C’est de l’humour
Ah
l’humour... qui n’aime pas rire et faire rire ? Le rire détend, c’est même
sa fonction physiologique. Très concrètement, il sert à désamorcer une tension.
Il donne du plaisir. Rire ensemble crée une proximité émotionnelle. Le bon
plaisantin met en confiance et séduit.
L’humour
fédère autour de références communes. On rit des mêmes choses parce qu’on se
comprend à demi-mot, le rire est un signe de reconnaissance et de ralliement. Quand
on rit, on se sent bien, et on se sent bien de rire ensemble.
Alors quand
on proteste contre un propos voire un agissement sexiste et que l’agresseur et
ses complices nous rétorquent un « c’est de l’humour », qu’en
penser ?
Quand un
propos sexiste est défendu par un « C’est de l’humour », ce qui est
sous-entendu est :
« Toi qui te sentais blessée
par ce propos, tu as tort de ressentir ce que tu ressens. Tu n’as pas compris
ce que tu devais ressentir, tu as mal choisi ton émotion.
Tu as tort de mal le prendre, car
comme je dis que c’est de l’humour, cela signifie que je ne le pense pas
sincèrement. Je décrète que c’est de l’humour alors le propos est
annulé ».
Il y a
toujours une manipulation émotionnelle derrière un « c’est de
l’humour ». Ce qui importe n’est pas l’intention cachée de l’auteur, mais
si ce propos est effectivement sexiste ou non. L’humour peut être oppressif,
humiliant, destructeur, l’un n’empêche absolument pas l’autre. Les célèbres
calembours de Jean-Marie Le Pen étaient, techniquement, de l’humour : des
jeux sur les mots qui le faisaient bien rire. Leur caractère antisémite n’en
était pas moins réel.
Un
« c’est de l’humour » est péremptoire lorsqu’il sous-entend « Je
ne le pense pas vraiment, je ne suis pas quelqu’un comme ça ». On ne peut
pas répliquer « si si, tu le penses vraiment ». C’est un déplacement
du problème : peu nous importe de savoir si l’agresseur voulait être
drôle. Quand Rémi Gaillard surprend des femmes en leur imposant des gestes
obscènes, il les agresse, que certains en rient ou non.
Le
« c’est de l’humour » qui vient après ne change rien à la nature de
l’acte. D’autant que rire d’une agression ou d’une humiliation renforce le
caractère humiliant de l’attaque. Si l’agression que tu commets te fait rire,
tu montres qu’agresser l’autre t’a donné du plaisir.
Et si tu
demandes en plus à ta victime de rire, la manipulation est complète. Rire de sa
propre dégradation ? On ne serait pas dans un scénario pervers ?
L’humour
sexiste peut viser une personne en particulier, qui pourra se sentir attaquée
pour elle-même. Il peut aussi s’agir d’attaques contre d’autres femmes, ou de
blagues comme celles qui circulent sur internet ou à la fin des repas de
famille, qui visent l’ensemble des femmes ou certaines sous-catégories bien
ciblées (les blondes, les belles-mères ou les prostituées).
Elles ont
toutes en commun de renforcer un stéréotype sexiste ou de rire de la violence
ou de la haine contre les femmes en général ou l’une d’elles en particulier.
Ces blagues
créent une assemblée des rieurs soudés contre les femmes, leur rabaissement est
associé à la détente et la convivialité. La personne qui n’a « pas
d’humour » est au contraire isolée du cercle des rieurs et on lui renvoie l’image
de quelqu’un de coincé qui ne sait pas prendre du plaisir ou d’une imbécile
incapable de faire la différence entre l’humour et le premier degré. Mis à part
que le problème n’est pas là : l’intention humoristique n’annule pas la
violence des propos, bien au contraire. Braver un
« c’est de l’humour » demande du courage, heureusement que nous en
avons une bonne dose en réserve !
Le problème
posé par la blague sexiste n’est ni son sujet (oui, on peut rire de tout), ni
son public (oui, avec tout le monde), mais le message qu’elle véhicule. Qui est
ridiculisé ? Quel acte est banalisé en étant présenté comme
potentiellement amusant ?
Il
ne devrait pas y avoir de sujet tabou, de sujet dont on n’aurait pas le droit
de plaisanter, j’en suis convaincue. L’humour est une prise de distance avec le
réel, un décalage, un pas de côté d’autant plus vital que l’objet moqué
provoque douleur et effroi. J’aime raconter comme il était cocasse
de transporter les cendres de mon grand-père dans un sac de voyage.
S’il
ne devrait pas y avoir de sujet tabou, il y a des sujets sensibles. Le viol en
fait partie. C’est un sujet sensible pour les victimes et pour les femmes en
général, toutes victimes potentielles quel que soit leur apparence physique et
même leur âge. Le nombre de victimes est incalculable et 99% des violeurs ne
seront jamais condamnés. Pour les victimes, la simple évocation de ce crime peut
provoquer une détresse semblable à celle ressentie pendant l’acte. C’est un
effet du stress post-traumatique. Alors que dire d’une blague sur le viol… dite
par un homme…
Le
problème des blagues sur le viol, dans l’immense majorité des cas, n’est pas
leur sujet mais ce que, à mots couverts, elles disent du viol. La définition
implicite qu’elles reprennent et véhiculent.
Pour
être plus claire, je vais commencer par un exemple évident.
« Que
fait un Somalien qui trouve un grain de riz ?
Il
ouvre un restaurant »
Cette
devinette n’est pas un sommet de l’humour, j’en conviens.
Pourtant
cette blague fonctionne parce que les Somaliens sont associés mentalement à la
faim. C’est ce postulat de départ qui fait que l’humour opère.
« Que
fait un Suisse qui trouve un grain de riz ?
Il
ouvre un restaurant »
Echec
total, il n’y a pas de postulat de départ sur lequel l’imaginaire collectif
s’accorde.
A
présent, voyons sur quels postulats de départ reposent les blagues sur le viol.
J’en
suis désolée mais je vais devoir en citer quelques unes, pour la démonstration.
« Dans
un pays en guerre, un groupe de miliciens attaque un village. Ils entrent dans
une maison, font sortir les hommes pour les tuer et violent toutes les femmes
présentes. Ils s’apprêtent à sortir de la maison, mais une petite vieille qui
était cachée sous un lit sort de sa cachette et s’adresse aux miliciens :
« hé, la guerre, c’est pour tout le monde » ! »
Elle
est vieille, elle n’a vraisemblablement pas fait l’amour depuis longtemps. Elle
veut donc attirer l’attention des miliciens pour qu’ils
« s’occupent » d’elle aussi.
Cette
blague nous dit que le viol, c’est du sexe. De la même façon qu’on peut tout
naturellement désirer du sexe, on peut désirer être violée.
Même
principe avec « Qu’est-ce qui mesure 25 cm et qui donne envie aux
femmes de coucher avec moi ?
Mon
couteau »
Voilà
exactement en quoi les blagues sur le viol ne sont pas acceptables. Dans la
quasi-totalité des cas, elles sous-entendent que le viol est du sexe et qu’il
peut être désiré. Ce n’est pas seulement faux, c’est également pervers, et plus
grave encore, c’est justement l’idée qui justifie ces crimes et qui
maintiennent les victimes dans la honte et la culpabilité. « Comment
étiez-vous habillée ? » est une blague sur le viol, les rires en
moins. Cette question devenue un poncif sur le thème dit la même chose.
Etais-tu sexy ? As-tu suscité le désir sexuel ? Si oui, alors tu as
récolté ce que tu as semé : du sexe. Sauf que le viol n’a rien à voir avec
le désir mais tout à voir avec la destruction de l’autre.
On
peut rire sur le viol, oui. Mais on ne peut pas en rire comme on rit du sexe.
On ne peut pas non plus en rire comme si le viol était un sujet anodin.
Le
« je vais te faire mon cri de femme violée » de Jennifer Lawrence
crispe parce que le viol est un crime aussi atroce que répandu et impuni.
Nos
sociétés ont un problème avec le viol, crime dans les textes mais pas dans les
esprits ni dans les faits. Réglons ce problème, faisons en sorte que le viol
soit réellement et massivement perçu comme une violence, sans équivoque, et
ensuite nous pourrons nous permettre de plaisanter à son propos – mais pas
n’importe comment. Sans nier ce qu’il est : une horreur, jamais désirée ni
désirable, qu’il faut comprendre et combattre.
Il
n'y a pas de sujet tabou, j'y reviens. Et si on riait du viol en se moquant des
violeurs ? Et si le rire était une arme non pas des machistes, mais des femmes
?
Conseil de self defense.
Si un homme tente de vous violer,
parlez-lui et dites-lui ceci :
"Je t'aime. Je voudrais faire un
enfant avec toi"
Il s'en ira en courant avant la fin de
la phrase.
On
respire mieux, n'est-ce pas ?
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