, il a été élu par acclamation à l'automne 2017.
Bouchard était controversé avant même qu'il ne prenne la tête de la FFQ. En 2015, la Commission des institutions tenait des consultations et des audiences publiques dans le but de rédiger le Règlement relatif au changement de nom et d’autres qualités de l'état civil pour les personnes transsexuelles ou transgenresBouchard représentait le Centre de lutte contre l’oppression des genres de l'Université Concordia lors des audiences, au cours desquelles il a déclaré qu'il faudrait un jour abolir les sexes et qu'il ne devrait pas y avoir de mention des mots « homme » ou « femme » dans les registres d'état civil du Québec.
Depuis que Bouchard a pris la présidence, pas une semaine passe sans que lui ou l'organisation fasse les manchettes. Cependant, pas pour les raisons auxquelles l'on s’attendrait d'une organisation se réclamant du féminisme. Par exemple, en juin dernier, il a gazouillé que les vasectomies devraient être obligatoires pour les hommes de 18 ans. À l'automne, il a encouragé les femmes non musulmanes à se voiler pour soutenir une députée à qui on a refusé l'accès au Salon Bleu de l'Assemblée nationale parce qu'elle portait un coton ouaté, en disant que le hijab est « badass ». Bouchard fait régulièrement des déclarations désobligeantes sur les féministes critiques du genre, et utilise l’insulte « TERF » pour attaquer celles qui sont en désaccord avec son idéologie sur l'identité de genre.     
Pour moi, le comportement et les commentaires de Bouchard ont toujours été inacceptables. Mais pour de nombreux membres du public, les politiciens et les médias, il a fallu les événements récents pour qu'ils mettent enfin leur pied à terre. 
Le 22 janvier dernier, Marylène Lévesque, une jeune femme dans l'industrie du sexe à Québec, a été tuée par un ex-détenu qui avait été reconnu coupable du meurtre de sa partenaire il y a 15 ans, mais qui était en semi-liberté, bien que demeurant un danger pour les femmes. Eustachio Gallese avait été autorisé à recourir aux services de femmes dans la prostitution dans le cadre d'une « stratégie » de libération conditionnelle. Alors que les féministes luttant contre l'exploitation dans l’industrie du sexe (abolitionnistes) et la société dans son ensemble étaient choquées et troublées, Bouchard gazouillait, soi-disant avec sarcasme, « Les relations hétérosexuelles sont vraiment violentes. De plus, la plupart des relations sont basées sur la religion. Il est peut-être temps d'avoir une conversation sur leur interdiction et leur abolition ».  
Dans son gazouillis, Bouchard se moquait une énième fois des abolitionnistes, arguant que la prostitution n'a pas été un facteur dans la mort de cette jeune femme, et affirmant que nous pourrions tout aussi bien interdire l'hétérosexualité si nous voulons argumenter contre le commerce du sexe. Le commentaire sur la religion était une tentative de s'en prendre aux femmes qui appuient la loi québécoise sur la laïcité, et de dépeindre celles-ci comme des hypocrites. 
Il semble que ce fut la goutte de trop pour les médias et le public, qui ont fait grand cas du gazouillis de Bouchard. La FFQ s'est dissociée de ses propos, tandis que plusieurs politiciens, journalistes et membres du grand public ont demandé sa démission et que le gouvernement du Québec retire le financement de l'organisme. (La FFQ est aussi largement subventionnée par le gouvernement fédéral, jusqu’à hauteur de 500 000 $ par année). Depuis, la FFQ et Bouchard sont demeurés silencieux.   
Un jour avant de gazouiller sur Lévesque, Bouchard avait publié un autre gazouillis odieux, visant les abolitionnistes. Le mépris des abolitionnistes au Québec a été renouvelé récemment, de la part de ceux qui soutiennent le « libre choix » des clients d'acheter des services sexuels, en lien avec l'avènement de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs, lancée en novembre 2019. Montréal a la réputation d'être une plaque tournante de l'exploitation sexuelle des femmes, et la commission a été mise sur pied afin d'étudier la vulnérabilité des mineures au trafic sexuel au Québec. Lors des audiences de la commission, la plupart des intervenants ont dénoncé l'exploitation sexuelle des jeunes, ont parlé de la nécessité de cibler les acheteurs de services sexuels et ont insisté sur la sensibilisation et l'éducation sexuelle des jeunes.
Toutefois, deux groupes se sont distingués au cours des audiences, au point de devoir être rappelés à l'ordre en raison de leur mépris affiché pour les autres intervenants : Stella, un groupe de défense des « travailleuses du sexe », dont la directrice, Sandra Wesley, siège également au conseil d'administration de la FFQ ; et Piamp, un projet d'intervention auprès des mineur-e-s prostitué-e-s. Les deux groupes ont repris leur rhétorique habituelle, voulant que les femmes qui se prostituent sont consentantes, qu'elles ont du pouvoir et qu'elles tirent profit de leur travail dans l'industrie. Elles ont même avancé que la lutte contre l'exploitation des mineurs est 1) un faux problème, car l'exploitation n'est pas la norme, et 2) une forme de paternalisme, car les jeunes savent ce qu'ils font et sont les experts de leur vie. 
Le 27 janvier, en réponse à l'audience, Bouchard a gazouillé:
« Les abolos sont des collabos
Des répressions policières
Des marginalisations
De la justification de la déshumanisation
De la victimisation 
Des femmes de l’industrie »

Le même jour, il était interviewé à Québec Réveille au sujet de « l'appropriation des expériences des femmes dans l'industrie du sexe ». Il en a profité pour s'attaquer à La CLES (La concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle), une organisation qui lutte contre l’industrie du sexe et soutient les femmes souhaitant en sortir, et plus largement les abolitionnistes. « La CLES a dit que le meurtre de Lévesque est la preuve qu'il faut abolir la prostitution... Cette façon de penser fait en sorte que les femmes ne peuvent pas travailler en toute sécurité », a déclaré Bouchard à l'animatrice. Essentiellement, il a soutenu que la criminalisation des proxénètes et des clients stigmatise les femmes dans l'industrie, ce qui ensuite amène les hommes qui achètent des services sexuels à infliger des violences aux femmes prostituées. Bouchard a également affirmé que La CLES utilisait la mort de la femme à des fins politiques, plutôt que de se préoccuper réellement des femmes victimes de la violence masculine. Bouchard a ajouté que les militants en faveur de l’industrie du sexe devraient assister au rassemblement du 30 janvier à la mémoire de Lévesque, craignant que l'événement soit monopolisé par les abolitionnistes. 

Parlant de fins politiques… Bouchard et Stella ont tous deux choisi de blâmer les féministes pour la mort de la jeune femme, plutôt que le tueur lui-même, affirmant que les abolitionnistes détestent les femmes dans la prostitution. On pourrait penser que celles qui préconisent l'« intersectionnalité » comprennent la multitude de systèmes oppressifs qui conduisent des femmes à se prostituer (les femmes pauvres, marginalisées, autochtones ou racialisées y sont surreprésentées), mais il semble que ce ne soit pas le cas.

Après des années à prétendre écouter et valoriser les perspectives des défenseuses de l'industrie du sexe et des abolitionnistes de manière égale, et à faire la distinction entre « agentivité » et « exploitation », les membres de la FFQ ont voté en faveur de la décriminalisation complète de l'industrie en 2018. À la suite de cette assemblée générale (j'épargnerai aux lectrices les détails du manque de démocratie interne de la FFQ, connu depuis une dizaine d'années, et des moyens utilisés par l'organisation pour rejeter et faire taire celles qu'elle ne souhaite pas entendre), deux groupes importants – la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et La CLES – ont quitté la FFQ, entraînant avec eux des milliers de membres mécontentes.   
À chacune des frasques de Bouchard, les médias se demandent ce que fait cet homme à la tête d'un groupe de femmes. Bouchard se dit préoccupé par les femmes marginalisées, ce qui est valable. Cependant, il le fait avec un grand mépris pour les femmes « non-opprimées » : celles qu'il appelle « cis », ainsi que les femmes blanches ou hétérosexuelles – 80 % des femmes au Québec, en d'autres termes. Il favorise l'inclusion et la tolérance en excluant et en étant intolérant (de façon très provocante, d'ailleurs). On s'attendrait à un peu plus de réserve de la part d'une personne dans sa position, d'autant plus qu'il allègue parler au nom de toutes les femmes. En réalité, Bouchard ne fait que se défendre lui-même ainsi que sa clique.
Sa définition personnelle de l'approche "intersectionnelle" ne favorise pas la solidarité entre les femmes, ce qui devrait être le mandat de base de la FFQ, mais divise plutôt les femmes. Beaucoup de Québécoises ne s’y sentent plus représentées. PDF Québec (Pour les droits des femmes du Québec) a été créé en 2013 après le départ en 2009 de nombreuses femmes insatisfaites de la FFQ, notamment pour ses prises de position en faveur du voile. PDF Québec fait appel à un nombre croissant de féministes en raison de son approche universaliste. 
Bien qu'il reste encore beaucoup de travail à faire, la vision de la société québécoise sur l'exploitation sexuelle a beaucoup évolué au cours des dernières années. Être abolitionniste n'est plus considéré comme un défaut. Cependant, la FFQ et d'autres organisations « pro-sexe » poursuivent leur campagne de dénigrement contre les abolitionnistes sans trop de résistance. La société critique la FFQ lorsqu'elle s'attaque aux hommes, aux hétérosexuels et à la maternité, mais rarement lorsqu'elle s'attaque aux abolitionnistes ou aux femmes critiques de l’idéologie de genre. Peut-être que les organisations prétendant s'intéresser à la « diversité » et à l'« inclusion » ne sont pas si « diversifiées » et « inclusives » après tout.

Elaine Grisé est titulaire d'une maîtrise en sexologie et en études féministes. Elle est une abolitionniste du genre et de l’industrie du sexe vivant à Montréal.

Ce texte est publié dans sa version originale sur le site Feminist Current.

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