Ma tribune dans le Nouvel Obs : Les violeurs ne sont pas les autres
Le mouvement #metoo a montré que les victimes de violences sexuelles étaient nombreuses. Caroline De Haas, de façon simplement logique, a exprimé une évidence : si les victimes sont nombreuses, si elles sont présentes dans tous les milieux, les agresseurs sont eux aussi très nombreux et présents dans tous les milieux. Au lieu de se battre autour d’hypothétiques proportions, regardons enfin cette réalité en face : les victimes de violences sexuelles ne sont pas toutes attaquées par le même satyre stakhanoviste au fabuleux don d’ubiquité. Les agresseurs sont nombreux, intégrés socialement et impunis.
En septembre 2013, j’ai lancé le blog participatif "Je connais un violeur" pour justement montrer que les agresseurs ne sont pas une infime minorité de monstres qui vivent au fond des bois.
On ne connaît du viol que ce qu’on voit dans les films, une agression spectaculaire dans une ruelle, avec couteaux et hurlement dans la nuit. Le violeur ? Un psychopathe. On ne le connaît pas, il n’est pas comme nous, c’est un malade. Il n’a pas de visage, il doit vivre dans un taudis, isolé. Heureusement qu’ils ne sont pas tous comme ça. Heureusement qu’il y a les autres. Les pères, les frères des copines, les amis, les copains, ceux avec qui on est en sécurité. Ils nous raccompagnent jusque chez nous, la nuit, ils nous protègent.
Certaines jeunes femmes de mon entourage, bien trop nombreuses, dans mon cercle d’ami.es ou dans le milieu militant, ont été violées par un homme en qui elles avaient confiance. Il n’y avait pas de couteau ni de lutte jusqu’au sang. Leur violeur n’était pas un type louche qui ouvre son manteau à la sortie des écoles. Ce qu’elles avaient vécu ne correspondait pas l’image qu’elles avaient du viol et elles ont mis des mois, des années avant de comprendre que cette "mauvaise expérience" était en fait un crime. Certaines victimes ne sauront jamais pourquoi elles souffrent, pourquoi elles se détestent, sont angoissées ou dégoûtées par le sexe.
D’autres comprennent et savent. C’est l’entourage qui ne comprend pas, ça ne colle pas dans leur esprit. Un viol, ce n’est pas comme ça. J’en ai déjà vu un dans un film, c’était différent. J’ai vu un reportage dessus, sur les banlieues, et nous vivons dans le 7e arrondissement de Paris, ne dis pas n’importe quoi. Et lui, si poli, si agréable, comment peux-tu l’accuser d’une chose pareille ? De se comporter comme un vulgaire prédateur sexuel de parking de boîte de nuit ?
Moi aussi je pensais que les violeurs étaient des malades mentaux, de pauvres types qui se jettent sur les femmes la nuit pour leur arracher leurs vêtements et les laisser pour mortes. Ou des désœuvrés de tours de banlieues, ceux qui disent "les meufs c’est comme les chaussettes, on les troue et on les jette". Qui dealent du shit dans les halls d’immeuble. Qui sont au chômage et font des séjours en prison.
Dans "Je connais un violeur", j’ai laissé les victimes décrire leur agresseur. Je voulais montrer qui ils sont. Pas ceux qui ont été condamnés, mais les 98% restant qui ne passeront pas la moindre journée en prison. Pas les inconnus qui surgissent dans les bois, mais les 83% de violeurs que la victime connaissait avant l’agression. Les bons copains, les "trop sympas pour faire un truc pareil". Qui sont-ils, que font-ils dans la vie, est-ce qu’ils ont des enfants, est-ce qu’ils donnent de l’argent à des associations humanitaires, est-ce qu’ils ont des diplômes ? Un violeur, ça fait quoi dans la vie, quand ça ne viole pas ? Où est-ce qu’on a le plus de chances de les croiser ? En boîte, dans la rue, à la fac, au musée, à l’opéra ? dans des clubs de sport et des chorales d’amateurs ? Le meilleur moyen de savoir qui sont les violeurs est encore de le demander à leurs victimes. J’ai reçu plus de 1.000 témoignages en deux mois, et autant de portraits de violeurs lisses et insoupçonnables.
Si la victime est violée par un proche, son entourage ne la croira pas. Violée ? Par lui ? Si sympa, si beau, si cultivé ? Impossible. En créant "Je connais un violeur", je voulais dire aux victimes : faites-vous confiance. Il est jeune, sexy, il fait de bonnes études, soit. Mais tu ne voulais pas, donc il n’avait pas le droit. Tu as raison d’être en colère et tu as le droit de souffrir.
Je voulais dire à tout le monde : si une femme ou un homme dit qu’il ou elle a subi un viol, croyez-les. Même si le viol ne correspond pas à l’image cinématographique que vous en aviez. Ce n’est jamais comme on se l’imagine. C’est pire.
Je voulais dire aux hommes : les violeurs ne sont pas les autres. Tu parles bien, tu plais aux femmes, tu as de grandes convictions sur les droits humains et l’égalité entre les sexes ? Très bien. Mais garde bien en tête que quand une femme n’a pas envie de toi, tu n’as pas le droit de la toucher. Si tu le fais, tu es un violeur, et ta place est en prison.
Il ne s’agit pas d’avoir peur dès qu’un homme entre dans la pièce. Il s’agit de regarder une réalité en face et d’en tirer les conséquences qui s’imposent.
- Les victimes doivent être soutenues, sans être dénigrées au prétexte que "je le connais, il ne serait jamais capable d’une chose pareille". C’est à peu près ce que pensaient les victimes de viol conjugal ou autre violences commises par un membre de l’entourage. Ca surprend. Pour autant, toute dénonciation doit être considérée avec le plus grand sérieux.
- Il faut mettre fin à l’impunité des agresseurs, cette impunité qui leur permet de recommencer encore et encore et qui envoie un message clair à tous les hommes : vous pouvez le faire sans grande crainte des conséquences. Certains l’entendent, ce message.
Le mouvement #metoo est historique. Poursuivons-le avec rigueur et cohérence. Continuons de dénoncer, soyons solidaires envers les victimes et implacables envers les agresseurs. Sans être outragés mais en ayant le courage de regarder le monde tel qu’il est – et de le changer.
Bravo pour ton texte, on ne le répètera jamais assez...
RépondreSupprimerVous écrivez : « si les victimes sont nombreuses, si elles sont présentes dans tous les milieux, les agresseurs sont eux aussi très nombreux et présents dans tous les milieux »
RépondreSupprimermais vous concluez par la phrase suivante : « Il faut mettre fin à l’impunité des agresseurs, cette impunité qui leur permet de recommencer encore et encore ».
Ces deux assertions sont incompatibles : si les violeurs sont des multirécidivistes, il s'ensuit que le nombre de viols est bien supérieur au nombre de violeurs. C'est bien cohérent avec les études qui montrent que la proportion de violeurs parmi les hommes tourne autour de 3%.
Mais vous n'êtes pas obligée de me croire sur parole. Dans ses recommandations à l'Etat américain, l'association de lutte contre les violences sexuelles RAINN écrit :
« In the last few years, there has been an unfortunate trend towards blaming “rape culture” for the extensive problem of sexual violence on campuses. While it is helpful to point out the systemic barriers to addressing the problem, it is important to not lose sight of a simple fact: Rape is caused not by cultural factors but by the conscious decisions, of a small percentage of the community, to commit a violent crime»
et explique:
« research [...] suggests that more than 90% of college rapes are committed by about 3% of college men ».
Dois-je ajouter que je trouve profondément insultante votre injonction maladroite à ne pas violer ? Cela exprime l'idée que les hommes sont naturellement enclins à le faire, mais que pourvu qu'une personne bien intentionnée leur explique que « c'est mal », ils s'en abstiendront. C'est à la fois sexiste et naïf.
Je ne vois pas d'injonction à ne pas violer dans ce texte, je vois surtout un rappel du consentement : respecter le refus de son / sa partenaire.
RépondreSupprimerEnsuite, si je ne pense pas que les hommes sont naturellement enclins au viol, je pense en revanche que la société et la façon dont nous éduquons nos enfants génèrent des violeurs. Et c'est par le même biais, l'éducation, que nous pourrons réduire considérablement le nombre de violeurs/ violeuses.
Si beaucoup de victimes ne comprennent pas qu'elles ont été violées, beaucoup de violeurs ne comprennent pas qu'ils ont violé, parce qu'ils sont imprégnés des mêmes stéréotypes que leurs victimes.
"beaucoup de violeurs ne comprennent pas qu'ils ont violé". A mon avis ils feignent de ne pas le comprendre, et vous êtes bien naïve de les croire. A supposer qu'on parle de la même chose, à savoir du viol, crime consistant à se livrer à des attouchements sexuels sur une femme contre sa volonté; je n'imagine pas une seule seconde qu'on puisse agir ainsi en toute innocence. Mais vous préférez croire à un "problème de société" gérable par une campagne paternaliste d'ingénierie sociale. Voilà ce que j'écrivais à ce sujet dans un article de mon blog:
RépondreSupprimerOn voit maintenant régulièrement des affiches de prévention contre le viol qui nous informent que « Non, c'est non », ou que « Si tu la forces, c'est un viol ». La Palice en aurait dit autant. La géniale trouvaille derrière ces campagnes semble être l'idée que si des hommes violent, c'est qu'ils sont ignorants de la gravité de leurs actes. Pourquoi agiraient ils ainsi sinon ? Comment pourraient ils être insensibles aux larmes de leurs victimes ? Dans ce curieux monde de lapins tueurs, le Mal est partout, mais il peut être combattu à coup d'éditos et de rééducation publicitaire. Il n'est pas surprenant que des êtres d'une telle naïveté aient l'impression d'une menace diffuse et aléatoire : quand on manque à ce point de discernement, on pourrait tel le Petit Chaperon Rouge se laisser abuser par un loup en habits de grand-mère.