mardi 16 juillet 2013

Les hommes de gauche

Je n'étais pas encore militante à Osez le Féminisme, je buvais un verre avec deux militants de l'UNEF et des Jeunesses socialistes, après une manif.

"Je connais bien Caroline de Haas. Les féministes, ce qu'elles veulent, c'est juste le pouvoir".
moi : "En quoi ça pose un problème, des femmes qui voudraient elles aussi accéder au pouvoir ? "

L'autre jeune homme poursuit sur le thème de la campagne d'OLF "viol : la honte doit changer de camp". Alors qu'il me parle de ce sujet, forcément sensible pour moi en tant que femme, il me fixe droit dans les yeux et plaque sa cuisse contre la mienne.

Je suis restée tétanisée. Je vivais ma première expérience de "feminist blaming", et pas la plus anodine : une menace implicite de viol. "Tu peux militer tant que tu voudras, cocotte, je fais de toi ce que je veux quand je veux". 

"Il n'y a que des hommes de droite dans la seule patrie existant sur Terre
Patria 
Patriarcat patriarcal" 

Brigitte Fontaine

vendredi 12 juillet 2013

Prostitution : si les clients pouvaient se taire..


Et si on laissait parler les femmes ? 

Les survivantes, bien sûr, mais pas uniquement.

Quand je dis que la prostitution est une violence, même dans les beaux quartiers, même si le client est « gentil », on me rit au nez : « C’est juste ta sensibilité, tu projettes tes propres blocages, tu fais de ton cas une généralité... ». Je suis donc une petite fille gâtée qui refuse la prostitution par sensiblerie niaise.

« On peut accepter d’être contrainte » : voici le genre d’absurdités qu’on entend à  propos de la prostitution, de la part d’hommes parfaitement intégrés socialement. Nous sommes décidément des créatures irrationnelles et bien « compliquées » : la règle de logique élémentaire selon laquelle A n’est pas non-A s’applique à l’univers entier sauf à nous !

Dès qu’un acte sexuel est monnayé, il n’est pas libre. Le choix du partenaire est contraint, ce qui est en soi une violence. En plus de cela, le partenaire (qui n’en est pas un) devient client, face à un service dont il dispose. Un client peut être beau et avoir la peau douce. Je peux même l’avoir choisi. S’il m’impose une pratique sexuelle que je ne désire pas, c’est un viol.

C’est là que les choses deviennent confuses dans les esprits de ces messieurs, qui ne font pas toujours la différence entre érotisme et violence, entre plaisir et avilissement.

« Imagine qu’une femme soit agressée sexuellement, mais en fait elle le voulait », m’a dit un garçon bien éduqué de mon cercle d’amis.
Jeune homme, sais-tu que je n’ai nullement besoin d’« imaginer » une agression sexuelle ? Comme de nombreuses femmes, et certains hommes, les pressions en tous genres et la violence dans le domaine sexuel sont pour moi tout sauf une vue de l’esprit.
Contrairement aux hommes qui couvrent ma voix avec la leur, et qui me font taire avec dédain, je sais très bien ce que c’est, que d’être dépossédée de son corps.

C’est en ce sens que les femmes devraient être écoutées sur la question de la prostitution. Messieurs, il ne viendrait à l’esprit d’aucune de nous de vous couper la parole d’un ton péremptoire pour vous imposer nos propres vues sur votre vécu en tant qu’homme.

Laissez-nous parler de ce que nous connaissons et que vous ignorez. Oui, nous sommes plus à même de concevoir la brutalité potentielle du sexe, et les dégâts immenses qu’elle peut causer, que le spectateur de film X qui s’excite devant l’avilissement d’une femme et qui n’a jamais connu l’humiliation.



mardi 9 juillet 2013

Vous êtes tous féministes sans le savoir, bande d'hystériques !



Je suis encore étonnée d’entendre des poncifs, de la part d’hommes et de femmes, qui le plus souvent rejettent le féminisme par ignorance et par peur d’être réduits en esclavage par des Amazones ou de nous voir tous changés en hermaphrodites. "Je ne suis pas sexiste, mais pas féministe non plus". Ou "Je ne suis pas féministe, je suis humaniste". 

Comme tout mouvement de pensée, le féminisme est riche et composite. Cela dit, tou-tes les féministes s’accordent à vouloir faire progresser les droits, l’autonomie et la liberté des femmes. A moins d’être convaincu que les femmes sont intrinsèquement inférieures aux hommes et qu’elles ne méritent pas la même dignité et le même respect, il est difficile de ne pas être féministe.. même malgré soi !
Une fois ce postulat de départ accepté, on peut être pour ou contre la prostitution ou le porno, pour ou contre le port du voile, les piscines non-mixtes, le mariage, le maquillage.. 
Et si les féministes peuvent être mariée et pleine de marmaille, lesbienne, executive woman ou bimbo sulfureuse, toutes s’accordent à dire que le plus important est d’être réellement libre de son mode de vie et de sa manière d’être une femme.

« Etre féministe, ça avait du sens dans les années 70, maintenant, l’égalité, on l’a »

(Je ne développerai pas le thème des inégalités salariales, les discriminations à l’embauche, les pressions que subissent les jeunes filles et les femmes quant à leur apparence physique, les violences...)
Quand on évoque cette fameuse égalité déjà acquise, il est souvent fait allusion à l’acquisition du droit à l’avortement ou à celui à avoir un compte bancaire séparé de celui du mari.
Si en effet l’avortement est légal en France, il faut savoir que des centres IVG ferment tous les jours. Qu’une femme qui cherche des informations sur google trouvera d’abord des sites pseudo-médicaux anti-avortement, mieux référencés que les sites médicaux, qui culpabilisent les femmes qui doivent faire face à cette situation déjà difficile en soi. En Espagne, le droit à l’avortement se réduit de plus en plus et le ministre de la Justice Gallardon envisage de criminaliser l’avortement en le rendant passible de peines de prison.


De plus, l’égalité en droit n’a pas beaucoup de sens si on ne garantit pas l’égalité réelle. Un droit inscrit dans la loi n’entre pas automatiquement dans les moeurs et les mentalités. Chacun-e sait que le viol est puni par la loi. Or les clichés sont tenaces, le mythe du « elle l’a bien cherché », très présent, le fait que beaucoup d’hommes croient (à tort !) qu’ils peuvent tranquillement pénétrer une femme inconsciente.. j’en passe. Les cas sont rarement dénoncés à la police (qui ne fait pas toujours dans la finesse et l’empathie) et font très rarement l’objet de condamnation. (explication complète à lire dans Rue89)

« Les féministes sont contre les hommes. Le féminisme, c’est l’équivalent du machisme »
« je ne suis pas féministe : je respecte mon homme et je ne le siffle pas comme un chien ». (lu sur Facebook). Que chacun-e se rassure, les féministes n’entendent pas faire subir à des hommes ce qu’elles-mêmes subissent régulièrement. Les homosexuels ne prévoient pas d’envoyer tous les hétéros dans des camps ni de les trépaner pour les rendre homos, les Noirs ne comptent pas réduire les Blancs en esclavage, les Roms ne veulent pas nous mettre dehors à coups de pied au derrière.. On souffle, on se détend.

 « Les féministes présentent les femmes comme des victimes, en fait elles sont misogynes. Et puis elles pensent que tous les hommes sont violents, elles sont misandres »
Le terme « victime » n’est pas dégradant en soi. Ce qui est destructeur, c’est de nier le statut de victime, qui revient à considérer le crime ou l’agression comme la norme (voir sur l'excellent blog de Guillaume Leroy). S’il n’y a pas de victime, il n’y a pas de coupable et tout va pour le mieux.
Personne n'est une victime en soi ni un agresseur en soi, mais il se trouve que nous vivons dans une société où la violence envers les femmes est tolérée, esthétisée et même érotisée (voir les pubs sexistes, l'article de Muriel Salmona sur la violence sexuelle contenue dans les discours sur le sexe, et l'article de votre dévouée sur cette même question). Les victimes de viol (des femmes dans 90% des cas, à l'âge adulte), souffrent en plus de "victim blaming", tandis que les maris violents qui tuent leur épouse voient leurs agissements justifiés par "une rupture difficile" et le retrait de la garde des enfants. (Voir l'article de Guillaume Leroy "les médias complices des hommes violents?"). Le discours ambiant a tendance à banaliser, voire excuser ou carrément nier la violence systémique qui s'exerce contre les femmes. 
Et oui, dans les faits, elles sont plus susceptibles d'être victimes de violence physique et sexuelle que les hommes, eux-mêmes statistiquement plus souvent violents physiquement que les femmes. C'est une donnée statistique, qui s'explique par de nombreux facteurs, tous culturels. (et non, la force physique ne justifie pas la violence. J'ai moi-même souvent envie d'agresser des caniches, mais je me retiens). 
Le féminisme ne vise pas à "victimiser" les femmes. Il vise à dénoncer les violences et injustices dont elles sont effectivement les victimes, et à lutter contre leurs causes et leurs conséquences. 

« Les féministes s’occupent des mauvais combats »
Les féministes seraient des follettes occupées à manifester seins nus (vu qu’elles ont brûlé leurs soutien-gorge), pour que les hommes fassent pipi assis en jupe.
Il est plus facile de se moquer d’actions spectaculaires de militantes, voire d’alimenter des rumeurs (personne n’a jamais brûlé de soutien-gorge, c’est une idée qui a été lancée sans être appliquée, pour des raisons de sécurité toutes bêtes), que de réfléchir au bien fondé de ce mouvement et aux mécanismes de la domination masculine. On peut rejeter les féministes à cause de l’expérience menée en Suède d’appeler les enfants par des pronoms neutres au lieu de lui ou elle. Ou à cause de cette autre idée de proposer aux hommes de porter des jupes. Des excès, dites-vous ? Quand bien même. Ce sont des expériences ponctuelles qui ont pour objet de déconstruire les différences culturelles entre filles et garçons qui se créent et s’alimentent au détriment des filles et des femmes. L’enjeu est de taille, ça vaut le coup de tenter, d’expérimenter, de tâtonner et même parfois de se planter.
A part ça, c’est grâce à des féministes que les femmes ont le droit de vote, que le viol, et dans le mariage également, a été criminalisé, que les femmes peuvent choisir si et quand elles auront un enfant, et qu’il sera bientôt illégal pour un homme de payer une prostituée issue de trafics humains pour lui imposer ses plus sordides fantasmes scatophiles. Par exemple.
Et ces combats passent aussi par ce qui semble être des détails. Bourdieu a raison quand il dit que la domination masculine est d’ordre symbolique. S’il s’était déjà pris des mains au cul ou plus si affinités, il aurait su que cette domination est aussi très concrète et tangible, mais passons. La suppression du « mademoiselle », la féminisation des titres fait partie du long cheminement qui fera que les femmes ne seront plus définies par leur statut marital, et que les petites filles pourront se rêver en ministre et cheffe d’entreprise (comme l’écrivent les Québécois-es) au même titre que leurs frères. Et puis.. « quand on hiérarchise les luttes, on n’est pas en train d’agir » !

« Et les droits des hommes ? Dans le mot féminisme, il y a le mot femme, vous ne demandez pas réellement l’égalité »
Les personnes qui prononcent cette phrase sont dans l'ignorance ou le déni des disparités qui existent entre les sexes. En voyant qu'il existe un "ministère des droits des femmes", "ONU femmes" et j'en passe, elles se disent "mince, y'en a que pour elles". Dans ces cas-là, j'essaie de rester calme et j'initie mon interlocuteur à la notion de "mécanisme compensatoire". Qui implique qu'il y a quelque chose à compenser... 

 « Les féministes sont des mal baisées »
Ce point mérite un article à lui tout seul... un article où j'expliquerai comment mon engagement a embelli ma vie sexuelle : je suis attentive à mon désir,  libérée des impératifs de performance, réconciliée avec mon corps et celui des hommes.. 

Je ne me lasserai jamais de cette phrase de Clémentine Autain : Exprimer ou respecter un "non", c’est donner plus de saveur au "oui".

ça donne envie de s'engager, n'est-ce pas? 

Merci à Maia Mazaurette et à la Dent dure

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