La mère Noëlle Fleur furieuse met les enfants à la fête, avec des éléments tirés de l’essai Du côté des petites filles de la pédagogue féministe italienne Elena Gianini Belotti, publié en 1973.
La préférence pour les garçons se manifeste dès la grossesse de la mère, lorsque l’entourage essaie de deviner le sexe du foetus. Les différentes pratiques populaires en Europe du sud pour deviner le sexe du foetus assimilent la naissance d’un garçon à un évènement valorisant, à une bonne nouvelle, contrairement à l’arrivée d’une fille.
“Une des épreuves les plus utilisées est celle du bréchet de poulet : un homme et une femme saisissent chacun une partie de l’os et tirent ensemble, chacun de son côté, pour le casser, si la partie la plus longue reste dans la main de l’homme, ce sera un garçon”.
“Quand on demande à une femme enceinte, à brûle-pourpoint, “qu’as-tu dans la main”, si elle regarde en premier sa main droite, elle aura un garçon, si elle regarde la gauche (sinistra), une fille”. “Si son teint est rosé, elle enfantera un garçon, si son teint est pâle, une fille”.
La préférence pour les garçons se manifestent lors de l’allaitement. Dès ces moments-là, essentiels dans la vie et le développement des enfants, la mère et les autres membres de la famille formulent des injonctions envers l’enfant. Celui-ci reçoit des messages d’encouragement ou d’interdiction qui contribueront à le rendre plus ou moins sûr de lui, vorace ou modéré.
Les mères allaitent les garçons plus volontiers, jusqu’à un âge plus avancé, et les tétées sont plus longues. Il faut aussi prendre en compte la rapidité de la réponse de la mère et les gestes de tendresse qui accompagnent ce moment, et tout cela forme une “preuve tangible de la disponibilité du corps maternel à l’égard (du petit garçon), et en retour, l’importance de son propre corps”.
Les garçons sont perçus d’emblée comme plus vorace, avec un plus grand appétit et des besoins plus impérieux. La mère répond plus rapidement à ses demandes et lui consacre plus de temps. Le besoin de faire des pauses est davantage respecté que pour les filles. En évitant de le presser, on lui signifie qu’on se met “de son côté”, qu’on le “considère comme un individu” avec une autonomie dans la volonté et des besoins qu’il faut prendre en compte. Au contraire, la petite fille n’est pas sensée être vorace, et il est courant de “punir” la gloutonnerie en imposant un rythme plus lent, tout en la pressant sur la durée totale de l’allaitement, faute de temps disponible pour elle. La petite fille doit “contrôler son impulsion”. Bellotti parle d’un “dressage à la délicatesse”. Le “dressage”, dès la naissance, s’opère également à travers l’agencement et les couleurs de la chambre d’enfant, ainsi que les motifs qui la décorent.
Il est communément accepté que les filles pleurent davantage et sont plus difficiles à élever.
“Cependant, malgré tous ces jugements sur le caractère affectueux, la douceur, la soumission l’activité laborieuse des femmes et bien qu’on les élève à moindre prix, puisqu’en général on leur donne moins d’instruction qu’aux garçons, l’opinion courante veut que les filles soient plus difficiles à éduquer. Pourquoi ?
Il est beaucoup plus difficile et pénible de contenir une énergie souvent impérieuse en prétendant qu’elle se replie sur elle-même, alors qu’elle ne tarde pas à s’atrophier lentement, que de lui laisser libre cours et même de la stimuler en vue de réalisations concrètes. (..)
La fille, inhibée dans son développement, est contrainte d’organiser des mécanismes d’auto-défense pour ne pas succomber (..); elle manifeste des traits de caractère qui ne sont pas du tout, comme on le pense, l’apanage du sexe féminin, mais sont simplement le produit de la castration psychologique opérée à ses dépends.” Cette castration psychologique donne des petites filles “mécontentes, capricieuses, pleurnichardes”..
Bellotti insiste sur le rôle de la mère qui reproduit les modèles qu’elle connaît elle-même : la mère façonne la petite fille à son image, et elle accorde au petit garçon la même place dominante qu’au père et aux autres hommes qu’elle connaît : “elle n’a rien d’autre à faire que de répéter avec lui la même attitude tolérante, complice, complaisante qu’elle a vis-à-vis des hommes adultes”.
Les jouets sont sensés être choisis spontanément par les enfants, mais ceux-ci non seulement ent reproduisent ce qu’ils observent et connaissent, mais aussi s’adaptent à des règles strictes : il y a des jouets autorisés et d’autres interdits, selon le sexe. La façon de jouer est également différente : “La réduction de l’agressivité, opérée chez la petite fille par des moyens diffus, l’oblige à choisir, dans le jeu aussi, des moyens d’expression qui soient acceptés”.
Les petites filles dont la vitalité a été réprimée se réfugient dans des rituels rassurants et répétitifs. Les jeux limitatifs des petites filles, “dans lesquels leur attention s’arrête à l’acquisition d’une aptitude raffinée mais restreinte” sont “de véritables comportements phobiques avec un arrière-plan de rituel obsessionnel”, qui démontrent un “perfectionnisme anxieux” : Bellotti cite l’exemple du saut à la corde, complètement dédaigné par les garçons.
Les petites filles sont associées aux tâches domestiques dès l’enfance, alors que les garçons en sont écartés. Non pas pour qu’elles apprennent à les effectuer à l’âge adulte, un apprentissage très rapide serait largement suffisant ; mais qu’elles ne les méprisent pas comme les garçons les méprisent, et pour “rendre certaines tâches automatiques”. “Les adultes savent très bien que si le conditionnement ne se produit pas à l’âge requis, c’est-à-dire à l’âge auquel le sens critique et la rebellion sont peu sûrs, il sera d’autant plus difficile d’obtenir ces services après cet âge”.
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