jeudi 13 juin 2013

Inégalité dans le désir


_ Hé jeune homme, t’es super charmant, on dirait Rafael Nadal, tu viens boire un verre ?
_ Non merci, désolé
_ Comment il s’la raconte ! Sale **, vas-y ** ma **

Ce dialogue est purement fictif. Il est en effet inconvenant pour une femme de faire un compliment sur le physique d’un inconnu ou de faire état de ses conquêtes masculines. J'ai déjà été rabrouée pour moins que ça. De la part d'un homme en revanche, l'expression d'une attirance est parfaitement acceptable, voire souhaitée. 

Plutôt que d’exprimer leur désir, les femmes devraient plutôt déambuler, ouvertes à tous les vents et tous les compliments, prêtes à recevoir la semence telles des utérus en promenade. Un homme qui lit sur un banc public, est un homme qui lit sur un banc public. Une femme dans la même situation doit se réjouir d'être sollicitée pour satisfaire la libido du chaland. Chacune doit composer avec ces intrusions, être trop polie c'est encourager la manoeuvre, être trop froide c'est s'exposer à des insultes ou pire. Tout un art de la diplomatie. Dans la continuité du mythe de l’homme actif et de la femme passive, les femmes sont perçues comme un réceptacle du désir masculin, une forteresse à prendre dans la tradition Valmontesque.

Plutôt que désireuses, conquérantes, actives et volontaires, les femmes doivent être disponibles, souriantes et accueillantes. Les femmes ne sont pas sensées avoir un désir autonome : contentons-nous de répondre aux avances masculines. Or il y a une différence fondamentale entre accepter et vouloir, tolérer et aimer, suivre un mouvement et initier le mouvement, consentir et désirer. La femme doit être consentante, dit-on. Mais le consentement est si facile à extorquer ! Seul le désir est libre.

« Les laboratoires pharmaceutiques s’inquiétent de leurs résultats, qui seraient trop bons. (..) On craint que les femmes débordent de libido et deviennent des infidèles frénétiques, bouleversant l’ordre de la société ».

L’auteur de cette phrase a publié le livre au titre prometteur : What do women want. Significatif. Afin de mieux être brimé, le désir des femmes est recréé, inventé par les hommes. Il doit être une projection de ce que les hommes désirent qu’elles désirent.

Merci à Amanda Postel, qui milite avec moi à Osez le féminisme! pour sa réaction parfaitement formulée à la déclaration de François Ozon sur notre soi-disant "fantasme de prostitution" : 


« C’est donc confirmé : secrètement, nous rêvons toutes d’être des putes. Merci François Ozon, de dire tout haut ce que vous voudriez que les femmes pensent tout bas, du haut de votre position d’autorité. Et de rappeler que tout homme (même s’il préfère lui-même les hommes) a une expertise naturelle en matière de sexualité féminine. Nous, nous sommes trop passives et irrationnelles pour parler pour nous-mêmes. Mieux, on aime ça, qu'on parle à notre place.
C’est peu ou prou l’équivalent soft d’un « tu aimes ça, salope » lancé à une actrice porno bâillonnée. (et si l’intervieweuse est dubitative, c’est parce qu’elle est américaine, pas que les propos d’Ozon sont un ramassis d'inanités: ne jamais se remettre en question, jamais !).
L'affaire est tout à fait révélatrice du cinéma encensé à Cannes : des hommes qui fabriquent des personnages féminins selon leur propre fantasme, et qui prétendent ensuite que leurs univers fictifs sont une image fidèle de la réalité. »

et par votre dévouée. 



Le mythe de Pygmalion va loin : le sculpteur impose la forme mais aussi la pensée et les envies. 
Cette vision imposée de l’absence de désir, de volonté propre des femmes se répercute dans tous les domaines, elles auront plus de mal à s'imposer dans un groupe mixte, leur volonté et leur parole est mise en doute. Les femmes sont versatiles, changeantes, soumises aux forces incontrôlées de leurs hormones. "Souvent femme varie, bien fol qui s'y fie", disait François Ier (le roi de France, pas le nouveau Pape). Confieriez-vous le bouton de la bombe atomique à quelqu'un d'aussi peu fiable ? On se comprend.

Mais restons-en au champ de la sexualité. Le système prostitutionnel n'est qu'une extrapolation paroxysmique de ce déséquilibre entretenu. L'un désire et impose, l'autre s'exécute. Et le premier nous dit que le second aime ça. 

Dans le débat actuel sur la pénalisation des clients de la prostitution (qu’on appelle de façon moins hypocrite les prostitueurs), l’auteure Claudine Legardinier répond au chanteur Antoine :

« Quel est cet art, donc, où un seul exprime son désir, ou plutôt ses lubies sexuelles sur un objet qu'il a jaugé, soupesé et rémunéré, et où l'autre, sous le sourire commercial de rigueur, se contente de s'exécuter en serrant les dents et en attendant que ça passe (voire en prenant un peu de valium pour se donner du courage) ? L'idée de la sexualité ainsi défendue par notre libertaire épris d'exotisme fait froid dans le dos. Notre chanteur aux chemises fleuries a-t-il déjà connu le plaisir partagé ? Le trouble, l'émotion, le plaisir – si unique, si subtil – de sentir le plaisir de l'autre ? »

« Erreur ou mauvaise foi, de la part de nos détracteurs ? Qu'importe. Nous continuerons de nous battre pour la liberté sexuelle, pour que les femmes aussi aient un droit au désir, au plaisir, pour qu'elles cessent d'être des objets à disposition, des trophées, des outils à confirmer la virilité. »

Un droit au désir, et non pas l’heur être désirées. 

1 commentaire:

  1. Bonjour Fleur Furieuse .

    Jolie texte et meme jolie Blog !

    Désir et séduction sont certainement intimement liés.. une femme qui assument ouvertement ses désirs perd certainement beaucoup en séduction de nos jours!

    bonne continuation

    Faux-Folles

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