Le combat féministe se loge aussi dans les détails, au détour d'une conversation qui aurait pu rester badine. Vendredi soir, j'ai fêté le "triste succès" du tumblr Je connais un violeur que j'ai lancé le 30 août dernier, qui a reçu près de 900 000 visites en un mois et un millier de témoignages. Mes ami-e-s, camarades d'OLF et moi fêtions aussi mes apparitions dans les médias, qui m'ont permise de diffuser des idées contre le viol, les mythes qui l'entourent et qui bénéficient aux agresseurs, et d'ouvrir un peu plus le débat sur ce sujet tabou. Dans Libération, Le Nouvel Obs, France Info, l'édition nationale du JT de France 3, entre autres. Quand je parle de "fête", entendons-nous : j'avais besoin de voir des visages bienveillant et de me détendre car la lecture des témoignages du tublr est difficile et parler sans cesse du viol, dans les médias et dans ma vie sociale, était devenu oppressant.
En fin de soirée, il ne reste qu'une autre militante d'OLF, 3 invités masculins dont 2 que je ne connaissais pas auparavant, et moi. "Au fait, qu'est-ce qu'on fête?" Je parle un peu du tumblr, et à sa demande, je lui montre les articles dans la presse que j'avais imprimés.
S'en est suivi une séance de feminist bashing dans les règles de l'art. J'avais déjà raconté une anecdote à ce sujet, à propos d'une campagne féministe contre le viol également, par des camarades du MJS.
Les thèmes abordés, qui reviennent souvent apparemment :
- C'est pire ailleurs. Effectivement, nous ne sommes pas excisées, messieurs, nous ne vous en remercierons jamais assez.
- Contester les chiffes.
- Tout contester : contester la gravité du viol ("si c'est le seul problème qu'ont les femmes en France, wah"), la gravité des violences conjugales ("une femme en meurt tous les 3 jours.. ah bon, c'est beaucoup ?"), la gravité du traumatisme lié au viol, l'existence de la misogynie.. Au nom du doute cartésien, de la liberté intellectuelle, du "sel de l'esprit".
Au nom du doute systématique, et car il paraît que chaque conversation doit évoquer la Shoah au bout d'un certain temps, le plus coriace de nos contradicteur en est venu à prôner le doute quant à la réalité du génocide (ce qui est un délit), et quant au statut de victime. "Tout n'est pas noir ou blanc". "Qui est réellement la victime?" "Qu'est-ce qu'une victime?"
Moi : Une victime, c'est une gamine qui se pointe aux urgences médico-judiciaires avec le vagin déchiré et l'utérus pété.
Lui : Je ne parle pas de ça, je parle "en général".
- Nous avons eu le malheur de dire que nous étions des féministes radicales, et même en expliquant le terme, nous sommes qualifiées d'"extrémistes et moi j'ai peur des extrémistes".
Entre malhonnêteté intellectuelle, dénigrement systématique ponctué de "mais ton tumblr est une très bonne initiative", l'entreprise consistait clairement à nous énerver, nous faire tourner en bourrique et nous blesser. Or mon amie et moi avons gardé notre calme, ce qui a beaucoup déçu nos détracteurs. Qui (de nationalité étrangère), en sont venus à une extrémité de bêtise en nous assénant que "de toute façon, les Français ne font que râler".
Faute d'arguments de leur part, faute de déferlement de haine misandre et hystérique de notre côté, nous avons été attaquées pour "ne pas accepter le débat d'idées". Or ce ne sont pas des points de vues que nous échangeons. Une femme sur 6 victime de viol ou tentative de viol, ce n'est pas un point de vue. Et oui, nous connaissons mieux le sujet que des hommes qui n'y connaissent rien. Pourtant la conversation s'est terminée sur "vous les Français êtes arrogants, toi (votre dévouée), tu te la pètes parce que tu as écrit un livre (un livre comique, rien à voir), tu n'as pas l'humilité d'accepter que tu ne connais pas mieux le sujet que nous, tout ça parce que ça fait 4 ans que tu l'étudies ! "
J'ai fait quelque chose d'inédit et de fort agréable. Tranquillement installée dans mon canapé, je n'ai pas bougé d'un iota. J'ai gardé une expression neutre et un air calme, j'ai pointé le hall d'entrée du doigt et j'ai dit : "La porte est juste là. Tu te casses. Tout de suite".
Il l'a fait. C'était bon.
Epilogue. Le lendemain, j'ai reçu un mail d'excuse de Javier, l'ancien prof d'hébreu qui avait amené les deux bougres (et qui avait brillé non par son absence, mais par son silence). Et voici l'une des ses conclusions (je passe sur le "ressentiment des Latino-Américains à l'encontre de l'Europe et son petit confort.." )
"je pense que le sujet a touche un certain orgueil masculin qui s'est senti agressé"
Ce à quoi j'ai répondu :
"Si leur orgueil a été touché, est-ce qu'ils assimilent "homme" et "violeur" ? Personnellement je ne pense pas du tout que tous les hommes soient violents (alors même que "je connais des violeurs", mais je connais aussi bon nombre d'hommes qui sont au clair avec la question)
Cette identification avec la population visée par le tumblr est pour le moins suspecte."