Je
suis encore étonnée d’entendre des poncifs, de la part d’hommes et de femmes,
qui le plus souvent rejettent le féminisme par ignorance et par peur d’être
réduits en esclavage par des Amazones ou de nous voir tous changés en
hermaphrodites. "Je ne suis pas sexiste, mais pas féministe non plus". Ou "Je ne suis pas féministe, je suis humaniste".
Comme tout mouvement de pensée, le féminisme est riche et composite. Cela dit, tou-tes les féministes s’accordent à vouloir faire progresser les droits, l’autonomie et la liberté des femmes. A moins d’être convaincu que les femmes sont intrinsèquement inférieures aux hommes et qu’elles ne méritent pas la même dignité et le même respect, il est difficile de ne pas être féministe.. même malgré soi !
Une fois ce postulat de départ accepté, on peut être pour ou contre la prostitution ou le porno, pour ou contre le port du voile, les piscines non-mixtes, le mariage, le maquillage..
Et si les féministes peuvent être mariée et pleine de marmaille, lesbienne, executive woman ou bimbo sulfureuse, toutes s’accordent à dire que le plus important est d’être réellement libre de son mode de vie et de sa manière d’être une femme.
« Etre
féministe, ça avait du sens dans les années 70, maintenant, l’égalité, on
l’a »
(Je
ne développerai pas le thème des inégalités salariales, les discriminations à
l’embauche, les pressions que subissent les jeunes filles et les femmes quant à
leur apparence physique, les violences...)
Quand
on évoque cette fameuse égalité déjà acquise, il est souvent fait allusion à
l’acquisition du droit à l’avortement ou à celui à avoir un compte bancaire
séparé de celui du mari.
De
plus, l’égalité en droit n’a pas beaucoup de sens si on ne garantit pas
l’égalité réelle. Un droit inscrit dans la loi n’entre pas automatiquement dans
les moeurs et les mentalités. Chacun-e sait que le viol est puni par la loi. Or
les clichés sont tenaces, le mythe du « elle l’a bien cherché », très présent, le fait que beaucoup d’hommes croient (à tort !) qu’ils peuvent tranquillement pénétrer une femme inconsciente.. j’en passe. Les cas sont rarement dénoncés à la police (qui ne
fait pas toujours dans la finesse et l’empathie) et font très rarement l’objet
de condamnation. (explication complète à lire dans Rue89)
« Les
féministes sont contre les hommes. Le féminisme, c’est l’équivalent du
machisme »
« je
ne suis pas féministe : je respecte mon homme et je ne le siffle pas comme
un chien ». (lu sur Facebook). Que chacun-e se rassure, les féministes
n’entendent pas faire subir à des hommes ce qu’elles-mêmes subissent
régulièrement. Les homosexuels ne prévoient pas d’envoyer tous les hétéros dans
des camps ni de les trépaner pour les rendre homos, les Noirs ne comptent pas
réduire les Blancs en esclavage, les Roms ne veulent pas nous mettre dehors à
coups de pied au derrière.. On souffle, on se détend.
« Les
féministes présentent les femmes comme des victimes, en fait elles sont
misogynes. Et puis elles pensent que tous les hommes sont violents, elles sont
misandres »
Le
terme « victime » n’est pas dégradant en soi. Ce qui est destructeur,
c’est de nier le statut de victime, qui revient à considérer le crime ou l’agression
comme la norme (voir sur l'excellent blog de Guillaume Leroy). S’il n’y a pas de victime, il n’y a pas de coupable et tout va
pour le mieux.
Personne n'est une victime en soi ni un agresseur en soi, mais il se trouve que nous vivons dans une société où la violence envers les femmes est tolérée, esthétisée et même érotisée (voir les pubs sexistes, l'article de Muriel Salmona sur la violence sexuelle contenue dans les discours sur le sexe, et l'article de votre dévouée sur cette même question). Les victimes de viol (des femmes dans 90% des cas, à l'âge adulte), souffrent en plus de "victim blaming", tandis que les maris violents qui tuent leur épouse voient leurs agissements justifiés par "une rupture difficile" et le retrait de la garde des enfants. (Voir l'article de Guillaume Leroy "les médias complices des hommes violents?"). Le discours ambiant a tendance à banaliser, voire excuser ou carrément nier la violence systémique qui s'exerce contre les femmes.
Et oui, dans les faits, elles sont plus susceptibles d'être victimes de violence physique et sexuelle que les hommes, eux-mêmes statistiquement plus souvent violents physiquement que les femmes. C'est une donnée statistique, qui s'explique par de nombreux facteurs, tous culturels. (et non, la force physique ne justifie pas la violence. J'ai moi-même souvent envie d'agresser des caniches, mais je me retiens).
Le féminisme ne vise pas à "victimiser" les femmes. Il vise à dénoncer les violences et injustices dont elles sont effectivement les victimes, et à lutter contre leurs causes et leurs conséquences.
« Les féministes
s’occupent des mauvais combats »
Les féministes seraient
des follettes occupées à manifester seins nus (vu qu’elles ont brûlé leurs
soutien-gorge), pour que les hommes fassent pipi assis en jupe.
Il est plus facile de se
moquer d’actions spectaculaires de militantes, voire d’alimenter des rumeurs
(personne n’a jamais brûlé de soutien-gorge, c’est une idée qui a été lancée
sans être appliquée, pour des raisons de sécurité toutes bêtes), que de réfléchir
au bien fondé de ce mouvement et aux mécanismes de la domination masculine. On
peut rejeter les féministes à cause de l’expérience menée en Suède d’appeler
les enfants par des pronoms neutres au lieu de lui ou elle. Ou à cause de cette
autre idée de proposer aux hommes de porter des jupes. Des excès,
dites-vous ? Quand bien même. Ce sont des expériences ponctuelles qui ont
pour objet de déconstruire les différences culturelles entre filles et garçons
qui se créent et s’alimentent au détriment des filles et des femmes. L’enjeu
est de taille, ça vaut le coup de tenter, d’expérimenter, de tâtonner et même
parfois de se planter.
A part ça, c’est grâce à
des féministes que les femmes ont le droit de vote, que le viol, et dans le
mariage également, a été criminalisé, que les femmes peuvent choisir si et
quand elles auront un enfant, et qu’il sera bientôt illégal pour un homme de
payer une prostituée issue de trafics humains pour lui imposer ses plus
sordides fantasmes scatophiles. Par exemple.
Et ces combats passent
aussi par ce qui semble être des détails. Bourdieu a raison quand il dit que la
domination masculine est d’ordre symbolique. S’il s’était déjà pris des mains
au cul ou plus si affinités, il aurait su que cette domination est aussi très
concrète et tangible, mais passons. La suppression du
« mademoiselle », la féminisation des titres fait partie du long
cheminement qui fera que les femmes ne seront plus définies par leur statut
marital, et que les petites filles pourront se rêver en ministre et cheffe
d’entreprise (comme l’écrivent les Québécois-es) au même titre que leurs
frères. Et puis.. « quand on hiérarchise les luttes, on n’est pas en train
d’agir » !
« Et
les droits des hommes ? Dans le mot féminisme, il y a le mot femme, vous
ne demandez pas réellement l’égalité »
Les personnes qui prononcent cette phrase sont dans l'ignorance ou le déni des disparités qui existent entre les sexes. En voyant qu'il existe un "ministère des droits des femmes", "ONU femmes" et j'en passe, elles se disent "mince, y'en a que pour elles". Dans ces cas-là, j'essaie de rester calme et j'initie mon interlocuteur à la notion de "mécanisme
compensatoire". Qui implique qu'il y a quelque chose à compenser...
« Les
féministes sont des mal baisées »
Ce point mérite un article à lui tout seul... un article où j'expliquerai comment mon engagement a embelli ma vie sexuelle : je suis attentive à mon désir, libérée des impératifs de performance, réconciliée avec mon corps et celui des hommes..
Je ne me lasserai jamais de cette phrase de Clémentine Autain : Exprimer ou respecter un "non", c’est donner plus de saveur au "oui".
ça donne envie de s'engager, n'est-ce pas?