Il
ne devrait pas y avoir de sujet tabou, de sujet dont on n’aurait pas le droit
de plaisanter, j’en suis convaincue. L’humour est une prise de distance avec le
réel, un décalage, un pas de côté d’autant plus vital que l’objet moqué
provoque douleur et effroi. J’aime
raconter comme il était cocasse de transporter les cendres de mon grand-père
dans un sac de voyage.
S’il
ne devrait pas y avoir de sujet tabou, il y a des sujets sensibles. Le viol en
fait partie. C’est un sujet sensible pour les victimes et pour les femmes en
général, toutes victimes potentielles quel que soit leur apparence physique et
même leur âge. Le nombre de victimes est incalculable et 99% des violeurs ne
seront jamais condamnés. Pour les victimes, la simple évocation de ce crime
peut provoquer une détresse semblable à celle ressentie pendant l’acte. C’est
un effet du stress post-traumatique. Alors que dire d’une blague sur le viol..
dite par un homme..
Loin
d’être une anomalie produite par quelques cerveaux malades, le viol est l’une des manifestations d’une
culture soigneusement entretenue : la culture du viol. On parle de
« culture » car il s’agit d’un système de croyances et de pratiques.
Les blagues en sont l’un des rouages.
Le
problème des blagues sur le viol n’est pas leur sujet. Une fois encore, tous
les sujets peuvent faire l’objet de plaisanteries. Le problème, c’est le
message de ces blagues, ce que, à mots couverts, elles disent du viol. La
définition implicite qu’elles reprennent et véhiculent.
Pour
être plus claire, je vais commencer par un exemple évident.
« Que
fait un Somalien qui trouve un grain de riz ?
Il
ouvre un restaurant »
Cette
devinette n’est pas un sommet de l’humour, j’en conviens.
Pourtant
cette blague fonctionne parce que les Somaliens sont associés mentalement à la
faim. C’est ce postulat de départ qui fait que l’humour opère.
« Que
fait un Suisse qui trouve un grain de riz ?
Il
ouvre un restaurant »
Echec
total, il n’y a pas de postulat de départ sur lequel l’imaginaire collectif
s’accorde.
A
présent, voyons sur quels postulats de départ reposent les blagues sur le viol.
J’en
suis désolée mais je vais devoir en citer quelques unes, pour la démonstration.
« Dans
un pays en guerre, un groupe de miliciens attaque un village. Ils entrent dans
une maison, font sortir les hommes pour les tuer et violent toutes les femmes
présentes. Ils s’apprêtent à sortir de la maison, mais une petite vieille qui
était cachée sous un lit sort de sa cachette et s’adresse aux miliciens :
« hé, la guerre, c’est pour tout le monde » ! »
Elle
est vieille, elle n’a vraisemblablement pas fait l’amour depuis longtemps. Elle
veut donc attirer l’attention des miliciens pour qu’ils
« s’occupent » d’elle aussi.
Cette
blague nous dit que le viol, c’est du sexe. De la même façon qu’on peut tout
naturellement désirer du sexe, on peut désirer être violée.
Même
principe avec « Qu’est-ce qui mesure 25 cm et qui donne envie aux femmes de coucher avec moi ?
Mon
couteau »
Voilà
exactement en quoi les blagues sur le viol ne sont pas acceptables. Dans la
quasi-totalité des cas, elles sous-entendent que le viol est du sexe et qu’il
peut être désiré. Ce n’est pas seulement faux, c’est également pervers, et plus
grave encore, c’est justement l’idée qui justifie ces crimes et qui
maintiennent les victimes dans la honte et la culpabilité. « Comment
étiez-vous habillée ? » est une blague sur le viol, les rires en
moins. Cette question devenue un poncif sur le thème dit la même chose. Etais-tu
sexy ? As-tu suscité le désir sexuel ? Si oui, alors tu as récolté ce
que tu as semé : du sexe. Sauf que le viol n’a rien à voir avec le désir
mais tout à voir avec la destruction de l’autre.
On
peut rire sur le viol, oui. Mais on ne peut pas en rire comme on rit du sexe.
On ne peut pas non plus en rire comme si le viol était un sujet anodin.
Le
« je vais te faire mon cri de femme violée » de Jennifer Lawrence
crispe parce que le viol est un crime aussi atroce que répandu et impuni.
Nos
sociétés ont un problème avec le viol, crime dans les textes mais pas dans les
esprits ni dans les faits. Réglons ce problème, faisons en sorte que le viol
soit réellement et massivement perçu comme une violence, sans équivoque, et
ensuite nous pourrons nous permettre de plaisanter à son propos – mais pas n’importe
comment. Sans nier ce qu’il est : une horreur, jamais désirée ni
désirable, qu’il faut comprendre et combattre.
Il n'y a pas de sujet tabou, j'y reviens. Et si on riait du viol en se moquant des violeurs ? Et si le rire était une arme non pas des machistes, mais des femmes ?
Conseil de self defense.
Si un homme tente de vous violer, parlez-lui et dites-lui ceci :
"Je t'aime. Je voudrais faire un enfant avec toi"
Il s'en ira en courant avant la fin de la phrase.
On respire mieux, n'est-ce pas ?
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RépondreSupprimerTrès belle façon de penser. J'ai cherché longtemps à savoir comment reagir face à ce genre de blague;j'ai maintenant de bon argument sous la mains.
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